Aux alentours des vingt heures, Lorelei et Alexander terminèrent leur dîner et il débarrassa naturellement pendant qu'elle but les dernières gorgées de son eau pétillante.

— Tu es allé voir le garçon ? 

Il se figea à cette question particulièrement soudaine. Il cligna plusieurs fois des paupières, se demandant s'il avait bien entendu et ce qu'il devait interpréter, mais elle l'éclaira :

— Alexandre, le garçon dans le coma. Tu es allé le voir, n'est-ce pas ?  

— Non, répondit-il avec nonchalance. Pourquoi serais-je...?

— Ce n'est pas le première personne dans le coma que nous rencontrons lors d'une affaire, rappela-t-elle. Une dame dans la cinquantaine, je me souviens encore que les médecins la pensaient condamnée. 

Il déposa enfin la vaisselle dans l'évier dans un geste désordonné et il se retourna en affichant un fin sourire. Il saisit le torchon et fit mine de s'essuyer les mains. Lorelei se leva à son tour et s'approcha de lui. Alexander ne parvenait pas à lire dans son esprit, à deviner ce qu'elle s'apprêtait à dire, ni où elle voulait en venir, et cela l'inquiéta quelque peu. Il ne bougea pas, ancra son regard dans le sien et attendit. Elle se planta à une poignée de centimètres, si proche qu'il distinguait clairement les courbes que prenaient ses mèches brunes, et il eut presque l'envie de glisser ses doigts dans sa chevelure ondulée. Leurs souffles se seraient mêlés si elle n'était pas plus petite que lui. Elle sentit néanmoins sa respiration heurter délicatement son front. 

— Elle s'est réveillée deux semaines après le procès, après que son agresseur est pris la réclusion criminelle pour trente ans.  

— Quelle heureuse coïncidence, murmura-t-il sur un ton doucereux. Non seulement elle peut continuer sa vie là où elle l'avait laissé, mais en plus son agresseur ne risque pas de venir l'embêter à nouveau. 

— C'est merveilleux, oui, souffla-t-elle. 

Ils se fixèrent un moment ; Alexander envisagea de s'éloigner d'elle autant que possible, car il ne supportait étrangement pas leur proximité, mais il paraîtrait suspect à fuir de la sorte. Alors, il ne pipa mot. Brusquement, elle posa son verre dans l'évier et s'exclama :

— Tu t'occupes de la vaisselle ce soir, je suis fatiguée !

Il hocha rapidement de la tête et elle se décala enfin, souriante. Il lui rendit son sourire dans une grimace crispée et elle sembla satisfaite. Lorelei lui tapota gentiment l'épaule pour l'encourager dans sa tâche et elle le regarda faire un peu, appuyée sur le plan de travail. Elle repensa au message d'Astrée, qu'elle s'était empressée d'effacer au cas où il fouillerait dans son portable, et ses traits se pétrifièrent. La prêtresse n'avait strictement rien trouvé chez eux, puisqu'elle n'en avait guère eu le temps. Elle l'avait averti de l'intervention inattendue d'un certain Jayden qui était à priori très proche de son ange gardien ; pourtant, elle ne connaissait personne de ce nom-là. Elle voulut le questionner à ce propos, mais se ravisa. A la place, elle chuchota une phrase qui le fit frémir.

— Ce serait bien qu'Alexandre se réveille, lui aussi. 

— Ah oui ? ne put-il s'empêcher de lâcher.

— Oui. Ce serait fantastique qu'il reçoive l'aide d'un ange, comme moi.  

— Ah... Ce serait bien, je suppose, oui.

— Mais ce serait également bizarre. Tu ne trouves pas ?

 — Pourquoi ce serait bizarre ? rétorqua-t-il, vivement.

— Entre cette femme et Alexandre, il y a peu de chances que les deux se réveillent à la suite du procès.  

— Lorelei Zauberin, la sirène ensorceleuse, peut-être que tu portes chance ! pouffa Alexander en plongeant dans ses yeux. Qui sait ? 

Lui qui veille sur elleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant