Les prémices de la Justice

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Seule, sans personne pour la protéger, elle cauchemarda encore une fois. Elle aimerait rêver d'un chevalier en armure scintillante qui la sauverait de tous les dangers, bravant n'importe quel périple pour elle. Mais, elle n'était pas dans un conte de fée et son esprit ne lui autorisait pas ce genre de songes. Ses nuits étaient très différentes de ses espérances.

Elle courait, trébuchait, s'écroulait au sol et ne pouvait pas se relever, paralysée. Une main s'agrippait violemment à sa cheville et la tirait en arrière, l'enfermant de nouveau dans la cave qu'elle avait tout juste fui. Elle se préparait aux coups, recroquevillée, et pleurait en silence.

Seule.

Quatre heures trente du matin, le réveil sonna et elle se réveilla en sursaut, s'extirpant difficilement d'un énième cauchemar. Sa nuit encore plus mouvementée que les autres se vit clairement sur ses traits crispés et fatigués, en particulier ses cernes qui s'assombrissaient de jour en jour. Oubliant les visions terrifiantes qu'elle venait de quitter, ses jambes se balancèrent automatiquement hors du lit étroit, grinçant et constitué d'un matelas aussi fin qu'une feuille de papier posé au sol. Elles la menèrent jusqu'au bout de la pièce, autrement dit à moins d'un mètre. Elle saisit une robe au tissu rigide et unicolore, enleva la tenue similaire qu'elle utilisait pour dormir et la remplaça par celle-ci. Elle sentit une odeur de sueur et réfléchit à la façon de lui demander de nettoyer ces deux vêtements. Il lui dirait probablement non, mais elle ne supportait plus sa propre puanteur.

Elle se coiffa les cheveux avec ses mains et attendit. Cinq minutes après son réveil, la porte se déverrouilla. C'était la dame à l'allure nonchalante qui travaillait ici. Armande. Elle lui ouvrait toujours à la même horaire, c'est-à-dire quand elle arrivait. Les deux ne se parlaient pas trop. Souvent la femme lui jetait des regards en biais ou amorçait un mouvement vers elle pour s'exprimer, mais elle se ravisait toujours. Avec le temps, elle avait compris pourquoi. La domestique ne voulait pas être rude ou méchante avec sa cadette, mais si elle lui adressait la parole, elle aurait envie de l'aider, ce qui lui attirerait des ennuis. Donc, elles ne discutaient jamais ensemble.

La jeune de dix-huit ans grimpa les marches, s'éloignant enfin de la cave. Chaque jour, elle bénéficiait de cinquante-cinq minutes avant qu'il se réveille. Elle en profiterait bien, mais le temps lui était compté. D'abord, elle se dépêcha de rejoindre la petite salle de bain qu'utilisait la domestique et elle se brossa les dents avec son doigt. Puis, elle gagna promptement la cuisine et croisa les yeux sombres d'Armande. Elle ne lui fit aucun commentaire, mais son comportement sous-entendait qu'elles avaient beaucoup de préparations à faire et qu'elles ne pouvaient pas gaspiller une minute.

Elle suivit son rythme, habituée aux silences. Armande entreprit de cuisiner le petit-déjeuner et elle le fit plus copieux que les autres matins ; elle eut du mal à se souvenir de la raison. Elle se plongea dans ses pensées, tout en pétrissant la pâte à gâteau, et se remémora d'une de ses phrases prononcées la veille. Son fils, par conséquent un ennemi potentiel, était rentré la veille à la maison à cause d'une fermeture de son internat dû à des manifestations. Elle présuma donc que cette nourriture supplémentaire lui était destinée. Cependant, la domestique commença à sortir de la viande et des légumes, ce qui signifiait qu'elles feraient aussi le déjeuner. La curiosité piquée, elle ne put se retenir de la questionner.

— Pourquoi s'occuper du déjeuner maintenant ? Nous le ferons une fois qu'il sera parti.

Armande soupira et prit grand soin de ne pas accrocher son regard au sien. De nouveau, elle avait cette expression au visage qui l'inquiéta ; celle qui lui laissait penser qu'elle était désolée, mais ne pouvait rien faire pour elle.

Lui qui veille sur elleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant