Dans la pièce d'à côté, David Bartel s'était assis face à un petit homme, maigrichon et à la peau flétrie. Les cernes pesant sous ses yeux épuisés, il avait déposé sur la table en fer son bob et triturait la ficelle avec ses doigts rugueux. L'avocat le salua et se présenta, lui tendant sa carte où son numéro de téléphone était inscrit en italique. Il lui indiqua de l'appeler en cas de besoin et Bonnet sembla reprendre contenance à ce moment-là. Il se dressa correctement sur la chaise et illumina légèrement son visage dans le but évident de paraitre poli, bien que ses préoccupations se lisaient toujours sur ses traits.
— Avant toute chose, je souhaiterais savoir pour quelle raison vous n'avez pas répondu à mes mails. Avez-vous un problème de connexion internet ou des difficultés à vous procurer un outil de communication ? s'enquit David. Auquel cas, nous réfléchirions à un autre moyen pour converser, vous et moi.
— En fait..., hésita Bonnet, penaud, je ne voulais pas prendre d'avocat au début. J'avais lu qu'il était possible de se représenter soi-même, mais...je ne sais pas si j'en aurais eu la force.
— Honnêtement, il vaut mieux que vous ayez un avocat, Monsieur Bonnet. Votre cas est...
— Perdu d'avance ! coupa-t-il. Je suis au courant. Je me suis renseigné.
— Non, il n'est pas vraiment perdu ! En toute transparence, Monsieur Bonnet, je ne suis pas là pour prouver votre innocence dans cette affaire et je vais même vous conseiller de plaider-coupable, mais nous reviendrons sur ce point dans quelques minutes. Le truc, si vous me permettez de parler familièrement, ce n'est pas que vous ayez enlevé et gardé Atangana pendant un certain temps, puis que vous l'ayez frappé au visage et aux côtes. Le truc, c'est que vous l'avez avoué à la police où vous avez apporté le suspect présumé de l'agression de votre fils. Sur les caméras de surveillance, des rues et du commissariat, vous y êtes clairement vu en train de le traîner, les mains ligotées. Pour prétendre le contraire, il faudrait avoir un sacré culot ! Vous ne m'engagez pas pour vous éviter une peine, mais pour la minimiser.
Il avait parlé lentement et avec un ton délicat qu'il ne prenait qu'avec les clients pour lesquels il éprouvait un peu de compassion. Il condamnait bien entendu les actes de son client, car personne ne devrait essayer de faire la loi de son propre chef et certainement pas en l'enfreignant ; mais, occasionnellement, il existait des cas où l'infraction de la loi devenait moins grave par rapport à l'action accomplie. Toutefois, si Atangana n'avait pas été saisi par la justice et que Bonnet l'aurait dénoncé à la façon d'une séquestration, alors l'affaire aurait été plus simple. Or, l'agresseur de son fils subissait déjà une enquête approfondie au moment de son enlèvement, ce qui a simplement démontré une impatience mordante de la part du père ! Celui-ci acquiesça et attendit que son avocat lui explique la marche à suivre. Un bon point pour lui : il semblait calme et prêt à faire des efforts pour coopérer et s'en sortir.
— Pour information, ce qui se passe dans cette pièce restera entre nous et je suis tenu au secret professionnel, vous le savez. Donc, j'aimerais que vous me disiez franchement vos motivations. Etiez-vous poussé par une volonté de vengeance ou était-ce réellement une tentative de faire accélérer la justice ?
— Plus personne ne mentionnait mon fils...
Le soupir de Bonnet brisa quelque chose en David, mais il ne le montra pas et demeura neutre. Il invita d'un signe de main le père à s'ouvrir à lui.
— Les manifestations en son hommage, les articles de journaux, plus personne ne racontait ou défendait son histoire. Les premiers mois, notre famille a reçu un tel soutien que le tribunal a immédiatement décidé d'autoriser l'enquête sur...Atangana.
Ce nom lui écorcha la gorge.
— Depuis longtemps, mon fils a été oublié et Atangana n'a cessé de gagner des appuis. Tout le monde le protège ! Ils protègent l'homme qui a envoyé mon fils dans le coma !
