Lui qui veille sur elle

XII

Ni mot, ni murmure n'avaient été échangés entre l'ange gardien et sa protégée, tous deux murés dans un silence fragile, incertain et qui cachait un non-dit que Lorelei ne parvenait pas à déchiffrer. Il était concentré sur sa conduite, prenant garde à la ramener chez eux, et il fronçait assez les sourcils pour lui donner un air qu'elle ne lui connaissait pas. Alexander paraissait tendu, les jointures blanches accrochées au volant. Elle sentait qu'une pluie s'abattait sur eux, que le nuage noir dansait au-dessus de leurs têtes et que l'orage ne tarderait pas. Mais, n'était-elle censée être celle qui éprouve de la colère ? Il l'avait laissé seule et à la merci du monde. 

Lorelei n'eut guère le temps de se poser la question, puisqu'il gara sèchement la voiture et en sortit en toute hâte, comme s'il était pressé et qu'il aspirait à terminer sa tâche au plus vite pour s'en débarrasser. Elle le regarda silencieusement faire le tour du véhicule et ouvrir sa portière avec brusquerie. La jeune femme demeura immobile, les mains croisées sur ses genoux, la ceinture de sécurité en place, et elle vissa son regard inquisiteur dans le sien nonchalant. Tandis qu'elle affichait une moue perplexe et qu'il trouverait adorable dans d'autres circonstances, Alexander contrôla au mieux les émotions qui affluaient en lui et il contracta la mâchoire pour ne pas lui exiger des explications en plein milieu du parking souterrain de leur immeuble. 

— Tu sors ? fit-il d'une voix rauque. Tu n'arrives pas à marcher ? Tu veux de l'aide ? 

— Ne t'inquiète pas pour moi, répliqua-t-elle sur un ton qui s'effaçait au fil des syllabes. 

Malgré ce qu'elle venait de dire, il ne rendait pas l'impression de s'inquiéter de son état ou de sa précédente crise de panique. Le cœur serré pour une raison inconnue, Lorelei quitta enfin la voiture et il se dirigea immédiatement vers l'ascenseur, sans l'attendre.  

— Je...

Son chuchotement se perdit dans l'air. Elle se racla la gorge et recommença avec davantage d'assurance.

— Je suis fatiguée et...j'ai le tournis. Est-ce que tu peux...?

Elle ne put conclure sa requête qu'il revint sur ses pas et glissa ses mains autour de ses épaules, de ses jambes, puis il la hissa et entra dans l'ascenseur sans broncher. 

— Ne suis-je pas trop lourde ? s'enquit-elle, hésitante.

— Je t'ai déjà porté dernièrement, répondit-il. 

— J'aurais dû retourner au bureau et finir de préparer mes prochains dossiers, remarqua-t-elle, subitement.

— Tu iras plus tard ou tu travailleras depuis le salon. Tu le fais souvent, je ne vois pas le problème.

De nouveau, il était dur et indifférent. 

— Pauvre David, il n'a pas dû comprendre ce qu'il se passait..., susurra-t-elle pour elle-même.

— Ne parle pas de lui ! 

Cette montée d'étages fut la plus longue de sa vie. Elle ne bougea pas dans ses bras, paralysée par le tranchant de ses mots. Lorsque l'ascenseur produisit son tintement reconnaissable et que les battant entrouvrirent, Alexander s'empressa de rejoindre leur appartement et la posa lentement au sol pour déverrouiller la porte. Une fois à l'intérieur, il ne la soutint plus et se rua dans le couloir, probablement pour aller dans sa chambre. Lorelei entra à son tour et tituba jusqu'au canapé où elle se laissa choir de tout son long, une sensation d'exténuation brûlant son ventre. 

Il réapparut quelques minutes plus tard, alors que ses yeux papillonnaient et qu'elle s'apprêtait à s'endormir. Elle se força à ne pas somnoler pour être consciente de ses faits et gestes. Alexander s'évertua à faire la vaisselle, les épaules voûtées et semblant focalisé. Elle détailla son dos ferme, la musculature de ses bras en action, ainsi que le dodelinement de sa tête. Il frottait les assiettes avec rythme et force, démontrant une certaine frustration. Lorelei n'avait aucune idée de ce qui l'avait mis dans cet état. Et avant qu'elle n'ait pu le questionner, son portable vibra et elle décrocha machinalement.