Lui qui veille sur elle

V

Assise sur son canapé, Lorelei tenta vainement de se concentrer sur son dossier, mais son esprit partit une fois de plus dans des méditations qui ne s'arrêtaient jamais. Quelques minutes à peine après s'être enfuie loin d'Alexander pour ne pas qu'il constate l'état dans lequel ses mots l'avaient mis, elle avait reçu un texto d'Astrée. Celle-ci l'informait qu'elle devait s'éloigner un moment, ou du moins rester dans l'ombre, à cause de son passé qui la rattrapait, mais la prêtresse lui certifiait qu'elle continuerait à la protéger, même sans se montrer. Rassurée que la jeune blondinette ne l'ait pas abandonné comme lui, elle ne se sentait pas très bien depuis qu'elle avait lu ce message. Premièrement, parce que cela signifiait qu'en public elle serait de nouveau seule ; et parce qu'au final le brun n'y était pour rien.

Elle avait accusé Alexander de l'avoir sciemment isolé, d'avoir chassé la prêtresse, alors qu'il essayait seulement d'aider. Une pointe douloureuse piqua son cœur en repensant à ses paroles. Peut-être qu'il les méritait, peut-être pas. Elle ne parvint plus à réfléchir correctement et finit par lâcher son dossier, puis elle s'allongea en ôtant ses chaussures. Fatiguée et loin d'avoir l'envie de se nourrir, elle envisagea de s'endormir sur son canapé sans dîner. 

C'était sans compter l'arrivée intempestive d'une certaine femme aux cheveux lisses et ruisselant de noir. Qui d'autre hormis Lila Loch viendrait à cette heure-ci la déranger ? Lorelei se redressa immédiatement et ne prit pas la peine de se lever, estomaquée par son apparition soudaine et absolument magique. Elle regarda tour à tour l'intruse et sa porte, confirmant qu'elle s'était téléportée au milieu de son salon. 

Un ange passa entre elles. La procureure ne bougea pas, stupéfaite et ne sachant comment agir avec une personne capable de se téléporter. Lila Loch, elle, fulminait. Les bras croisés, décroisés et de nouveau croisés, les poings se serrant par spasmes frénétiques et la mâchoire contractée, elle fronça ses sourcils et se donna un air méchant qui ne s'accordait pas du tout avec son visage angélique. 

— Tu n'es vraiment qu'une garce ! 

Ce cri aiguë eut le don de réveiller Lorelei qui reprit contenance et se dressa sur ses longues jambes, dépassant Lila Loch de plusieurs centimètres.

— Que faut-il que je fasse pour qu'il ne t'approche plus ?! Hein ? J'ai tout essayé jusqu'à m'induire d'un philtre d'amour qu'il n'a même pas perçu ! Mon plan était simple, efficace et l'échec était impossible. Pourtant, il a échoué ! J'en ai assez que tu me compliques autant la vie. Tu n'aimes pas Alexander, tu ne le connais pas et tu le blesses. Donc, pourquoi te choisit-il ?! 

— Oh, je vois..., murmura Lorelei sur un ton narquois. Vous êtes revenue faire une crise de colère. Allez-y, déversez votre haine inutile. Vous n'obtiendrez pas Alexander de cette façon. 

Dès qu'elle eut terminé sa phrase, Lorelei se figea et remarqua que ce n'était pas du tout son genre d'être acerbe envers qui que ce soit. Cela faisait déjà deux fois qu'elle rencontrait cette femme et par deux fois elle s'était insurgée, outrée aux méchancetés de Lila Loch. Néanmoins, elle en était plutôt satisfaite.

— Et toi, petit moineau ridicule, tu ne l'obtiendras jamais, car j'y veillerais personnellement. 

— Pourquoi vous donner cette peine ? cracha Lorelei. Il ne reviendra pas... S'il vous rejette encore malgré tout, c'est qu'il ne viendra pas vers vous.

Lila Loch poussa un gémissement de fureur et fit mine de vouloir la gifler, mais la procureure recula d'un pas en arborant une mine désabusée.

— En fait, je vous plains. Nous ne sommes pas si différentes. Il nous a vendu du rêve, il nous a comblé d'illusions et lorsque est arrivé le temps d'affronter la vérité en face, il est parti sans un regard en arrière. Il savait que je demanderais à connaître son identité, et ce qu'il s'est passé avant mon réveil du coma, et il savait que vous éprouviez quelque chose pour lui. Mais, nous a-t-il empêché de plonger plus profondément dans nos désirs ? Non. Pour cela, je souhaite le détester, mais je ne réussis pas.