IV

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Elle se réveilla tôt pareillement à tous les autres matins, son téléphone réglé à cinq heures. Elle aurait adoré se retourner dans sa couette chaude, se rouler dedans, s'étirer et rêvasser un moment avant de finalement commencer sa journée du bon pied. Mais elle se rendormirait à coup sûr. 

Déterminée, et ayant pris l'habitude de ne pas regretter son doux et attirant matelas, elle se força à se lever, de bonne humeur si possible. L'esprit encore embrumé, perdu dans des songes dont elle ne se souviendrait plus, elle tituba jusqu'à sa salle d'eau, réajustant son pyjama. 

— Oh mon dieu, maugréa-t-elle. Quelle tête !

La vue dans le miroir lui soutira un petit rire cristallin. Elle était absolument horrible à regarder ; entre les traces rougeâtres de ses draps qui s'opposaient à la définition même du sexy, ses cheveux normalement lisses qui s'étaient ébouriffés et emmêlés sur son crâne, ses lèvres gercées et le trait d'eye-liner de la veille qui avait coulé, Lorelei ressemblait à une véritable sorcière. Celle qui effrayait les enfants. Elle pouffa en se regardant une seconde fois. Elle attrapa son arme de guerre : le gant de toilette. Elle frotta son visage sans hésitation, effaçant toutes les preuves de sa laideur matinale. 

Se débarrassant de ses habits de nuit, elle pensa brièvement à la nuisette qu'elle avait achetée quelques mois auparavant ; jamais elle ne l'avait enfilée en dehors de la cabine d'essayage. Pourtant, elle suivait bien ses formes longilignes, elle les sublimait, mais personne ne pouvait le lui faire remarquer. Elle ne se montrerait pas à Alexander dans cette tenue et elle n'avait pas de mari ou d'amies proches devant lesquelles la brune pouvait se pavaner. Et puis, ce n'était pas son genre, au final.

— La vendeuse la présentait si bien et j'aime bien dépenser de l'argent pour des vêtements que je ne porterais pas, ironisa-t-elle. 

Lorelei attrapa un legging long et une paire de baskets, elle coinça le bas à l'intérieur des chaussures. En plein mois de mars, le froid se faufilait encore dans les maisons et glaçait les habitants d'Annecy. Elle mit un pull léger et une veste de sport par-dessus. Elle brossa à la va-vite ses cheveux et les noua en une queue de cheval serrée. Après s'être rincée le visage et brossée les dents, elle rejoignit son salon. 

En traversant le couloir, elle se stoppa une seconde face à une porte qu'elle ouvrit silencieusement. Les ténèbres parcouraient la pièce, et un faible ronflement presque imperceptible s'élevait. Rassurée qu'Alexander dorme toujours, elle referma la porte, se dirigea d'un pas décidé à l'entrée et sortit après avoir pris ses clefs, son portable et sa carte bleue. En prenant l'ascenseur commun à tous les appartements, elle croisa son voisin.

— Je refuse de vous comprendre, vous les sportifs ! Vous vous pressez de vous exhiber à ceux qui préfèrent manger du chocolat dans leur croissant dès les premières heures du jour ! Bande de surhumain, grommela-t-il.

— Saviez-vous, Monsieur, déclara-t-elle d'un sourire poli, qu'au bout d'environ quarante minutes nous sécrétons de l'endorphine ? Une sorte de drogue qui nous procure de la joie. Le chocolat dans les croissants, c'est votre drogue à vous.

— Extraterrestres, souffla-t-il.

Elle emprunta des ruelles qui la conduisirent jusqu'à une route bordant un parc. A cette heure-ci, aucun enfant ne l'avait envahi ; durant une longue heure, elle tria ses pensées, les ordonna et médita sur l'unique procès qu'elle dirigeait aujourd'hui. Pour une fois qu'elle n'enchaînait pas les affaires ! Elle devrait en profiter pour se reposer. Cependant, au grand dam d'Alexander, Lorelei occupera son temps libre à s'avancer pour les jours prochains, ne souhaitant pas accumuler les dossiers.

Lorsqu'elle jugea s'être suffisamment défoulée, la joggeuse dévia plus près de chez elle, où se situait à l'angle de deux avenues un café réputé pour ses pâtisseries authentiques. Elle s'approcha du comptoir, respirant assez bruyamment. Une serveuse, qui la connaissait bien, s'amusa de son état et se demanda derechef comment elle pouvait courir de si bon matin et par ce froid. Après de chaleureuses salutations, Lorelei commanda un expresso long et un chausson aux pommes. Ensuite, elle s'isola dans un coin, siégeant face à la vitre, observant les passants et s'interrogeant sur leur vie. A cause ou grâce à son métier, elle savait distinguer les différents types de regards, elle sondait parfaitement les gens.

Lui qui veille sur elleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant