— Ai-je fait une bêtise ?

Dix minutes que Jayden se rongeait les ongles, sa jambe martelant le sol et indécis. Soudainement, sa porte s'ouvrit à la volée et son père entra à grandes enjambées dans sa chambre. Il présagea que la fin de sa vie arrivait enfin et attendit que son père le réprimande durement – toujours aussi dramatique. Mais, Dervis se contenta de s'asseoir sur son lit, à ses côtés, et il souffla longuement en pointant du doigt le téléphone de son fils.

— Préviens ta jeune amie qu'elle doit partir de chez elle, sur-le-champ.

— Pardon ? couina Jayden. Mais ! et Lorelei ? Astrée doit la protéger ! N'as-tu pas entendu ce que j'ai dit et....?

Dervis bloqua sa bouche de sa main et dans son regard, il le défiait de prononcer un mot de plus.

— Envoie-lui un message pour l'avertir de l'arrivée imminente d'Alexander. Lui et Lorelei ont besoin de parler. Le mieux serait que ta jeune amie ne soit pas dans les parages. 

Jayden poussa un cri exclamatif et se confondit en excuses, saisissant immédiatement son portable pour informer Astrée. Celle-ci était installée dans son appartement, au milieu des candélabres et des manuels de sortilèges. Elle hésitait à les garder ou à les brûler. Au fond d'elle-même, elle savait que sa déception était immense et avait laissé un trou béant à son âme. La jeune femme avait construit les prémices de son existence sur un nouveau départ, sur un nouvel espoir basé sur les connaissances des Prêtresses. Elle travaillait, offrait ses services et pouvait être utiles. Aujourd'hui, elle se sentait inutile et vide de sens. 

Lorsqu'elle reçut le texto du blond, elle mit au moins une minute à sortir de ses pensées, prendre son téléphone et lire la phrase qui lui fit écarquiller les yeux et se redresser brusquement. Son sursaut alerta Lorelei, assise sur un fauteuil, et qui découvrait avec curiosité et perplexité un des manuels d'Astrée. Cette dernière s'immobilisa un instant, incertaine, puis elle regarda la brune et se fit la réflexion qu'elle n'avait plus été heureuse depuis des semaines. Même si elle n'appréciait pas les démons – ou peu importe ce qu'était Alexander –, elle se dit qu'une discussion honnête entre eux améliorerait sûrement la situation.  

— Je...je vais faire des courses ! improvisa Astrée.

Mais, elle improvisait très mal.

— Toutes tes placards sont remplis et ton réfrigérateur aussi, nota Lorelei.  

— Hum... Effectivement, tu as l'œil ! ricana-t-elle, sans aucun amusement. Il me faut quelque chose en urgence ! Je reviens vite ! 

Lorelei ne la questionna pas et releva à peine ses yeux du manuel prêt à s'émietter et aux pages jaunes. Astrée, satisfaite, attrapa rapidement son sac et son trousseau de clefs ; elle enfila à la hâte ses talons et referma la porte derrière elle, engendrant un courant d'air qui fit frémir la brune. Dans le silence, la procureure continua sa lecture tout en soupirant. Elle ne parvenait pas à se concentrer, car elle songeait encore et encore à son travail. Cela faisait plusieurs mois qu'elle posait des jours de congé ou qu'elle se mettait en arrêt maladie. Elle qui était habituée à un quotidien sans fin, à bosser le soir, les week-end et pendant les vacances, elle se retrouvait de plus en plus chez elle à ne pas avancer sur ses dossiers. Elle était autant agacée que soulagée. Pour le moment, elle pouvait respirer et se détendre, mais elle n'oubliait pas les obligations qui l'attendaient à son retour. Elle serait sous l'eau en un rien de temps !

Subitement, elle perçut un son étrange provenant de derrière elle, suivi par une sorte de gémissement, et grâce au calme total de la pièce, elle entendit même une respiration. Lorelei pensa par réflexe à Astrée, mais la porte ne s'était pas ouverte. Prise d'une sensation identique à hier soir, paniquée et le palpitant sur le point de rompre, elle serra le manuel dans ses bras à la manière d'une bouée de sauvetage. Des pas se rapprochèrent avec une lenteur insupportable ; elle envisagea tous ses moyens de se tirer d'affaire. D'abord, elle repéra l'entrée et songea à sprinter le plus vite possible pour ensuite dévaler les escaliers et débouler dans la rue en criant pour de l'aide. Sinon, puisqu'elle se rendit compte que l'intrus se trouvait sur ce chemin, elle examina la fenêtre. Trop petite et fermée, elle ne réussirait pas à s'enfuir par-là. La solution la plus simple était de se cloîtrer dans la salle de bain de l'appartement, qui possédait un verrou, et prier pour que quelqu'un la sauve. 

Lui qui veille sur elleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant