Les mains en sang, le cœur en lambeaux et l'âme dispersée en mille écho dans le monde, une jeune femme, dix-huit ans et quelques mois de souffrance, se tenait là, au milieu d'un décor cauchemardesque, le corps de son oncle à ses pieds. Chancelante, perdue et abandonnée, la brune trébucha et chercha à crier sa frustration qui s'était mélangée à la fureur. Incapable du moindre soin, elle recula et recula au point de se cogner brusquement à un mur. Le regard ne parvenant à se poser nulle part, essayant d'éviter au maximum le cadavre dans la pièce, elle fit volte-face et courut d'instinct vers la porte la plus proche.
Rentrant dans toutes les parois, se rattrapant de justesse après s'être emmêlée les pieds dans les tapis, elle heurta violemment la seule autre personne à l'intérieur de cette maison de malheur, son cousin. Elle l'ignora, en pleurant, et continua de fuir avec les maigres forces qui lui restaient. Elle entendit derrière elle, les braillement de plus en plus inquiets du garçon de son âge qui appelait son père. Ces hurlements la poussèrent à accélérer et bientôt elle frappa les portes battantes de l'entrée de ses poings tremblants.
Elle découvrit pour la première fois le jardin et son organe vital palpita de douleur, le stress broyant sa poitrine. Les pensées filaient dans son esprit si vite qu'elle n'avait aucun espoir de les comprendre. Complètement anéantie, elle espéra voir un grillage, une rue, des gens, n'importe quoi qui pourrait lui redonner un souffle de vie. Cependant, cette propriété était immense et elle ne repéré pas tout de suite la sortie. Elle ne savait évidemment pas qu'elle se trouvait à la porte arrière et que le portail était de l'autre côté de la maison. Son désespoir déborda soudainement et elle ne put plus le contenir ; la brune tonna à s'en déchirer les cordes vocales, tant que ce rugissement dut attirer l'attention de l'entièreté du voisinage.
— Tu veux bien te taire, gamine ! Bon sang que tu es bruyante !
Elle virevolta en direction de cette voix étrangère et son équilibre ne tint pas, elle s'effondra. Les mains à plat dans la terre du jardin, recroquevillée, ensanglantée, la brune n'osa même pas regarder cet inconnu. Elle ne distingua que ses chaussures parfaitement nettoyées, sans une trace de poussière, élégantes. L'homme, quant à lui, ne se gêna pas pour reluquer cet esprit ruiné. Chétive, maigre et plus pâle que la mort elle-même, elle lui sembla au bord de la destruction, agonisante. Tremblotante, les bras recouverts d'un liquide rougeâtre qu'il reconnut aisément, il pensa se moquer d'elle et des ses cris bestiaux, puis regagner sa tranquillité, mais le destin se joua d'eux.
Au lieu d'aspirer à retourner à son errance dans les rues de cette misérable campagne, en quête de rédemption ou peut-être ce qu'il recherchait, l'homme se surprit à éprouver une viscérale et profonde pitié pour la jeune femme qui le transcenda brutalement. Il ne réussit plus à détourner son regard ou à dévisser ses pieds du sol terreux. Il fut la proie d'une nouvelle émotion qu'il n'avait jamais éprouvée par le passé, et dieu savait à quel point son passé était long, ancien et interminable. La vue de cette mortelle ridicule lui procura de la compassion. Plus que la simple empathie, ou qu'une sympathie, il désira l'aider, la sortir de son état de souffrance pure, lui tendre la main.
Et c'est ce qu'il fit. Lentement, pour ne pas l'effrayer, il approcha d'un pas et commença à s'agenouiller. Toutefois, un beuglement provenant de la maison retentit et terrorisa la brune ; bien que ses pensées étaient désordonnées, elle en déduisit que son cousin avait trouvé le corps de son père. Elle tenta de se relever sans énergie. L'homme, perplexe de la voir ainsi, combla aussitôt l'espace entre eux et s'accroupit vivement, ne lui laissant aucune chance de s'enfuir. Il encadra son visage poussiéreux et creux de ses deux mains et la força à lui faire face. Yeux dans les yeux, il hésita et déglutit difficilement, dubitatif de ses propres mouvements.
— C'est toi qui portes tout ce sang, pourtant j'ai l'impression que tu es la victime ici. Quoi que tu es commis, quel que soit ton crime, je te l'excuse et expie ta faute au nom des cieux ! déclara-t-il sobrement et il commenta pour lui-même. Les cieux vont me tuer après avoir entendu ça... Bon, tant pis !
Il avait tout juste quitté l'Enfer pour les cieux et il avait le droit d'y résider en tant que visiteur jusqu'à ce qu'il prouve être digne de devenir un ange. Déjà qu'il n'était pas apprécié par la hiérarchie et que sa nature démoniaque lui faisait défaut, le ralentissant considérablement dans sa quête de salut, le voilà à proliférer les bonnes paroles à la mauvaise personne. Avait-il réellement pardonné une meurtrière ? Fronçant les sourcils et se préparant mentalement à subir les foudres de ses supérieurs, il soupira et se reconcentra sur la petite chose entre ses mains.
— Peu importe ! De toute façon, ils vont m'éjecter de là-haut avant que je ne fasse mes preuves ! Autant terminer ce que j'ai débuté... Donc, les personnes qui sont là-bas, lui dit-il en pointant la maison, as-tu souffert à cause d'eux ? Je peux te venger si tu le souhaites, j'en ai le pouvoir.
Il se garda bien de préciser qu'il n'en avait pas le droit, puisque les anges n'étaient pas censés être des instruments de vengeance. Définitivement, il ne convaincrait pas les cieux aujourd'hui de sa bonne volonté !
— Alors ? insista-t-il. Devrais-je les torturer des heures et des heures pour que tu les observes brûler dans la douleur ?
Elle eut l'air horrifié par cette proposition et finalement il révisa ses plans, quelque peu déçu de ne pas reprendre du service en tourmentant des humains.
— Dans ce cas, devrais-je leur faire comprendre que ce n'est vraiment pas bien ce qu'ils t'ont fait ? D'ailleurs, que t'ont-ils fait, gamine, pour que tu finisses dans cet état ? Tu me parais pitoyable.
Elle pinça les lèvres et il présuma qu'elle ne lui expliquerait rien. Il haussa les épaules et se redressa, les pieds tournés vers la maison. L'homme leva ses deux mains, les yeux luisant d'un doré ardent. Produisant des étincelles, il claqua des doigts. La maison partit en fumée dans la seconde. Les flammes s'élevèrent, impérieuses, et engloutirent tout ce qu'elle contenait. Satisfait, il pivota de nouveau et se figea sur le coup de la stupéfaction. La jeune femme avait disparu. Il lança un regard circulaire et s'aperçut qu'elle essayait d'escalader la haie au fond du jardin. Les bras croisés et la mine incrédule, il s'exclama sans bouger :
— Pour information, l'une des personnes qui était là-dedans est partie avant les flammes ! Par conséquent, gamine, fais attention à toi ! Je t'ai aidé cette fois, mais je ne serais pas toujours là pour te protéger !
L'homme ricana sans se douter d'à quel point il avait tort.
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Lui qui veille sur elle
ParanormalQui ne rêve pas qu'un homme fort, beau et dévoué veille sur soi, à tout instant ? Pour Lorelei, il s'agit bel et bien d'un rêve éveillé. Depuis ses dix-huit ans, à son retour d'un coma, un homme la suit et la protège. Après plus d'une décennie ave...