Dervis commença enfin à préparer l'élixir qui accorderait à la prêtresse une nouvelle vie, après avoir allongé Lorelei sur canapé. Elle avait été inconsolable et il avait parfaitement saisi la raison de ses sentiments torturés. Il avait eu une conversation similaire avec son épouse. Rosaline n'avait cessé de lui répéter qu'il était libre et qu'il pouvait partir à tout instant ; qu'en tant que démon, il n'avait pas à rester auprès d'elle par simple courtoisie. Il avait lutté longuement pour qu'elle le croie lorsqu'il affirmait désirer vivre mille existences à ses côtés. Qu'est-ce que c'était vrai. Une mortelle ou une ange déchue, qu'importe ce qu'elle était, son funeste destin l'avait rattrapé trop tôt. 

Il soupira à ces souvenirs et essuya une larme vagabonde qui entravait sa vue. Dervis broya les pétales de la Fleur du Diable – qui avait été plutôt décevante à découvrir, ressemblant à toutes les autres roses de la nature – dans un bol, afin de créer une sorte de pâte rouge vive. Il ajouta de l'eau et fit apparaître dans le creux de sa main un liquide mystérieux et verdâtre. Il mélangea le tout et apporta le breuvage dans la chambre. Jayden se trouvait toujours au chevet de sa belle et le vieux démon eut un bref mouvement de recul en le voyant, il lui semblait reconnaître sa mère dans chacun de ses traits. Secouant la tête, il s'assit de l'autre côté du lit et tourna une dernière fois sa mixture, faisant apparaître des flammes violacées. 

— Oncle Alexander est rentré, constata le jeune homme. Je n'ai pas osé vous déranger, j'ai entendu beaucoup de pleurs... Est-ce qu'il...?

Dervis le coupa vivement. 

— A en juger par ses blessures et par le manche du poignard coincé dans sa chair, je dirais qu'il a combattu la créature de la seconde grotte, une guerrière à l'apparence monstrueuse dont certains disent qu'elle était une magnifique femme auparavant et qu'elle aurait subi cette hideuse transformation de son propre chef dans le but de protéger les trésors pour le restant de l'éternité. Donc, un adversaire millénaire de taille et avec une détermination sans faille. Néanmoins, je ne m'inquiète pas pour Crapule. Il est fort, tu le sais. Plus fort que...

— Plus fort que tous les enfers réunis ! termina Jayden. 

Sans plus de cérémonie, le vieux démon glissa son bras dans le dos de la prêtresse et redressa son bus, aidé par son fils. Il lui ouvrit les lèvres et fit couler l'élixir, tout en appuyant sur sa langue en la maintenant en place pour ne pas qu'elle s'étouffe. Jayden se rapprocha de plus en plus d'elle jusqu'à presque coller son visage au sien, sa bouche pendante d'impatience, les yeux écarquillés d'espoir. Dervis lui-même ne put cacher sa nervosité. Tous deux attendirent une poignée de secondes qui s'éternisèrent.

Quand soudainement, Astrée inspira profondément et toussota, ses mains cherchant à s'accrocher à quelque chose. Elle agrippa la veste de Dervis et le bras tendu de Jayden ; probablement n'avait-elle pas l'énergie nécessaire pour rouvrir les yeux, car ses paupières demeurèrent closes encore quelques minutes. Son corps se penchait en arrière et ils la couchèrent pour la mettre à son aise. Le blond calma son agitation en caressant sa majestueuse chevelure, sanglotant en silence sûrement pour ne pas inquiéter la prêtresse.

— Je vous laisse, déclara Dervis. Je vais vérifier que Lila Loch ne profite pas de ton oncle ! 

Il se leva sous la petite mine de son fils. Il tapota son épaule dans un geste qui se voulait rassurant.

— Prends soin de cette gamine, fils. Vous vous méritez l'un l'autre. 

Dervis disparut aussitôt, mais il n'atterrit pas chez lui ; il effectua un léger détour à Paris où il combla son envie pressante d'admirer Constance. Dans l'appartement, Lorelei se réveilla en sursaut et s'apprêta à accourir dans la chambre pour voir Astrée, mais elle se stoppa nette en pensant à Jayden et à la prêtresse. Ils préféreraient être seuls un moment. Alors, elle se positionna en tailleur et pensa à tout ce qui était advenu récemment. D'abord, elle apprenait que son compagnon de quinze ans était un démon, puis qu'il n'en était pas un, mais qu'il était suffisamment puissant pour résister aux tours démoniaques de la Baie des Supplices et enfin qu'un pacte l'avait enchaîné à elle. C'était bien trop pour son pauvre esprit de mortelle et elle n'arrivait pas à réfléchir correctement. 

Lui qui veille sur elleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant