Lorelei rentra chez elle à la suite d'une longue journée éprouvante ; l'esprit plongé dans son dossier en cours, immergé par les questionnements et submergé par les multiples détails de l'affaire, elle n'avait qu'une envie : ôter ses talons et s'allonger. Depuis quelques jours, elle ne mangeait plus le soir pour deux raisons. La première était que le dîner lui demandait un temps qu'elle n'avait pas et cela la déprimer de passer ce moment seule dans sa cuisine. La deuxième était plutôt évident et concernait Alexander. Il n'était pas là pour lui préparer son repas, ni pour discuter avec elle.

La femme repensa à toutes ces années durant lesquelles il lui avait soigneusement cuisiné de bons plats, il avait également participé aux tâches de ménage et même à son travail. Est-ce que le contrat l'avait forcé à agir de la sorte ? Lorelei en eut le haut-le-cœur et le tournis ; elle se dépêcha donc de se jeter sur son canapé. Avachie sans grâce, elle continua de songer à ces moments qu'elle préférerait oublier. A quel point son passé cachait-il des horreurs pour qu'elle ne vienne à transformer un ancien démon et un être aux actuels pouvoirs immensément puissants en homme de maison ? Elle en avait fait la risée de ses compères à cause de contrat. Que s'était-il produit ? 

Toutefois, elle ne put méditer plus longtemps, car un bruit attira son attention. Sa porte d'entrée avait l'habitude de grincer récemment et elle perçut ce son désagréable. Se redressant, elle se fit deux réflexions. Petit un, ce n'était pas normal. Petit deux, elle se souvint ne pas avoir fermé à clef. Lorelei blêmit à cette constatation et enleva enfin ses chaussures pour se lever en silence. A pas feutrés, elle rejoignit le mur de sa cuisine et le longea jusqu'au hall. Elle repéra son parapluie sur le chemin et le saisit. Puis, elle se stoppa nette et se trouva soudainement stupide. C'était tout simplement Alexander qui revenait ! Non...?

— A-Alexander ? C'est toi ? Je t'ai dit de ne plus m'approcher...

Ses mots prononcés sans conviction la firent grimacer, mais elle s'obligea à maintenir un visage indifférent au cas où Alexander apparaîtrait devant elle. Penaude et en suspens, elle attendit qu'il entre dans le salon. Toutefois, elle ne reçut pas de réponses. Lorelei présuma par conséquent qu'il avait changé d'avis et qu'il s'éclipserait sans qu'elle ne puisse le voir un peu. Désappointée, elle ne chercha pas à le retenir... Mais, la porte ne se referma pas. C'était-elle trompée ? 

A priori, oui, à en juger par l'étrange objet qui vola dans son salon, qui fit un bip sonore et relâcha brusquement une fumée blanche et épaisse qui se diffusa dans la pièce. Pétrifiée et incapable de comprendre ce qui était en train de lui arriver, Lorelei hurla en sentant deux mains lui agripper les hanches et la bloquer contre un corps qu'elle confirma ne pas être celui d'Alexander. Elle n'essaya pas de démêler la situation et frappa brutalement son assaillant avec son fidèle parapluie. Il grogna et ravala ses jurons. En conséquence, il raffermit sa prise et lui coupa le souffle en empoignant ses côtes. 

Elle voulut crier une seconde fois et appeler Alexander à l'aide – en espérant que le contrat le fasse venir –, mais les bras inconnus montèrent à sa gorge et serrèrent très fort. Elle suffoqua et se débattit. Lorelei était terrorisée et ses souvenirs rendus par Lila Loch attaquèrent son esprit. Elle s'efforça de ne pas perdre pied, mais elle ne réussit même pas à sangloter tant il la privait d'oxygène. Dans la brume, elle ne distingua pas son assaillant. Une pensée la bouleversa : et si la personne qui l'avait kidnappé à ses treize ans recommençait ? Paniquée, elle gesticula dans tous les sens, en vain. Des vertiges l'emportèrent, elle perdit l'équilibre et sombra dans les ténèbres. 

Cependant, elle n'était pas totalement inconsciente. La fumée l'étouffa et elle toussa à en cracher un poumon. L'intrus empoigna sa nuque pour la tirer en arrière et Lorelei eut l'envie de mourir. Elle ne sut d'où provenait cette envie, mais elle paraissait surgir de son passé, comme un désir qu'elle avait longtemps enfoui en elle. Avait-elle un jour été tenter de mettre un fin à ses jours ? Malgré sa volonté de creuser cette piste, son esprit ne fonctionna bientôt plus, ce qui l'effraya. Elle devina que le moment était venu pour elle de partir dans le chaos et l'ignorance ; elle était horrifiée d'en finir ainsi, sans ses réponses et surtout sans Alexander.  

— Lorelei ?! entendit-elle, un appel inespéré. Qu'est-ce qu'il se passe ici ?

