— Madame la Présidente, pour incendie volontaire entraînant la destruction d'un bien d'autrui, en espèce la voiture de Monsieur Jean, je demande une peine de six ans d'emprisonnement avec sursis, ainsi que huit cents euros de dommage matériel et deux cents euros de dommage moral.
Cette phrase sonna le glas dans l'esprit du prévenu. La voix de Lorelei se heurta aux murs du tribunal, elle résonna. Le silence dévora l'impatience du public curieux assistant au procès. Son réquisitoire terminé, elle n'hésita pas à tourner les talons et se rasseoir derrière son bureau.
— Le tribunal se retire pour délibérer.
Lorelei pouffa et releva la tête dans un mouvement méprisant. Elle observa la réaction du prévenu. Il gigota sur sa chaise, menotté, et il essaya de parler à la juge qui se levait déjà et s'éclipsait. Elle ne lui prêta aucune attention, alors qu'il la suppliait de revenir et d'écouter ses arguments. Des policiers se tenaient derrière lui, matraques à la ceinture ; ils le surveillaient avec la plus grande attention. S'il bougeait trop, il ne retournerait pas en cellule dans le même état que ce matin. La Procureure détestait ce genre de spécimens. Ils se croyaient capable de commettre un délit et s'en sortir par la suite. Elle avait d'ailleurs failli manquer les preuves cruciales et le laisser s'en tirer. Il avait mené tout le monde par le bout du nez avec ses airs innocents. Or, elle voyait clair dans son jeu désormais ! Et dans quelques minutes, elle savourerait sa mine abattue, quand il se rendra compte de son échec cuisant.
Elle se leva et s'avança vers lui, s'arrêtant au centre de la salle d'audience, près de la barre. Les bras croisés contre sa poitrine, elle attendit sans prononcer un mot. Le prévenu l'aperçut et il darda sur elle un regard ténébreux. Sans les policiers, il lui aurait bondi dessus dans la seconde. La salle était vidée du public et il se permit donc de ricaner méchamment, en se redressant. A son geste, les matraques se rapprochèrent de lui, mais il s'en moqua.
— Mettre le feu à la voiture de cet homme et menacer de faire flamber sa maison, ce n'est clairement pas ce qu'un ami aurait fait. Parce que, oui, Monsieur Jean vous considérait comme un ami, un proche. Tous ceux qui ont été entendus l'ont confirmé. Il n'y a que vous qui ne l'avez pas compris. Sachez-le.
— Qu'est-ce que ça peut me faire ? cracha-t-il, au sens littéral. Me déstabiliser ? Vous espérez que j'éprouve de la culpabilité ? Ce con se pavanait à longueur de journée, lui et sa fortune ; il me demandait toujours des services et il ne me les rendait jamais ! Il se foutait de ma gueule ! J'ai le droit d'obtenir ma part...
— Vous étiez son ami, conclut-elle. Vous interprétiez mal ses intentions. Il vantait vos mérites auprès de son entourage et...il cherchait même à vous trouver un emploi stable... Lorsque vous sortirez de prison, prière de discuter avec les gens avant d'incendier leur voiture.
— Je n'irai pas en prison ! protesta-t-il avec un aplomb légendaire. Vous avez peut-être gagné ce procès, la juge me mettra sûrement en tôle, mais je vais m'en tirer ! Mon avocat me l'a dit ! Je vais faire appel et je vais continuer ma vie tranquillement sans qu'une Procureure merdique tente de m'arrêter.
— Que c'est beau de se bercer d'illusions.
Lorelei pivota. Elle cacha son sourire cinglant à cet homme. Qu'il soit criminel ou non, elle ne devait pas montrer sa désapprobation envers lui. Dans un sens, elle ne voulait pas qu'il se souvienne d'elle comme de la méchante Procureure. Elle n'exerçait pas son métier pour le plaisir. Elle détenait seulement le rêve dérisoire de nettoyer la terre des pires êtres humains en les emprisonnant là où ils ne feront plus de mal.
— Ma poule ! l'interpella-t-il et elle haussa un sourcil, en se stoppant nette. Que c'est beau de se bercer d'illusions.
Les policiers plissèrent leur front, dubitatifs. Ils n'eurent pas le temps de réagir. Happé par une rage frénétique, il bouscula un flic et cogna l'autre, puis il bondit vers elle. Il ressemblait ainsi à un fauve, mais il ne l'effraya pas un instant. Lorelei ne bougea pas d'un centimètre. Tout se déroula en une poignée de secondes. Enchaîné à ses menottes, il voulut utiliser sa jambe qui fendit l'air et se trouva à deux doigts de frapper violemment la femme. Pourtant, elle ne cilla toujours pas, droit comme un piquet. Le son des chaussures qui couraient dans sa direction, les claquements des pas, les deux hommes qui s'élançaient sur le prévenu ; elle ne redouta pas la collision. Immobile parmi l'agitation de la salle.
VOUS LISEZ
Lui qui veille sur elle
ParanormalQui ne rêve pas qu'un homme fort, beau et dévoué veille sur soi, à tout instant ? Pour Lorelei, il s'agit bel et bien d'un rêve éveillé. Depuis ses dix-huit ans, à son retour d'un coma, un homme la suit et la protège. Après plus d'une décennie ave...