Philippe Blanchard était un homme spécial, à la personnalité sombre et mystérieusement sordide, au physique désagréable et déséquilibré, et aux atouts inexplicablement précieux. Son franc-parler lui octroyait une prestance sincère, mais il se révélait hypocrite et intéressé dès qu'il cessait sa mascarade. Ses épais sourcils dissimulaient des yeux vicieux et luisant d'arrière-pensées. Ses lèvres charnues aux coins irrités et surplombées d'une barbe mal-rasée prononçaient des mots alambiqués emplis de fourberie. En somme, il était un personnage crapuleux, que Lorelei aurait préféré éviter. Pourtant, elle se tenait face à lui et à sa posture relâchée, dénotant clairement qu'il n'en avait rien à faire d'être dans cette pièce.
— Pouvons-nous débuter l'interrogatoire ? J'ai un planning chargé, mais si vous tenez à prendre un petit café avant, je ne m'y opposerais pas !
Même sa voix était énervante. Mais, Lorelei n'eut pas le temps de s'agacer, car elle tiqua à son comportement. Blanchard s'était exprimé en faisant des allers-retours de regards entre elle et son avocat, David, avec un air lubrique. Qu'était-il en train de sous-entendre ? Connaissait-il leur relation ?
— Nous commencerons tout de suite, trancha David.
Lorelei oublia très vite ses réflexions et elle replongea dans son esprit, où elle avait stocké plusieurs questions pour lui. Elle s'empara de son ordinateur, l'ouvrit et écrivit quelques formalités. Elle ne put s'empêcher de remarquer l'état de David. Il semblait tendu, gêné et à l'étroit dans la salle.
— Selon vous, les témoignages de vos soi-disant victimes sont invalides et purement inventés. Pourtant, ces jeunes gens ont partagé dans leur déposition des détails très précis sur ce qu'il se serait déroulé. S'il s'agissait réellement de mensonges, d'histoires créées de toute pièce, comment ont-ils pu donner des informations exactes à la police, comme votre adresse ou vos habitudes ?
Blanchard, avisé, ne répondit pas immédiatement. David avait sûrement dû lui conseiller de prendre son temps et de bien réfléchir.
— Que voulez-vous que je vous dise ? Ma p'tite dame, j'ai déjà expliqué que ces jeunes se trouvent à un âge où ils s'ennuient, où ils ont besoin d'attention et où ils font parfois, ou souvent, des conneries. Vous me reprochez de les avoir abusé ou peu importe, mais vous vous basez sur des arguments sans fondement. Est-ce que vous vous rendez compte que vous détruisez mon business, des années de travail, à cause de merdeux ! Oh, ils doivent bien rigoler ! Grâce à vous, ils se marrent bien, eh oui !
David croisa ses mains sous la table et baissa légèrement la tête, son regard planté sur la table. La procureure comprit sur-le-champ que quelque chose clochait. Était-ce sa façon de la prévenir que son client mentait ? Ou était-ce un geste inconscient qui trahissait ses émotions ? Blanchard pivota vers son avocat et lui murmura une phrase à l'oreille, qu'elle n'entendit pas, en la pointant du doigt. Il voulut parler, mais se ravisa finalement. Lorelei n'appréciait vraiment pas l'atmosphère étouffante de la salle.
— Revenons à ma question, je vous prie. Comment ont-ils eu accès à des informations personnelles ?
— Demandez-leur ! s'insurgea Blanchard. En me suivant ou en empiétant sur ma vie privée !
— Soit. Toutefois, ils ne sont pas les seuls à témoigner d'une attitude douteuse de votre part. D'autres mineurs, plus jeunes encore, se sont plaints d'une sorte de harcèlement qui viendrait d'une insistance et d'une volonté à obtenir des services.
— Non mais c'est fou ! ragea-t-il. Vous m'accusez à tort ! Vous le savez, hein ?
Ni Lorelei, ni David n'intervinrent et il se tempéra de lui-même.
— Apparemment, j'aurais suffisamment de temps pour entretenir un réseau de prostitution et aussi pour pourchasser des gamins dans la rue afin qu'ils rejoignent mon armée de prostitués ! C'est ridicule !
— D'où sortent ces témoignages, dans ce cas ?
— Un désir de me nuire ! Ou de s'occuper ! J'ignore leur raison, mais ils me pourrissent la vie avec votre aide ! C'est scandaleux !
En fait, elle reconnaissait dans ses paroles l'influence de David. Il n'était pas rare que les avocats suggèrent de réagir excessivement pour que les interrogatoires durent moins longtemps ou que l'interlocuteur se lasse. Or, la procureure n'était pas prête à le laisser tranquille. Elle tapa ses réponses méticuleusement et ne démontra pas une seconde ses émotions, neutre et indifférente à son indignation. Qu'il se fatigue. Elle avait également ses propres stratégies. D'un côté, cela l'irritait que son ami – parce qu'elle le considérait ainsi – aide cet homme à se tirer d'affaire, mais elle ne pouvait pas l'en blâmer ; il faisait simplement son métier.
— Si je résume, sommes-nous d'accord pour affirmer que vous niez totalement les accusations ?
Cette fois, David fut plus rapide que son client. Il se redressa et posa ses mains entremêlées sur la table, le dos droit.
— Mon client nie toutes les accusations concernant le proxénétisme sur mineurs, le harcèlement sexuel sur mineurs, ainsi que le vol et l'escroquerie.
Lorelei constata qu'il n'avait pas mentionné l'un des chefs d'accusation. La corruption de mineurs. Elle fronça les sourcils et se heurta aux orbes mi-ravis, mi-courroucés de Blanchard et ceux nonchalants de David. Un ange passa entre eux, mais elle n'était pas en mesure de continuer l'interrogatoire, puisque l'avocat se leva et s'enquit :
— Ce sera tout ?
Quelque peu obligée et pressentant qu'elle ne recevrait aucune déclaration de Blanchard, Lorelei acquiesça et ils se serrèrent la main, puis se séparèrent. L'accusé s'en alla promptement, comme s'il avait un train à prendre, tandis que David traîna. Il rangea lentement ses affaires et fut surpris de retrouver la procureure dans le couloir du commissariat, le front plissé. Il soupira presque et l'accompagna jusqu'à l'extérieur, s'arrêtant à une poignée de pas de sa voiture.
— Juste pour être sûre, susurra-t-elle, hésitante, votre client n'est pas au courant que nous nous connaissons en-dehors de notre travail.
David ne répliqua pas, mais s'humidifia les lèvres.
— D'accord, je vois, lâcha Lorelei, amèrement. Je suppose que ce renseignement a fuité maladroitement lors d'une de vos conversations. N'est-ce pas ?
— Je n'avais pas prévu d'évoquer ce point avec Monsieur Blanchard, concéda-t-il. Je m'en excuse, ce n'était pas professionnel.
Elle respira profondément, mais finit par déclarer :
— Pas de soucis ! Ce devait être un accident !
A nouveau, il ne pipa mot. Lorelei souffla lourdement et se retourna en le saluant. Sur le point de monter dans sa voiture, David fit le tour et au bord de la route, il se pencha sur elle.
— Ne vous approchez pas de lui, s'il vous plaît. Ne restez jamais dans la même pièce en privé. S'il vous contacte, raccrochez et...
Il ne termina pas. David perçut sa respiration chaotique et tenta d'y remédier. Il recula et partit de l'autre côté de la rue. Lorelei demeura pantoise et incertaine. Qu'était-elle censée en déduire ? Cette affaire la rassurait de moins en moins. Pour ne pas que ses pensées la submergent et qu'elle refasse une crise de panique, elle grimpa dans sa voiture et roula vivement. Qui était véritablement Blanchard ? Cette question la hanta toute la nuit et les nuits suivantes. D'habitude, Alexander l'enlacerait une minute et elle se sentirait mieux, mais...son ange gardien avait déserté.

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Lui qui veille sur elle
ParanormalQui ne rêve pas qu'un homme fort, beau et dévoué veille sur soi, à tout instant ? Pour Lorelei, il s'agit bel et bien d'un rêve éveillé. Depuis ses dix-huit ans, à son retour d'un coma, un homme la suit et la protège. Après plus d'une décennie ave...