Sa voix vibra et résonna dans la salle. En effet, David avait lu dans les articles de l'année dernière que le fils était plongé dans le coma et qu'il ne s'était pas encore réveillé. Il hocha de la tête machinalement et cacha d'autant plus la pitié qu'il éprouvait pour cette famille. Pour une fois qu'il défendait un homme bon. Malheureusement, à cause de son métier, peu importe si ces clients n'étaient que bonté, s'ils se retrouvaient face à lui, ils étaient dans la majorité des cas des criminels ou des délinquants.
— Continuez, je vous prie, dit-il en maîtrisant l'étranglement dans sa voix.
— Je voulais seulement rappeler aux flics que ce type était toujours en liberté, qu'ils continuaient à boire avec ses potes, qu'ils criaient toujours dans la rue sur des pauvres gosses, qu'il s'approchait toujours trop des femmes le soir, complètement bourré, et qu'il profitait toujours de sa jeunesse, pendant que mon fils se tenait entre la vie et la mort. Et moi aussi.
— Croyez-moi, vous avez réussi. Mais, pas de la manière convenable.
— Croyez-moi, imita Bonnet sans ironie, j'en suis conscient. Et je paierai pour ce que j'ai fait.
Pourtant, il était visiblement soulagé. Il avait sûrement croisé Atangana en venant ici et il était sincèrement satisfait que le procès approche enfin. Par son coup de force, il avait obligé la justice à s'activer. Les manifestations des communautés noires et homosexuelles prenaient une ampleur si dangereusement proche d'une guerre entre les deux que le tribunal devait prononcer son verdict au plus vite, afin de limiter les dégâts. David ne justifiait pas les gestes de son client, mais il le comprenait et, sans qu'il ne puisse le lui dire ou l'admettre, il était de tout cœur pour lui, que le coupable soit bel et bien l'accusé ou non. Il lui souhaitait de trouver le bonheur à nouveau.
— Pour l'instant, je pense qu'atténuer votre peine est largement faisable. Tout d'abord, vous avez séquestré moins de sept jours Monsieur Atangana, ce qui réduit automatiquement votre peine à cinq ans d'emprisonnement. Nous viserons le sursis et la condition de bonne conduite. Aussi, je note que vous êtes la personne qui rapporte le plus gros salaire dans votre foyer et que votre femme est présentement en chômage pour une reconversion professionnelle. Lors des procès, nous prenons en compte les personnalités et les vies privées. Par conséquent, le juge sera plus conciliant avec vous, puisqu'il ne peut pas priver un foyer de son revenu principal trop longtemps.
— Puis-je vous demander une information à propos d'Atangana ? fit-il, lentement.
— Oui, allez-y.
— Si j'obtiens des circonstances atténuantes, aura-t-il des circonstances aggravantes ?
L'avocat lui adressa un rictus en coin qui lui fit froncer les sourcils. Bonnet s'interrogea sur ce sourire espiègle et David lui glissa sur un ton de confidence :
— Là, derrière ce mur, ma collègue procureure se charge de l'affaire Atangana. Elle est une des meilleures dans son domaine, faites-moi confiance sur ce point. S'il s'avère que le suspect est le coupable, elle soumettra au juge la peine qui lui revient. Je n'entrerais pas dans les détails, mais je vois déjà des circonstances aggravantes évidentes dans son cas et Madame Zauberin ne les oubliera pas !
A nouveau, Bonnet se décrispa et s'exprima sans la tension qui pesait sur ses épaules. David continua de discuter avec son client des différents moyens d'alléger sa peine ; il l'interrogea plus profondément sur le soir où il avait enlevé Atangana et il lui promit de faire son possible pour l'aider. Les deux affaires, au coude à coude, présageaient des procès tenant en haleine et dont le résultat était encore imprévisible. Tout dépendait des juges, de la vérité et surtout de l'impartialité.

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Lui qui veille sur elle
ParanormalQui ne rêve pas qu'un homme fort, beau et dévoué veille sur soi, à tout instant ? Pour Lorelei, il s'agit bel et bien d'un rêve éveillé. Depuis ses dix-huit ans, à son retour d'un coma, un homme la suit et la protège. Après plus d'une décennie ave...