III

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Dervis se tenait derrière un arbre, encore, à observer de loin le stand de la belle et douce Constance. Il l'admirait converser avec les clients, une telle aisance l'animait et elle était si magnifique dans sa salopette bleu délavé. Le vieux démon pivota et dirigea ses yeux tristes vers le ciel. Sa Rosaline était-elle là-haut ou était-elle à quelques mètres de lui, parfaitement en vie, sur terre ? Plus il y pensait, moins il comprenait. Quel intérêt aurait-elle eu de mettre en scène sa mort et le fuir ? Elle qui l'aimait tant. Pourtant, il ne réussissait pas à ignorer cette coïncidence. Certes, l'artisane avait une ou deux différences comparée à sa bien-aimée, mais pas suffisamment pour éloigner le doute. 

— Vous appréciez souvent le beau temps par ici ces derniers jours ! 

Il sursauta et glissa sur la racine qu'il avait utilisé comme piédestal. Il se rattrapa habilement à l'arbre, mais une délicate main avait empoigné la sienne pour l'empêcher de tomber. Dervis remonta lentement son regard et croisa celui de Constance ; il se figea, ne put se retenir de la contempler et ses orbes s'imbibèrent d'une humidité qu'il ne contrôla pas. Puisqu'il était sur le point de pleurer devant elle, il inspira profondément et reprit contenance. Progressivement, il lâcha un à un ses doigts, ce qui la fit rire. Il crut défaillir au son cristallin qui sortir de sa bouche.

— Votre air hagard m'amuse beaucoup, désolée ! fit-elle, souriante. Je vous vois souvent traîner dans le quartier, la plupart du temps derrière cet arbre. Vous en voulez une ?  

Elle s'était interrompue pour lui proposer une cigarette qu'elle prit de sa poche de salopette. 

— Je ne fume pas, merci, répondit-il, la voix soudainement enrouée.  

— Qu'est-ce que vous faites ? 

Cherchant à percer à jour son secret, elle se mit à sa place et riva ses yeux égayés dans la direction qu'il fixait toujours.

— De là, vous ne pouvez rien voir de l'avenue, hormis...eh bien...moi... Dois-je en déduire que vous venez pratiquement tous les jours pour me voir ?

— Tout dépend ! répliqua-t-il, un peu trop vite. Etes-vous certaine de vouloir la vérité ?

— Bien sûr !

Elle s'écarta de quelques pas pour leur garantir à tous les deux un espace vital, alluma sa cigarette souplement et aspira la substance toxique. Dervis ne put se détourner de cette vue. Bouleversé et n'essayant plus de le cacher, il resta bouche bée un moment face à cette beauté. Il aurait dû savoir plus tôt que Rosaline était un ange déchu. Avec une superbe pareille, comment se méprendre ? Un humain ne pouvait pas être aussi merveilleux, si ? Néanmoins, sur Constance, il ne ressentait aucune trace de surnaturel. Il déploya son énergie de démon et attendit que la sienne lui réponde, mais un silence tomba sur eux. Il en était certain, cette femme était une mortelle comme les autres. Mais, le doute subsistait. 

— Soit, concéda-t-il enfin. Vous ressemblez trait pour trait à mon épouse et je me questionne en vous voyant. Serait-il possible que vous soyez ma bien-aimée ? 

Constance se figea une seconde, puis pouffa.

— Ah oui, c'était honnête, en effet ! Que suis-je censée vous dire ? Hum... Tout d'abord, pourquoi votre épouse se serait-elle enfuie ? Et je suis plutôt jeune pour vous ! 

Elle se pencha vers Dervis qui retint son souffle.

— Seriez-vous un homme cruel qui aurait épousé une jeune femme de force et qui la pourchasserait après sa fuite ? 

Ce fut à son tour de pouffer.

— Vous ne pourriez pas vous tromper davantage ! Elle... Nous nous aimions.

Lui qui veille sur elleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant