Lui qui veille sur elle

I

Le monde semblait un peu moins tranquille.

Pourtant, le soleil illuminait la terre, haut dans le ciel ; le printemps se faisait sentir et les oiseaux chantaient pour inviter les fleurs à s'épanouir ; de plus en plus de personnes sortaient dans les rues, s'engouffraient dans les magasins ou se promenaient le long du canal, sous les arbres aux beaux feuillages. Tout avait l'air parfaitement normal.

Qu'est-ce qui avait changé, dans ce cas ? 

Lorelei observa le dehors, son quartier ruisselait de passants avec des chiens en laisse ou d'enfants aux petites jambes qui couraient dans tous les sens en riant. Mais, son visage décida de ne pas s'égayer. Elle afficha la même pénombre sur ses traits que celle qui plongeait son appartement dans le grisâtre. Elle avait pris la peine d'appuyer sur le bouton près d'une de ses baies vitrées, ouvrant le volet électrique, mais elle ne s'était pas embêtée avec les autres, ne cherchant aucune luminosité. Elle n'alla pas effectuer son footing ce matin-là et s'habilla tardivement, traînant à se préparer pour le travail. 

— Tu es certaine que je ne t'accompagne pas ? 

Elle sursauta et pivota vers la blondinette, assise droite sur le sofa avec une moue aux lèvres qui ne seyait pas à sa confiance habituelle. Astrée avait désormais le réflexe de tutoyer sa cliente, puisqu'elle était restée auprès d'elle après ce qu'elle avait nommé le schisme. Lorelei et Alexander ; Alexander et Lorelei ; deux entités indissociables...qui s'étaient dissociés. Cette scission brutale et inattendue avait grandement étonné la Prêtresse qui avait eu du mal à réconforter la brune. 

— Cela fait déjà trois jours, Astrée. Rentre chez toi, repose-toi, je me débrouillerais très bien toute seule.

Quel honteux mensonge ! Mais, la Prêtresse ne connaissait pas sa phobophobie et ne se doutait pas le moins du monde de sa crainte de la solitude. A la suite du schisme, elle avait tant été abasourdie par le départ d'Alexander qu'elle n'avait pas quitté Lorelei, pétrifiée par son étonnement et par ce sentiment qui grandissait en elle. Le sentiment que cet homme n'était peut-être pas celui qu'elle pensait. Elle était cependant sûre qu'il détenait des pouvoirs démoniaques – il était forcément un démon, n'est-ce pas ? Elle ne voulait pas croire qu'elle s'était trompée.  

Toutefois, un démon ne s'éloignait jamais de sa protégée pour une raison très simple. Le pacte. Une promesse faite et un engagement à tenir des deux côtés. Dans la majorité des cas, l'un jurait de protéger le malheureux coûte que coûte et de lui obéir ; l'autre lui cédait son âme au moment de sa mort. Pourquoi donc Alexander n'était-il ici, avec elle ? Trois jours qu'il avait passé la porte en furie et qu'il n'était pas revenu. Lorelei avait supposé qu'il serait de retour dans une poignée d'heures. Le lendemain, elle avait appelé Astrée et, toute tremblante, avait avoué que tout était terminé. Elle n'avait plus aucune nouvelle de lui. Un silence qu'elle avait présagé depuis longtemps, mais qui lui procurait une douleur presque dévastatrice. Elle tenait bon grâce au soutien de la Prêtresse et à cause de son métier qui lui demandait de ne pas perdre sa concentration. Dès qu'elle entrait dans sa chambre, elle était envahie par la peine, l'isolement et un désespoir lancinant.

 — Ecoute Lorelei, ce que tu vis est très suspect. Quelque chose ne colle pas ! Entre ton coma et la constante présence de cet homme à tes côtés, et sans oublier que j'ai assisté à une démonstration de ses capacités surnaturelles, il est évident qu'Alexander est un démon ! S'il ne l'est pas, alors il côtoie les forces des ténèbres d'une manière étroite, effrayante et préoccupante. Un humain lambda ne peut pas me faire voler dans la pièce et me projeter sur le canapé ! Ce que je veux dire par là, c'est que je ne suis pas d'accord pour te laisser sans protection. Il pourrait revenir n'importe quand et nous ne savons rien de ses véritables intentions à ton sujet. Permets-moi de te protéger, mon esprit sera bien plus apaisé si je te suis. Même de loin.