Lorelei se rapprochait d'un pas décidé d'une maison aux murs éthérés au centre d'une banlieue tranquille. Alexander la suivait et ne disait rien — ce qui était rare et reposant —, il préférait écouter le chant des oiseaux et humer l'odeur des fleurs dans les jardins. Cependant, ce panorama digne d'un quartier de série américaine se troubla rapidement à cause d'un élément indésirable. Un homme. Un homme que sa protégée avait croisé ce matin même et qu'elle avait reluqué sans gêne ! L'homme qui s'était enchanté face à son prénom de créature enjôleuse. Que venait-il faire là ? Aucune idée.
— Hors de question qu'ils se rencontrent deux fois en une matinée, marmonna Alexander pendant que Lorelei cherchait le bon numéro de maison. Elle finira par croire à la destinée ou une autre connerie du genre !
Ni une, ni deux, il s'élança pour la rattraper et captura délicatement son bras de sa main ferme ; il la fit tournoyer sur elle-même et Lorelei se logea naturellement contre son torse. Étonnée, sa bouche s'ouvrit en grand et elle essaya de le questionner, mais il maintint sa tête contre son épaule et elle ne put que sentir son parfum en bredouillant des paroles incompréhensibles. Lorsque cet homme — dont Alexander se méfiait — monta à l'intérieur de sa voiture assez chère et qu'il disparut à l'autre bout de la rue, il daigna la relâcher.
— Je... Tu...? Est-ce tu vas bien ? s'enquit-elle, ébahie par ce contact soudain. Est-ce que quelque chose te tracasse ? Es-tu malade ?
— J'avais simplement envie d'un câlin ! souffla-t-il en la coupant.
— Ah ? D'accord... D'accord ! Je crois avoir trouvé la maison. Allons-y.
Il opina du chef et ils avancèrent lentement ; elle lui jetait des regards hésitants. Des câlins ? Et depuis quand le grand et nonchalant Alexander réclamait-il des câlins ? Soupirant, elle rangea ce sordide geste inopiné dans un coin de son esprit, tandis qu'elle grimpa les marches du perron et qu'elle sonna. Elle entendit la petite musique de dehors et patienta en regardant autour d'elle. Déjà son ange gardien s'était envolé ! Il devait sûrement tourner dans le quartier.
La porte s'ouvrit vivement sur une femme qui faisait sa taille sans les talons, grande et assez robuste, en jogging et gros pull, pas de maquillage et des lourdes traces de cernes. Elle paraissait épuisée à ne plus tenir debout et s'accrochait au chambranle pour te pas s'écrouler. Lorelei avait lu sa plainte, elle avait étudié son dossier et avait brièvement obtenu des informations à son sujet, dont son casier judiciaire absolument vierge. La Procureure connaissait donc son histoire et se doutait très bien de son état. Elle s'inclina dans un mouvement de sincère respect et afficha son visage le plus neutre. En soi, elle compatissait à sa situation, mais elle n'avait pas le droit de le montrer.
— S'il vous envoie, veuillez partir sur-le-champ ! cracha la femme, recevant la perplexité de Lorelei. Je n'ai pas le temps d'amuser votre patron, fichez le camp ! Et dites-lui bien que je n'ouvrirai plus ma porte à lui ou à ses sbires ! J'en ai ma claque de sa cruauté !
— Excusez-moi, Madame Mugnier, mais vous vous trompez sur la personne. Permettez-moi de me présenter. Lorelei Zauberin, Procureure. Votre dépôt de plainte ne me suffit pas, j'écoute moi-même les témoignages des victimes — une tenace habitude — et puisque vous ne répondiez pas à votre téléphone, je me suis déplacée.
— Alors quelqu'un m'a entendu, soupira-t-elle.
La femme se transforma soudainement en une boule de nerfs qui s'apprêtait à craquer. Elle se décala et autorisa la Procureure à entrer. Lorelei hésita à lui prêter main forte pour marcher jusqu'à son salon, Mugnier chancelait vraiment. Comme si elle se vidait de toute son énergie au fil des secondes. Des cadres sillonnaient les murs, des dizaines et dizaines de photographies représentaient sa famille. Dont une mère qui portait son enfant dans ses bras et qui souriait, lumineuse. Elles arrivèrent au salon en silence et s'assirent côte à côte.
— Du thé ?
— Non merci, répondit calmement Lorelei face à cette femme abattue. Racontez-moi plutôt ce qui est advenu ces derniers jours dans les moindres détails. Respirez profondément et ne vous pressez pas.
Madame Mugnier se plongea dans ses souvenirs et ses yeux s'humidifièrent dans l'instant. Elle essaya tant bien que mal de garder ses pensées sur une ligne droite et elle commença lentement à narrer son histoire des plus tragiques d'une voix chevrotante :
— Ma sœur — vous voyez, la magnifique jeune femme sur la photo, là-bas — fêtait bientôt les deux ans de son garçon, mon neveu adoré. Elle n'habite pas ici, mais dans le nord. Mon supérieur n'arrêtait pas de me surcharger de travail et il m'était impossible de la rejoindre. Pour me faire la surprise, elle... Pardon... Elle est descendue et elle a pris un hôtel le soir de son arrivée avec son mari. Le lendemain matin, elle m'a appelé et m'a demandé de me rendre à une adresse. J'y suis allée et...
— Il s'agissait de l'hôtel Rêve, déduisit Lorelei.
— En flammes... Savez-vous le sentiment que l'on ressent à cet instant ? Je peux vous le dire. J'ai vomi. Je me suis effondrée. Je suis morte une minute. Avant de me rendre compte que je n'avais pas eu cette chance. Non. J'étais toujours vivante. Et elle se trouvait quelque part dans cet incendie. Croyez-moi, Madame Zauberin, j'étais attirée par le feu. J'aurais voulu brûler aussi. Sauf que je ne possédais pas cette liberté. Je devais d'abord comprendre. Comment tout cela s'était-il produit ? Il fallait que je démêle ce moment qui me semblait hors du temps, hors de la réalité. En particulier, parce que les enquêteurs n'ont pas réagi. A quoi sert la police ? Répondez, Madame. A quoi sert-elle ?
— L'enquête a été mise en pause.
— Vous voulez dire qu'ils la classeront sans suite !
— Ceci n'arrivera pas, Madame. Parce que je ne donnerai pas mon accord.
Madame Mugnier rit amèrement et s'avachit dans son canapé, le regard pendu au vide. La Procureure saisissait aisément la raison de sa rancœur. Tous évoquaient inlassablement l'incendie de l'hôtel Rêve qui avait engendrée la mort de plusieurs personnes. Six pour être exact. Quelques-uns pensaient à un désastreux accident, d'autres hurlaient au complot et certains accusaient le directeur de l'établissement. Au final, chacun cherchait un coupable. Le hasard ou l'homme ? L'homme était bien souvent à l'origine du hasard.
— A quoi faisiez-vous référence tantôt ? questionna la brune. Un patron qui vous dérange ?
— Lorsque je pleurais par terre dans la rue, un homme a traversé la route en fixant l'hôtel. Il souriait ! Quel être humain peut sourire devant cette catastrophe ? Le patron de l'hôtel ! C'était lui ! Il souriait et son hôtel brûlait encore ! J'ai déposé de nombreuses plaintes, mais l'enquête n'avançait pas et j'étais désespérée. J'ai contacté mon avocat et nous avons finalement réussi à ce que la voix des victimes soit entendue. Vous êtes ici !
— En effet. Mais vous ennuie-t-il ? insista Lorelei.
— Il m'a envoyé son assistant avec un contrat de silence. Je l'ai déchiré. Il s'est pointé sur le seuil de ma porte avec un nouveau contrat où il me promettait de l'argent. Je lui ai craché au visage ! Cette pourriture me regardait comme un vulgaire animal abandonné auquel il devait mettre un collier ! Juste avant que vous n'arriviez, son avocat est passé. J'ai refusé de lui parler et il est reparti en me menaçant d'un procès pour diffamation ! Quel fils de...!
Lorelei l'interrompit. L'avocat n'y était pour rien dans cette affaire. Après tout, il agissait au mieux pour son client. Puisqu'il n'y avait aucune preuve de la culpabilité du directeur, il gagnerait probablement son procès pour diffamation. Voilà pourquoi elle devait attaquer en premier. D'abord, elle comptait bien faire avancer l'affaire et cette fois elle enquêterait sans relâche. Elle prouverait lequel du hasard ou de l'homme avait créé cet incendie.
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Lui qui veille sur elle
ParanormaleQui ne rêve pas qu'un homme fort, beau et dévoué veille sur soi, à tout instant ? Pour Lorelei, il s'agit bel et bien d'un rêve éveillé. Depuis ses dix-huit ans, à son retour d'un coma, un homme la suit et la protège. Après plus d'une décennie ave...