— Ce n'est pas normal toute cette fumée, nota à voix basse un timbre plus rauque. Quelque chose ne va pas. 

— Sans blague, petit malin ! Lorelei ?! 

Les mains la délaissèrent et elle s'effondra sur son sol. Lorelei fut immédiatement rassurée. D'une part, l'inconnu ne l'avait pas emporté ; d'autre part, elle reconnut la voix inquiète d'Astrée et les murmures perplexes de Jayden. Subitement, la présence malveillante à ses côtés courut en direction de l'entrée et la blonde poussa un braillement de surprise. 

— Jayden, rattrape cet enfoiré ! ordonna-t-elle.

 — Je ne suis qu'à moitié démon ! rétorqua-t-il, visiblement effrayé. Comment veux-tu que je...?

— Je m'en moque, appelle ton père à la rescousse s'il le faut, mais suis ce type !

Lorelei discerna des pas qui partaient rapidement et en déduisit que Jayden obtempérait à contrecœur. Son palpitant battait à tout rompre, la peur nouait ses entrailles, mais elle s'obligea à respirer calmement, manquant cruellement d'air. Des talons se précipitèrent devant elle. Astrée s'accroupit et la toucha pour s'assurer qu'elle était toujours vivante. Pour le lui prouver, la brune attrapa faiblement sa main et la pressa sans énergie.

— Bon sang, Lorelei ! bégaya Astrée. Comment fais-tu pour te mettre dans des situations pareilles ?! C'était qui ? Et merde ! ronchonna-t-elle. Je ne te vois pas. Peux-tu te lever ? Si j'avais encore mes pouvoirs, j'aurais repoussé cette fumée ! Comment faisons-nous, humains, pour nous en sortir ?! Tiens mon bras, je vais t'aider. 

Son ton agacé apaisa la procureure en quelque sorte. De par son odeur parfumée et ses mots irrités, Astrée semblait remontée et prête à casser la figure de ce type ; Lorelei se sentit automatiquement moins seule et abandonnée, elle reprit des couleurs et s'appuya sur la blonde pour se relever. Sa cadette la soutint et l'assit sur le canapé. Les talons s'empressèrent d'atteindre les fenêtres, de les ouvrir en grand et de faire coulisser les baies vitrées. L'air s'engouffra dans l'appartement et le libéra peu à peu de cette fumée opaque.

— C'était qui ? s'enquit hâtivement Astrée en prenant place à ses côtés.

L'atmosphère se dégagea et Lorelei pointa sa gorge. Elle ne parvenait plus à parler, chaque petit son lui procurait de la douleur. Astrée se rua dans la cuisine et lui versa de l'eau. Au passage, elle claqua la porte et ferma à clef. Puis, elle lui tendit le verre que la brune but d'une traite avec lenteur.  

— Quel fou furieux achèterait une bombe fumigène pour t'aveugler et te tuer ? beugla Astrée, outrée et gesticulante.

— Quelqu'un qui souhaite garder son identité secrète, répondit Lorelei avec difficulté. 

— De nos jours, tu peux acheter tout et n'importe quoi sur le net ! Tu peux même en fabriquer facilement grâce à des tutoriels qui devraient être interdits ! Tu te rends compte ? Qui sait ce que ce type voulait te faire ?

— Je m'en rends bien compte, répliqua-t-elle, sombrement.

Astrée reçut un message et le lut à haute voix. Jayden avait évidemment échoué.

— S'il n'avait pas discuté et qu'il s'était lancé à sa poursuite ! grommela la blonde.

Elle lui renvoya un texto énervé et le défia de revenir à l'appartement sans rien. Bien qu'elle soit redevenue humaine, Astrée ne s'était pas débarrassée de son franc-parler et de son arrogance vis-à-vis de Jayden. Lorelei se serait amusée de son comportement si sa gorge ne la brûlait pas et qu'elle n'était pas la proie d'un milliard de questions. Celle qu'elle se posait le plus : qui ? Qui la détestait au point de l'agresser chez elle ? Une ombre de son passé, un dommage collatéral de ses procès, un des jeunes adolescents qui n'avaient pas obtenu justice dans l'affaire Blanchard, un être surnaturel ou un total inconnu qui s'en serait prise à elle par plaisir ? Tant de suspects. Elle décida d'exclure sur-le-champ l'hypothèse d'une personne aux pouvoirs magiques, ou les démons qui tournaient autour de son âme, car ils n'auraient pas besoin d'un fumigène pour l'assaillir. 

— Tu habites avec moi jusqu'à nouvel ordre ! imposa Astrée. 

Avant que Lorelei n'ait pu refuser, la blonde s'était déjà levée et se dirigeait vers sa chambre, probablement pour faire ses valises. La brune demeura un instant dans le calme, la fumée dissipée dans le salon mais embrumant ses réflexions. Qui la haïssait et pour quelle raison ?  

Lui qui veille sur elleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant