— Que vas-tu faire ?

Présentement, Alexander avait une main posée sur son torse et l'autre s'était agrippée au tissu du canapé dans un réflexe de douleur. Il couina à la question de Dervis qu'il ignora superbement et se concentra pour vider son esprit. S'il voulait arrêter d'avoir mal, il devait oublier les voix dans sa tête qui lui hurlaient de rejoindre Lorelei. Tous ses sens en éveil, il ressentait la souffrance de sa protégée, il ressentait même la vie s'échapper d'elle et pourtant il n'esquissait pas le moindre mouvement, assis dans la maison de son meilleur ami en combattant ses désirs. De plus en plus pâle au fil des minutes, il savait qu'elle n'en avait plus pour longtemps.

— Pour une raison que je ne saisis pas, marmonna Dervis, tu refuses de la sauver. Puisque tu es décidé à attendre sa mort, aie au moins l'obligeance de te tenir à ses côtés. Tu le lui dois.

Il souhaitait plus que tout se téléporter auprès d'elle, la guérir et la consoler, mais elle avait été plutôt claire, et ce depuis le premier jour. Certes, la jeune femme qu'il avait rencontrée par hasard dans le jardin d'une maison et celle qui était prête à mourir en haut d'un hôpital avait espéré un sauveur, mais jamais n'avait donné son accord pour conclure leur pacte. Il le lui avait imposé, parce qu'il était amusé, perplexe et envoûté par ses longs cheveux bruns et ses beaux yeux, sans se soucier de son avis. Elle n'avait pas accepté ces quinze dernières années, il les avait volées ; au lieu de simplement lui tendre la main, il avait jugé sans lui demander qu'elle avait besoin d'un nouveau départ et lui avait effacé la mémoire impunément. 

— Si elle n'aspire plus à être sauvée, que suis-je censé faire, le Vieux ? Et puis..., ne penses-tu pas qu'elle a suffisamment souffert ? Son heure était venue...à l'époque. J'ai prolongé son existence, décision qui a plue à la hiérarchie uniquement parce qu'ils connaissaient le destin qui se profilait pour elle et moi. Ils m'ont confié la mission de l'aider seulement dans le but de savoir si nous survivrions à notre sort commun. 

— Ce que tu es dramatique..., murmura Dervis pour lui-même et il haussa le ton, et tu es en train de manquer l'essentiel ! Un sort commun, exactement ! Un destin qui implique d'être ensemble ! Comment le vaincre si vous vous désunissez au moment crucial ? Tu veux que je te dise ce qui se passe réellement dans ton esprit tordu et buté ? Tu t'es entêté toutes ces années à rejeter la faute sur ta curiosité, mais ce n'est pas la curiosité qui t'a poussé à la sauver ! Tu l'as fait pour une autre raison et tu en as parfaitement conscience. Maintenant, cesse de te voiler la face et vole à son secours, comme tu en as si bien l'habitude ! 

Malgré son ton sans appel et ses yeux expressifs, Dervis ne suffit pas à convaincre son meilleur ami. Ce dernier, se morfondant pitoyablement sur le canapé, était plongé dans des pensées sans queue ni tête et essayait surtout de ne pas méditer sur les mots du vieux démon. Selon Alexander, c'était bel et bien la curiosité, ou peut-être sa bonne humeur, qui l'avait attiré dans la vie de Lorelei. Il ne voyait pas l'évidence et faisait volontairement l'autruche, tout en sentant les souffles ultimes de la brune. Inconsciemment, il se mit à divaguer et songea qu'à sa mort il pourrait reprendre sa vie d'avant, pleine de débauche et de malice. Il quitterait les cieux et redeviendrait le farceur qu'il avait toujours été en tant qu'ange déchu. 

— Tu souffriras, Alexander !

Surpris que son meilleur ami utilise son prénom et stupéfait par l'emploi de sa voix rauque, Alexander releva vivement le visage vers lui. Appuyé sur la table basse devant lui, Dervis le jugeait sévèrement.

— Une souffrance que tu n'as jamais expérimenté, tu supplieras qui le peut de t'aider à aller mieux, mais tu n'iras jamais mieux ! Jamais ! Une torture telle que tu auras l'impression de mourir chaque seconde de ton éternité ! Tu ne dormiras plus la nuit à cause de tes cauchemars où elle te hantera sans cesse. Tu ne te reposeras plus en journée à cause des images d'elle qui reviendront encore et encore dans ton esprit. Tu ne cligneras plus les yeux de peur de la revoir. C'est ce que je subis tous les jours depuis que Rosaline est partie ! tonna-t-il. Et quand tu croiseras une personne qui lui ressemble, tu auras beau te persuader du contraire, tu l'associeras toujours à ta bien-aimée. Tu n'auras plus une minute de répit, tout te rappellera à quel point tu étais heureux avec elle. Tout ! Seras-tu capable de le supporter ?  

Lui qui veille sur elleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant