En pénétrant dans la salle derrière le miroir sans tain, Alexander ne put se retenir malgré la présence de deux policiers et d'un stagiaire autour de lui, et il cingla :

— Mais qu'est-ce qu'il fout là ce con ? Encore ! 

Les trois hommes le scrutèrent avec curiosité d'abord, puis ils se regardèrent entre eux en se demandant s'ils allaient le virer d'ici, mais ils se désintéressèrent de lui bien vite. L'heure de l'interrogatoire était arrivée et Lorelei faisait son entrée dans la salle sous leurs yeux. Sauf qu'une personne s'y trouvait déjà. Cette dernière se leva et se dirigea vers la porte au moment où la Procureure l'ouvrit, engendrant une collision dont elle ne s'aperçut que lorsque la personne poussa un geignement de douleur, en se reculant et tenant son nez par réflexe.

— Oh, pardonnez-moi ! s'écria aussitôt Lorelei en entrant complètement et refermant derrière elle. J'espère que je ne vous ai pas fait trop mal. Voulez-vous un mouchoir, Monsieur...?

Elle s'arrêta nette en croisant un regard familier et se figea. Ses traits se tirèrent, son inquiétude disparut et sa réaction brusquement froide rassura Alexander, content qu'elle ne sourie pas.

— David ?! Mais que faites-vous là ? Vous...?

— Enchanté, Madame Zauberin, répondit-il.

Il se pinça le nez, produisant une voix étrange, tout en se redressant pour lui tendre sa main. Elle fronça les sourcils, la saisissant lentement.

— J'avais presque oublié que nous ne nous étions pas formellement présentés, continua-t-il en resserrant délicatement sa poigne. David Bartel. Je suis l'avocat de Monsieur Bremond. Mon client et moi avons convenu que j'assisterais à l'interrogatoire. Sommes-nous bien d'accord que mon client n'est pas mis en examen, mais a été convoqué en tant que témoin assisté ? 

Ne sachant plus comment répondre une phrase correcte, elle hocha de la tête – bêtement, selon Alexander. Ce dernier les observait avec rage et désespoir en même temps. Maintenant il comprenait pourquoi ce crétin était toujours dans les parages ! Il bossait pour Bremond. En fait, il préférait cela. Car si c'était l'œuvre du destin de les réunir, il aurait fini par criser. Or, ces coïncidences n'étaient en réalité qu'une suite d'événements logiques. Du moins, il s'en convainquait. 

— Dans ce cas, installons-nous et commençons ! Du café ?

— Oui, s'il vous plaît.

La voix de Lorelei avait été moins assurée qu'à l'accoutumée, alors elle se racla la gorge. Momentanément, elle se perdit dans le regard verdoyant de l'avocat. 

— Eh bien, nous vous attendons ! lança-t-il, gaiement. Deux expressos !

Elle tiqua une seconde et comprit finalement qu'il ne proposait pas d'aller chercher les cafés. Il suggérait qu'elle les rapporte elle-même. Lorelei fit grincer ses dents et contracta sa mâchoire devant l'air amusé de l'avocat. Il se moquait clairement d'elle, sans méchanceté. C'était plutôt une sorte de blague, presque du flirte, puisqu'il lui sourit en coin et lui adressa un clin d'œil à la dérobée. Soupirant, elle accepta, déposa son sac sur la table et sortit. Instantanément, David se tourna vers Bremond et Alexander ne manqua rien de leur échange.

— Je tiens à vous informer que Madame Zauberin et moi nous connaissons vaguement, mais notre relation n'interférera pas avec l'enquête. 

Bremond joua avec ses sourcils dans des mouvements suggestifs qui irritèrent au plus haut point Alexander.

— Vous la connaissez dans l'intimité, hein ? Vous devez tous vous connaître dans la profession, hein ? 

Alexander était proche du blasphème et retint de justesse une virulente insulte à cause de trois hommes derrière lui. Il posa ses deux poings contre la vitre et les pressa tellement que le miroir aurait pu exploser. Il respira calmement, essayant d'ignorer les sous-entendus de ce porc de Bremond, ainsi que la non-réponse de son avocat. Pile au moment où Lorelei revenait avec les cafés, il sentit sa présence se rapprocher de leur salle et il virevolta jusque dans le couloir, surprenant le stagiaire occupé à tapoter sur son téléphone.

— Que veux-tu ? s'enquit Lorelei, ayant l'habitude qu'il débarque face à elle, essoufflé et avec quelque chose de primordial – selon ses dires – à lui exposer. Laisse-moi deviner. Tu n'aimes pas Bremond et tu souhaites étaler ta haine contre lui. Ou bien critiquer David sans raison. 

— Pas du tout ! D'où sors-tu ces idées ? s'insurgea-t-il.

— De tes manières ! 

Il expira lentement en la jaugeant avec attention. Elle portait quatre cafés dans ses mains et cela lui arracha automatiquement un sourire. Il saisit le gobelet qu'elle avait pris pour lui.

— Merci ! minauda-t-il. Bref, les tic et tac de l'enfer ont parlé de toi et je n'apprécie pas du tout la façon dont te traite Bartel ! Il a quasiment laissé entendre que vous aviez couché ensemble !

Elle s'en étonna un instant, avant de se souvenir que son ange gardien exagérait toujours tout et qu'il méprisait n'importe quel homme qui l'entourait. Elle sourit gentiment pour ne pas le vexer et déclara :

— Je suppose qu'il s'est empressé d'avertir son client que nous nous étions déjà rencontrés. C'est normal, Alexander ! Les avocats expliquent constamment tout à leurs clients, pour une histoire de transparence. Il fait son métier.

Il voulut protester, mais elle ajouta :

— Je t'ai déjà prévenu...

— Menacé, marmonna-t-il.

— ...de ne pas te mêler de l'interrogatoire ! Respecte ta promesse !

Il lui adressa son faux sourire angélique et elle lui répondit par un énième roulement d'yeux. Alexander regagna sagement la salle adjacente et il se focalisa entièrement sur son corps mince et élancé du haut de ses talons, quand elle retourna dans la fosse aux lions. Le visage de David s'illumina, comme s'il l'avait attendu avec impatience, à contrario de son client qui se rembrunit. Elle déposa les cafés devant eux et s'assit à droite de l'avocat, soit en diagonale du directeur. Celui-ci se balançait sur sa chaise en arborant une moue contrariée. Il prit une gorgée du liquide noirâtre pendant qu'elle allumait son ordinateur pour prendre en note ses déclarations. Toutefois, il ne tint pas trois minutes et déblatéra une idiotie qui fit bouillir le sang du brun de l'autre côté du miroir.

— Lorelei, Lorelei, vous êtes vraiment en beauté aujourd'hui. Vous êtes-vous apprêtée pour moi ? L'autre soir, vous auriez bien aimé qu'elle tombe en fin de compte !

Elle repensa à cette fichue serviette qui avait presque dévoilé une vue qu'elle aurait maintes fois retrouvé dans ses cauchemars et elle grimaça sans aucune grâce. David savait à quoi son client faisait référence, puisqu'il lui avait raconté leur entrevue. Devançant la Procureure, il obligea son client à se taire.

— Madame Zauberin vous posera quelques questions. Contentez-vous d'y répondre honnêtement. Si vous ne voulez pas donner de réponses, faites-le savoir. Merci pour les cafés, d'ailleurs.

Son ton sans appel indiqua à Bremond qu'il ne devait surtout pas réitérer les remarques indécentes. Son air viril et autoritaire fit sourire Lorelei, ce qui n'échappa guère à Alexander. Le brun poussa un petit cri ridicule d'outrage que les policiers ne comprirent pas. Il fulmina et regarda sa protégée tomber dans le piège de ce coq.

— En fait, je n'ai qu'une seule question, informa-t-elle et David ne cacha pas son étonnement. Je souhaiterais que vous me justifiiez votre raison de ne pas avoir engagé une société pour résoudre votre souci de fuite de gaz. Sans oublier les fois où vous n'avez pas réagi aux diverses plaintes d'hygiène. En d'autres termes, je vous octroie une chance unique, à prendre ou à laisser, de me prouver que vous n'êtes en aucun cas responsable des morts. 

Le silence lui répondit. S'ensuivirent des tentatives pittoresques de Bremond pour excuser ses actes de pure négligence. Plus il ouvrit sa bouche, plus Lorelei ferma hermétiquement la sienne, n'accordant aucun crédit à ses bafouillages. D'ailleurs, David baissa la tête ou signifia à son client de ne plus rien dire. Son cas était scellé. 

Lui qui veille sur elleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant