Lorelei ouvrit lentement les paupières avec les quelques forces qu'elle parvint à mobiliser. Elle ne put bouger ses bras ou redresser le visage, alors elle se contenta de contempler le ciel. Ignorant sciemment l'immeuble où, elle en était sûre, David la fixait du haut de sa fenêtre, elle compta les étoiles dans un silence complet. Le ciel lui tint compagnie de la sorte pendant plusieurs secondes, ou des minutes. Elle ne saurait le dire avec certitude. Son corps meurtri et quasiment vidée de son sang, elle ne pleura pas. Ou, du moins, elle n'autorisa qu'une larme à serpenter le long de sa tempe. Au lieu de se lamenter ou de paniquer, elle profita de chaque instant de sa mort, même le plus douloureux.
Son destin avait essayé de la prévenir toutes ces années, elle le comprit enfin. A partir de sa rencontre avec Alexander jusqu'à ce jour, son sort n'avait pas été scellé, mais elle avait fonça droit dans le piège et celui-ci se refermait sur elle maintenant. Soit elle le tuait, soit il la tuait ; soit elle le détruisait, soit il la détruisait ; sauf s'ils gagnaient ensemble contre le sort. Ils n'avaient pas gagné.
Lorelei sourit doucement et elle aurait pouffé si elle le pouvait. La réalité la frappa de plein fouet : il était cet homme, celui qui avait brûlé la maison qui l'avait retenu prisonnière durant cinq longues années. En fin de compte, Alexander et elle avaient été liés depuis le début, inséparables mais inévitablement en danger à cause de l'un et l'autre. En la sauvant, il l'avait condamné à vivre avec David à ses trousses, ainsi qu'avec le poids de ses remords et de sa haine à supporter pour le restant de ses jours.
Toutefois, elle ne saisissait pas comment elle aurait pu causer sa perte. Ils ignoraient tous deux qu'il était surveillé par les cieux à l'époque et que, s'il ne lui avait pas tendu sa main, elle serait morte dans ce jardin et il aurait été par conséquent banni du monde céleste, un vagabond sans but pour l'éternité. Ils s'étaient mutuellement sauvés. Il lui restait désormais à interpréter les lignes de son destin pour son futur. Devait-elle ou pouvait-elle le convoquer et faire en sorte qu'il la sauve ? Devait-elle ou pouvait-elle mourir ? Même avec les souvenirs de toute la souffrance que son oncle lui avait fait subir, de ses années de captivité dans la cave humide de cette maison infernale et son meurtre qu'elle avait commis dans un désespoir infini, Lorelei ne se souvint pas d'un pacte. Elle ne savait donc pas pourquoi il était enchaîné à son existence de mortelle insignifiante. Elle voulait toujours le libérer par sa mort, mais la voilà sur le point de réussir à accomplir sa promesse envers lui et elle hésitait.
Finalement, la mort n'avait pas l'air accueillant. Les ténèbres lui faisaient peur et ne lui plaisaient pas. Le nom d'Alexander traversa son esprit, mais elle le chassa. Lorelei se replongea dans son admiration du ciel et elle se posa des questions sans grande importance pour elle. Y avaient-ils des anges qui la regardaient actuellement ? A quoi les cieux ressemblaient-ils ? Irait-elle là-haut ? Certainement pas après avoir tué un autre être humain. A quoi l'Enfer ressemblait-il ? Si les démons aimaient en faire partie, ce devait être un endroit charmant. Cette fois, elle gloussa et cracha un filet de sang en même temps, amusée par sa réflexion. Elle n'y croyaient pas le moins du monde, mais cela la détendait. A l'aise parmi ce silence, ses paupières papillonnèrent et elle sentit la fin approcher.
— Petit moineau, tu abandonnes si vite... Je t'imaginais plus combative !
Elle rouvrit les yeux aussi promptement qu'elle le put et croisa les yeux malicieux de Lila Loch. Souriant à travers la douleur de son corps, elle tenta de lui répondre en vain. Penchée au-dessus d'elle, l'ange soupira et secoua la tête pour montrer sa déception. Elle s'assit avec manière, c'est-à-dire en faisant miraculeusement apparaître un draps qu'elle posa par terre pour ne pas salir sa magnifique robe noire en dentelle et transparente qui semblait très onéreuse.
— Ne me touche pas, petit moineau, je ne voudrais pas que tu taches ma toute nouvelle tenue. Je l'ai acheté juste pour toi ! Je la mettrais aussi à tes funérailles pour rentabiliser le prix.
Sans surprise, Lorelei ne répliqua rien, mais l'ange pouvait presque devenir ses pensées. J'étais paisible jusqu'à ce que tu débarques, elle aurait certainement dit quelque chose du genre.
— Tu étais tellement têtue lorsque je suis venue te voir la première fois, reprit Lila Loch. Tu insistais encore et encore pour parler à Alexander. Il s'était éloigné de toi pour t'éviter à vivre ce moment...quel destin sournois vous avez tous les deux ! Fuis-moi je te suis, suis-moi je te fuis ! De ce que j'ai appris de votre histoire, vous avez toujours été ainsi. Quand tout était calme entre vous, tu maintenais une certaine distance pour ne pas t'attacher à lui à cas où il partirait et quand la situation commençait à s'envenimer ou que tu cherchais à percer à jour les secrets de ton passé, il te fuyait. Vous avez joué à un jeu dangereux...que vous n'avez pas encore perdu ! s'étrangla-t-elle en ricanant. Mais, je ne miserais pas sur vous même si je le voudrais volontiers. Vous avez tendance à vous battre contre le sort lorsque ce n'est pas nécessaire et à baisser les bras lorsque le gain devient important. Tu as parié sur ta mort, Alexander réagira-t-il suffisamment vite pour te sauver une énième fois ? Je suis curieuse de le savoir.
Lila Loch marqua une pause en soufflant, lasse. Elle leva les yeux au ciel et elles scrutèrent les étoiles, chacune demandant à ce que le sort soit plus clément. Lorelei apprécia étonnement la présence de l'ange ; sans arrogance, ni superflus, cette petite femme à la chevelure aussi sombre que son passé était plutôt agréable et presque amicale.
— Je peux te rendre ton dernier souvenir, murmura Lila Loch. Celui qui pourrait te décider à appeler Alexander. Cela m'embêterait, puisque j'ai encore un espoir fou de pouvoir être aimée de lui, mais... Quelque part au fond de moi, je me dis que...je n'ai pas envie de te laisser partir sans rien faire... Je comprends si bien ce qu'il a ressenti quinze ans plus tôt. Tu es sincère Lorelei, une sincérité qui découle de ta souffrance. Involontairement, ton âme brisée incite les démons à te pourchasser et se battre pour t'obtenir à la fin. Les anges, eux, désirent te sauver. J'aimerais que tu saches de quel côté se trouvait Alexander à l'époque où il t'a aidé. Ce pourrait être ton ultime souffle sur terre, ainsi je te souhaite un bon voyage au monde des morts si tu décidais de ne pas te battre pour vivre.
Elle acquiesça intérieurement. Lorelei n'aurait jamais pensé mourir à ses côtés, mais pourquoi pas. De toute manière, rien ne s'était passé comme prévu dans sa vie. Fille de ses parents, elle avait été séparée d'eux par un odieux assassinat et avait vécu en tant qu'esclave et souffre-douleur du meurtrier, puis mettant un terme à la tyrannie, elle était devenue une meurtrière à son tour. Elle s'était libéré par le sang et par le sang elle libérera Alexander.

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Lui qui veille sur elle
ParanormalQui ne rêve pas qu'un homme fort, beau et dévoué veille sur soi, à tout instant ? Pour Lorelei, il s'agit bel et bien d'un rêve éveillé. Depuis ses dix-huit ans, à son retour d'un coma, un homme la suit et la protège. Après plus d'une décennie ave...