Dervis se plut à contempler les toits parisiens, les bâtiments haussmanniens qu'il avait d'ailleurs aidés à créer, et les quelques espaces de verdures qui résistaient encore à l'urbanisation. Il aimait beaucoup la capitale française ; il y avait vécu longtemps après avoir cessé de voyager dans le monde entier. Il s'agissait de la seule ville qui était parvenue à l'aguicher de la plus romantique des façons. A l'époque, il avait décidé de poser ses bagages naturellement, sans réfléchir aux conséquences, sans penser qu'il s'attacherait un peu trop. Il n'imaginait pas qu'il voudrait de son propre chef devenir l'ami des mortels au point de sociabiliser avec les habitants de son beau quartier et...il n'avait pas imaginé rencontrer une femme comme elle.
Les paupières tombantes, les yeux vides, debout sur le toit de son ancien appartement, le vent dans les cheveux et les mains entrelacées dans son dos, son long manteau ruisselant contre les lignes maigres de son corps millénaire ; Dervis avait l'air fatigué, presque incapable de soutenir son poids. Paris lui faisait cet effet-là à chacune de ses visites, mais il ne s'y accoutumait jamais, retournant dans sa ville de province en étant exsangue.
— Te voir avec cette tête mélancolique m'épuise, le Vieux ! Viens t'asseoir et bois ta bière, tu te sentiras mieux !
Immédiatement, un sourire dérangea le visage nonchalant de Dervis et il pivota souplement vers son meilleur ami, prenant place à ses côtés.
— Je boirais bien cette bière si tu m'en laissais, Crapule ! maugréa le vieux démon.
— Il en reste, là, regarde !
Alexander dégaina la canette et la secoua pour le prouver.
— Un fond de bière, voilà ce que notre amitié vaut ! s'exclama Dervis, théâtral.
— Ne suis-je pas assez gentil de te garder quelques gouttes ?! s'outra faussement Alexander.
— Merci, merci, oui, c'est très aimable de ta part !
Sur cet échange futile, l'atmosphère se détendit et la tension émanant de Dervis se transforma en sérénité qui les réchauffa. Ils se passèrent la canette jusqu'à la finir et Alexander la fit disparaître d'un geste de la main. Il ne quittait plus des yeux son meilleur ami qui était occupé à observer le paysage avec une neutralité déconcertante. Rares étaient les fois où il n'était pas ébloui par la beauté de la capitale ; il se préparait à quelque chose d'important, de troublant et de dangereux pour son cœur.
— Pourquoi cette gravité dans ton regard de renard fourbe, le Vieux ?
Dervis soupira et son souffle se mêla au vent frais. Il ne répondit pas tout de suite et Alexander ajouta d'un ton curieux :
— Franchement, qu'est-ce que nous fichons ici ? Clairement, nous ne fuyons pas Lila Loch, puisqu'elle pourrait débouler et casser l'ambiance d'une minute à l'autre. Nous ne sommes pas là pour boire de la bière. D'ailleurs, tu m'étonnes ! Tu préfères habituellement les grands crus ! Que se passe-t-il réellement ?
Hésitant, Dervis se mordilla la lèvre inférieure, fronça les sourcils et son front se plissa. Cela ne lui ressemblait pas. Il parut subitement en proie à un doute tenace qui l'empêcha de répliquer quoi que ce soit. Alexander patienta. Après tant d'années, il savait que son ami se confierait bientôt et qu'il fallait lui octroyer une brève minute de méditation interne – c'était sa manière de dire qu'il était tourmenté, mais qu'il avait besoin de former les mots dans son esprit avant de les prononcer. Finalement, le vieux démon se leva sur ses longues jambes osseuses et se posta au bord du toit. Il regarda dans le vide, se pencha et ses pieds firent un pas supplémentaire. Il chuta librement et en toute élégance.
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Lui qui veille sur elle
خارق للطبيعةQui ne rêve pas qu'un homme fort, beau et dévoué veille sur soi, à tout instant ? Pour Lorelei, il s'agit bel et bien d'un rêve éveillé. Depuis ses dix-huit ans, à son retour d'un coma, un homme la suit et la protège. Après plus d'une décennie ave...