III

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Lorelei lisait distraitement les affichettes de publicités collées aux quatre coins de l'ascenseur. Puisqu'elle avait rencontré et entendu la victime, elle se dirigeait droit dans la tanière du loup. Elle rendait une courte visite au directeur de feu l'hôtel Rêve, simplement dans le but de voir à qui elle aurait affaire. Avant de croire quoi que ce soit, il fallait d'abord qu'elle creuse un peu dans le caractère et comportement de cet homme. 

Pendant qu'Alexander attendait dans le hall d'un hôtel réputé de la ville, les portes métalliques coulissèrent et elle fit durement claquer ses talons sur le parquet en bois qui offraient à cette suite de luxe une atmosphère chaleureuse. L'ascenseur menait directement à la chambre. Elle ne pouvait pas sonner et donc annoncer sa présence. Alors, Lorelei toqua contre le mur et se pencha légèrement pour chercher l'homme du regard. 

— Monsieur Bremond ? Lorelei Zauberin, Procureure en charge de votre affaire, je souhaiterais m'entretenir avec vous au sujet du dépôt de plainte de Madame Mugnier. 

Le directeur s'élança hors d'une pièce qu'elle supposa être la salle de bain. Une serviette entourait ses hanches d'où ressortaient une musculature avantageuse, de la mousse parcourait son visage imberbe et il tenait dans sa main un rasoir traditionnel. Bremond paraissait très étonné de recevoir la visite surprise d'une Procureure, mais sa tenue ne le dérangea pas le moins du monde. Au contraire, il la joignit en quelques enjambées et lui tendit ses longs doigts cornus. 

— Enchanté, Lorelei Zauberin. Très enchanté, sourit-il. Si vous me le permettez, je vais terminer de me raser et je...

— Oh oui, bien sûr ! Terminez, je patienterai.

Pour lui montrer que cela ne l'ennuyait pas, elle s'assit sur un fauteuil vivement et se rendit compte de son aspect confortable. Elle s'enfonça dedans, tandis que Bremond retournait dans la salle de bain. Il ne devrait pas tarder. Elle contempla les cadres, ils étaient uniquement décoratifs et dénués d'émotion ; ils étaient l'opposé total des photographies de la sœur de Mugnier qui la hantaient malgré son détachement professionnel. 

— Me voilà ! chantonna Bremond, et il prit place en face d'elle, toujours en serviette. Ainsi une belle jeune femme comme vous est entrée au Parquet !

— Parquet ou couvent ? J'ai un doute vu votre ton.

— Ne sous-estimons pas la beauté des religieuses, je vous prie ! Certaines dépassent beaucoup de femmes sur le plan physique.

— Dommage qu'elles aient prêté vœux de chasteté, pureté et obéissance ! railla Lorelei, pensant clore cette conversation inutile.

— Ah, Lorelei Zauberin, que vous êtes innocente ! déclara-t-il et il se pencha vers elle. Les religieuses prêtent serment dans des moments déterminés de leur vie, mais...rien ne les empêche de changer d'avis en cours de route... Si vous voyez ce que je veux dire !

— Je ne vois pas.

Son ton cassant plut apparemment au directeur qui sourit grandement et se réinstalla correctement dans son fauteuil. Il détailla la Procureure sous tous les angles, se donnant un air plutôt malsain. Voilà particulièrement le genre d'attentions avec lesquelles Lorelei avait du mal ! Elle ne tolérait pas qu'un homme s'octroie le droit de reluquer une dame de la sorte. Son regard insistant qui n'en finissait plus l'irrita au plus au point et elle se braqua subito-presto. Elle se répétait d'être impartiale et de ne pas juger hâtivement, de ne pas arriver à des conclusions. Mais il lui rendait la tâche compliquée !

— Bien, débutons ! En premier lieu, sachez que ma présence n'a rien d'officiel. Dispensez-vous de répondre à mes questions, si vous ne voulez pas vous expliquer sur un sujet. Votre silence ne sera pas retenu contre vous... Parlez-moi de vous. Ou plutôt de votre position par rapport à l'incendie de votre hôtel.

— Simple, répliqua-t-il, sobrement. Je profitais pleinement de la mer en Espagne, quand j'ai été contacté par mon assistant. L'hôtel subissait des complications, je suis rentré et rien d'autre.

— Rien d'autre ? sembla-t-elle ahurie. En conclusion, vous ne travailliez pas à votre hôtel, mais vous aviez pris des vacances et votre établissement est parti en fumée à ce moment-là. Quelle sacrée malchance !

— Je présume que non, rétorqua Bremond. Je voyage régulièrement. Mon assistant est formé pour me remplacer. Il a l'habitude. Je regrette seulement de ne pas avoir pu nager davantage. Le soleil était épatant et j'avais justement réservé une gigantesque chambre avec une vue paradisiaque, voyez-vous ! Quelle horreur ! J'ai été obligé de tout rembourser ! L'hôtelier là-bas n'a rien voulu savoir. J'ai tout de même essayé de jouer sur le fait que nous exercions une profession similaire, mais il se fichait complètement de qui j'étais. Pas étonnant que les clients se plaignent d'un accueil froid !

Sa volonté de neutralité dominait son agacement, mais la Procureure soupçonnait déjà cet homme. Peu importe si son crime était punissable aux yeux de la loi ! Qu'il soit la cause de la tragédie ou pas, il s'autorisait à sourire, à draguer une magistrate et à ignorer ses questions d'une importance capitale. S'il était véritablement un être humain, il collaborerait au plus vite vis-à-vis des victimes. Bremond ne détenait aucune retenue, ni compassion. Malheureusement pour lui, Lorelei haïssait les directeurs insensibles qui se moquaient bien des dommages collatéraux. Puisqu'il évoquait cet incendie à la légère, cela ne la surprendrait pas du tout qu'il en soit l'instigateur — volontairement ou non.

— Effectivement, votre situation est atroce ! exagéra Lorelei, brusque. Laissez-moi cependant croire que les familles des victimes éprouvent un plus grand chagrin. Est-ce votre compte en banque qui a souffert ? Dans leur cas, leurs vies entières ont été bouleversées. S'il vous plaît, Monsieur, veuillez garder toute remarque désobligeante pour vous. 

— N'hésitez pas à vous servir du champagne ! s'exclama subitement Bremond. 

Lorelei jeta un regard dubitatif à la bouteille déjà ouverte et qui prenait l'air. Non, elle ne toucherait pas une goutte de cet alcool. Parce qu'elle ne buvait pas et parce qu'elle ne se sentait clairement pas à son aise ici. L'absence d'Alexander jouait-elle dans cette désagréable impression ? Pourtant, il accourrait à tout instant si elle avait besoin d'aide. N'est-ce pas ? Son ange gardien ne se laissait jamais distraire. 

Lui qui veille sur elleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant