II

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— Des crudités et une purée de patate douce, accompagnées d'anguilles au four. Quoi ? Pourquoi ce sourire béat ? Hein ? Dis-moi.

— C'est juste que..., hésita-t-elle, ses lèvres s'étiraient de plus en plus. Alexander, je commence sérieusement à me poser des questions sur toi ! Tu es littéralement capable de forcer la porte de la salle de bain pour t'assurer que je ne m'y suis pas noyée - au passage, je suis une grande fille et je sais me gérer toute seule - et la seconde suivante, tu joues au majordome en dressant la table et en me servant mes plats.

— Quel est le problème là-dedans ? pouffa-t-il.

— Eh bien, commençons par le fait que tu ressembles au parfait mélange entre un père, un serviteur et une nounou. Ce n'est pas normal. Tu n'es pas normal, Alexander.

— Oui, Madame. Maintenant si Madame me permet, je lui coupe sa viande pour ne pas qu'elle se blesse elle-même. N'est-ce pas ? Dois-je commenter l'autre jour ? 

— Je ne me serais pas coupée avec le couteau si tu ne m'avais pas distraite ! accusa Lorelei en riant nerveusement. 

— Peut-être que si tu tenais correctement ta fourchette et que tes aliments ne s'en échappaient pas, je n'aurais pas eu à t'avertir que tu tachais ta robe de Procureure. Alors ? Quelque chose à ajouter ? Non ! Assis-toi, je te prie, je meurs de faim à cause d'une certaine personne qui nécessite des heures pour se laver !

Dans son pyjama trois pièces, la jolie brune obéit et elle prit place à leur table entourée uniquement de deux chaises. Elle songeait à en acheter une autre, plus grande et qui pourrait accueillir ses invités pour les rares occasions où elle conviait des gens chez elle, mais elle n'était jamais rentrée dans une boutique d'intérieur. Il semblerait qu'elle ne veuille pas d'intrus dans sa maison ; la présence d'Alexander lui suffisait. 

— De toute manière, continua-t-il, nous habitons ensemble depuis...quoi ? une quinzaine d'années. Je te connais par cœur, ingrate, donc nourris-toi bien et épaissis-toi un peu.

Et voilà. Il le mentionnait une fois de plus. Elle sourit encore plus ; il répétait les mêmes reproches en boucle et ne la laissait pas tranquille lorsqu'elle commettait des erreurs, mais elle se trouvait heureuse d'entendre ces phrases qu'elle anticipait désormais. Telles des rengaines, une musique dont elle ne se lasserait jamais.

— Demain matin, je me lève tôt, informa-t-elle. Désolée, mais nous ne regarderons pas de films ce soir !

— Oh, méchante ! s'insurgea Alexander, en gloussant. Dès que je te propose ce film-là avec les zombis, tu me sors une nouvelle excuse ! Qu'est-ce que tu m'as dit la dernière fois ? Ah oui ! Que tu devais amener le chat de ta copine au vétérinaire et que tu étais stressée, que tu devais absolument dormir pour te reposer.

— Pure vérité ! argua Lorelei, en avalant une bouchée d'anguille. 

— Tu détestes les chats, protesta-t-il. Un jour, je t'attacherai au canapé et je t'obligerai à garder les yeux ouverts pour regarder ce fichu film !

Elle mâchouilla calmement ses crudités, mais ses lèvres s'abaissèrent, ses paupières clignotèrent et sa voix tremblota :

— Mais...tu sais que je ne supporte pas les films d'horreur.

Alexander arrêta de manger et il releva son regard blasé pour le plonger dans le sien. Tentait-elle de le faire culpabiliser ? Il soupira et posa sa fourchette. Terminant d'avaler, son ton tranchant résonna dans leur cuisine :

— Ce film n'effraie pas, il s'agit d'une histoire d'amour ridicule comme tu les aimes. Bien mielleuse, naïve et déprimante de niaiseries ! J'insiste pour le voir, parce que je devine déjà ton avis : tu vas l'adorer !

Lorelei ne rechigna plus du repas. Bien sûr, elle finit son assiette sans hésitation, consciente que cet homme était un dieu de la gastronomie ; puis, elle lut un peu pendant qu'il s'occupait de la vaisselle. Elle ne faisait pas grand-chose dans leur appartement ; le ménage de temps en temps et la lessive si elle y pensait. Sinon Alexander exécutait l'intégralité des tâches ménagères  et il ne se plaignait jamais. Parfois, cette façon de fonctionner la gênait et elle lui suggérait de diviser les corvées en deux, mais il refusait catégoriquement. Soi-disant elle s'exténuait déjà trop pour son travail, il lui interdisait de se fatiguer à la maison également. 

Au fur et à mesure de sa lecture, elle ne s'arrêta plus et les vingt-trois heures sonnèrent. Alexander, qui s'agitait dans sa chambre pour une raison quelconque, débarqua dans le salon où elle s'était assise, dans son fauteuil moelleux, et il se dirigea vers elle par automatisme. Il lui ôta son livre des mains et elle ravala ses contestations. Ce genre de scènes arrivait tous les soirs, ils étaient tous deux habitués. Il glissa ses mains dans son dos et sous ses genoux, et il la souleva d'une aisance machinale. Elle enroula ses bras autour de son cou et se renfrogna. Lorelei n'appréciait vraiment pas son côté surprotecteur. Il l'infantilisait de plus en plus. 

— Pose-moi, exigea-t-elle d'une voix effacée.

— Minute papillon, nous arrivons dans ta chambre ! 

Il la déposa directement dans son lit, sous les draps qu'il rabattit sur elle. Alexander la borda et ses doigts caressèrent même son front une seconde. Il lui sourit et amorça un mouvement de recul pour sortir, mais Lorelei attrapa le bout de sa main. Si vite qu'il se surprit de ce contact.

— Souhaites-tu un verre d'eau ? Une tisane ? s'enquit-il en s'agenouillant au bord du matelas. 

— Je souhaite que tu sois moins parfait, répondit-elle, très sérieusement.

— Moins parfait ? hésita l'homme. Oh, crois-moi, ma chère, je suis bien loin de la perfection, mais je fais des efforts pour toi... Je présume que je t'étouffe souvent, mais n'interprète pas en mal mes intentions. J'espère juste que tu ne te fatigues pas trop et que tu restes en bonne santé.

— Je le sais, certifia-t-elle et elle déglutit, mais tu offres tellement de ta vie pour moi et je n'ai pas l'impression de te rendre cette attention. 

— Ne t'inquiète pas, il me suffit de te voir sourire. Tu me le promets ? De toujours sourire. 

Elle hocha sa tête à la verticale et cela plut énormément à son vis-à-vis qui arborait un gigantesque rictus ravi. Alexander enleva les plis dans les draps, prenant soin à ne pas froisser son pyjama bleu marine en soie, et il se courba un instant. Elle reçut un tendre baiser sur le front et Lorelei l'observa partir, éteignant la lumière et refermant sa porte derrière lui. Apaisée, elle s'endormit immédiatement.

Lui qui veille sur elleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant