Lorelei ne sut identifier les talons claquant au sol, ni le froissement des tissus ou l'air qui voletait dans des cheveux corbeau. Toutefois, elle sursauta et cria de peur à l'apparition soudaine et improbable d'une Lila Loch amusée dans son bureau, à son appartement. Astrée n'était pas là, car elle avait insisté pour rester seule chez elle. 

— Pas besoin de hurler de la sorte, petit moineau !

Aussi étonnant cela puisse être, tout en Lila Loch inspirait la confiance. Du moins, au premier coup d'œil. Ses jambes courtes et sa taille menue, ses brais maigrichons et son ample robe fleurie surplombée d'un kimono à la japonaise atteignant ses mollets, ses boucles lisses et soyeuses aussi, et ses beaux yeux pétillants décorés de fard à paupières rosé, ses lèvres étaient charnues et chargées d'un rouge pétant. Ses boucles d'oreilles en diamant tombaient sur ses épaules et faisaient écho à son collier argenté qui pendant sur sa discrète poitrine. Se grandissant avec ses talons, elle paraissait vraiment petite, mignonne et joyeuse. Ce qui n'était pas totalement faux. Mais, elle cacha d'abord sa véritable nature vicieuse et d'une jalousie maladive.

— V-Vous connaissez Alexander ! fut les premiers mots qui sortirent de la bouche de Lorelei.

Lila Loch se racla la gorge et croisa les bras avec un air supérieur. La procureure se leva immédiatement de son siège et se pencha en avant dans un mouvement d'impatience.

— Alexander ? Je connais bien un Alexander, mais...il ne peut être celui que, toi, tu connais. Car il ne te fréquenterait jamais ! Jamais, jamais ! insista-t-elle, méchamment, en gardant son sourire charmant.

— Alexander Drukhän ? 

— Oh ! s'exclama faussement Lila Loch. Oui, c'est bien lui ! Mais c'est étrange ! D'habitude, il ne s'attarde pas sur des...êtres inférieurs dans ton genre. Tu me suis ? Il préfère la classe, une personne comme moi, quoi !

— L'auriez-vous vu récemment ? Savez-vous où il est ?

L'agitation de la brune mêlée à sa naïveté courrouça Lila Loch qui se renfrogna et ancra ses talons dans le sol, ne disant plus un seul mot. Elle attendit que Lorelei change de sujet ou évoque le fait plutôt miraculeux qu'elle soit arrivée dans son bureau en se téléportant, mais elle n'ajouta rien et fixa la femme aux cheveux sombres avec espoir. L'ange poussa un soupir théâtral et ne retint pas les vibrations dans sa voix, ressemblant à un chiot en colère.

— Comment êtes-vous entrée dans ma maison ? Qui êtes-vous ? Avez-vous des pouvoirs ? Mon dieu, j'ai peur ! Au Voleur ! singea-t-elle. Je ne sais pas, fais un effort, joue le jeu ! Bon sang que tu n'es pas drôle ! Je viens de me téléporter sous tes yeux et tu penses uniquement à ce con d'Alexander ! 

— Il n'est pas con ! s'insurgea aussitôt Lorelei.  

— Il est con et, toi, tu es la Reine des connes pour le soutenir après qu'il t'ait abandonné !

Les mots firent l'effet d'un électrochoc. Elle savait qu'Alexander l'avait laissé à ses démons, mais elle n'apprécia pas le terme d'abandon. Elle vacilla et chuta dans son fauteuil, déboussolée. Lila Loch la regarda d'un œil à moitié intéressé. Cette procureure ne représentait aucun intérêt, mais elle chercha à comprendre pourquoi son amant avait sacrifié quinze ans pour la protéger. Elle n'avait ni valeur, ni potentiel ; il ne couchait pas avec elle, ne profitait pas de son coma pour s'amuser avec sa vie ou ses sentiments et il n'essayait pas de la duper. Il l'avait seulement accompagné tout ce temps sans récompense.

— Comptes-tu l'attendre ? Il ne reviendra pas. Tu as brisé l'unique règle, ou je-ne-sais-quoi, et il ne te pardonnera pas.

Subitement, Lorelei reprit des couleurs et se releva, confrontant Lila Loch d'un regard tempétueux.

— En quoi est-ce de ma faute ?! Qui que vous soyez, ne vous mêlez pas d'une histoire dont vous ne comprenez rien ! 

— Je n'y comprends rien ? Je sais bien plus que toi, petit moineau ignorant ! As-tu partagé une de ses étreintes sensuelles qui attisent les flammes dans le ventre, as-tu murmuré à son oreille des paroles qu'il n'oubliera jamais, ou as-tu fait briller ses yeux d'excitation grâce à ton corps ?

— Non, moi, je ne rampe pas aux pieds des hommes, je me respecte !

Le sous-entendu déplut clairement à Lila Loch dont les joues s'embrasèrent. Elle serra les poings et contracta la mâchoire, prête à bondir sur cette insolente. Mais, Lorelei ne se démonta pas et réfléchit avec attention à la meilleure répartie. Tout compte fait, elle n'aime pas cette femme à la mine délicate. Elle était une vipère mélangée à une hypocrite et elle voulait l'éjecter de son appartement. 

— Pour moi, il est revenu chaque jour depuis quinze ans. Est-il retourné dans vos bras aussi longtemps ? Je ne crois pas ! Maintenant, dites-moi où je peux le trouver !

Et c'est là qu'elle saisit l'attirance étrange de son amant pour cette pauvre femme. Lila Loch vit en elle une détresse qui déchirait le cœur et émouvait les plus sensibles. Lorelei faisait pitié. De la plus pittoresque des manières, elle semblait perdue dans ce monde, à bout et sans personne pour supporter le poids sur ses épaules. Elle était incroyablement pitoyable. Sans pouvoir s'en empêcher, l'ange lâcha un rire bruyant, aigri et cruel qui créa un sentiment de malaise en la brune. Quand elle fut calmée, elle la dévisagea de haut en bas sans merci et planta son regard dans le sien perplexe. 

— Je te transmettrais volontiers cette information, crois-moi. J'adorerais que tu te traînes devant lui et qu'il te rejette, mais il ne souhaite pas te recroiser de sitôt et je ne contrarierais pas sa volonté. Rêve et espère encore un peu, ta chute n'en sera que plus dure ! 

— Pourquoi êtes-vous si horrible avec moi ? s'outra Lorelei.

— Tu ne mérites pas son attention, c'est agaçant, répondit calmement Lila Loch. Tu découvriras peut-être un jour ce qui l'a mené à te suivre partout et honnêtement j'ai de la peine pour toi. Prie pour que ce jour n'arrive pas. 

— Je lui fais confiance et je persiste à penser que je le connais mieux que vous ! 

— Certes, certes, persiste, persiste, la confiance est faite pour se fragmenter. Tu as déjà trahi la sienne en cherchant à savoir son identité, il ne se gênera pas pour détruire la tienne.

Sur ce, Lila Loch s'envola sans plus de cérémonie, mais Lorelei ne démordait pas. Si Alexander l'avait accompagné quinze longues et difficiles années, il devait avoir une bonne et juste raison. Elle lui faisait réellement confiance.  

Lui qui veille sur elleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant