Lui qui veille sur elle

II

Le #Metoogay n'arrangeait vraiment pas la situation. D'un point de vue personnel, Lorelei était sincèrement soulagée que les victimes d'agressions sexuelles parlent enfin et se confient, faisant avancer la justice et les non-dits. Mais, en l'occurrence, cette nouvelle vague de témoignages résonnait en écho avec l'affaire Atangana et l'opinion publique s'enflammait de plus en plus. Bien que les victimes n'aient pas subi d'agressions sexuelles, mais une agression physique, les gens s'outrageaient d'un fait indubitable et qui ne datait pas d'aujourd'hui : les minorités, notamment la communauté homosexuelle, n'étaient pas suffisamment écoutées. 

Dans sa voiture, elle s'était connectée à un réseau social qu'elle n'utilisait pas d'habitude et elle lisait les commentaires d'inconnus reliant injustement le mouvement à l'enquête en cours ; cela lui donnait l'envie de répondre et de remettre les choses en place, mais Alexander lui avait déconseillé. Selon lui, mieux valait se méfier de la raison sur les réseaux sociaux. Un mot de travers et le net s'embrasait. La voir s'agacer devant son téléphone et marmonner des mots incompréhensibles lui tira un sourire, mais il décida de lui ôter les commentaires des yeux en éteignant son portable. Bien sûr, elle rouspéta.

— Je ne les comprends pas ! Il n'y a aucun rapport entre le #Metoogay et l'affaire Atangana ! 

— Il y en a une, répliqua tranquillement Alexander. Les deux contiennent le mot « gay ».

— Certes ! cingla-t-elle. Sauf que, dans un cas, nous mentionnons des agressions sexuelles et, dans l'autre, il s'agit d'une agression physique.

— Désolé de te le dire ainsi, mais je ne vois pas la différence. Une agression sexuelle est par définition une agression physique.

— Mais Atangana, ou la personne qui a agressée ces jeunes, n'a pas commis d'attouchements sexuels. Donc, #Metoogay et Atangana ne devraient pas être liés. 

— Tout le monde ne cherche pas l'exactitude, Lorelei. Ils existent certaines personnes, c'est-à-dire ceux que j'essaie de fuir le plus possible, qui ne cherchent pas de comprendre. Ils ne fournissent pas cet effort pour une raison très simple. Ils aiment se complaire dans les problèmes et les désaccords. Dès qu'ils repèrent un sujet à débat, ils le relayent, le transforment et l'enveniment pour finalement créer un désordre monstrueux et qui finit par influencer les avis de chacun. 

La procureure grimaça et se renfrogna dans le siège passager. Elle était déjà au courant de tout ceci, mais la société aveugle l'agaçait toujours au plus haut point, peu importe ses tentatives pour s'y accoutumer. Voilà en partie pourquoi elle se tenait éloignée des réseaux sociaux. En fait, elle avait envie d'expliquer aux ignorants à quel point leur jugement ne représentait pas un quart de la vérité. Sans compter que la communauté homosexuelle s'insurgeait d'autant plus contre Atangana et la communauté noire se révoltait avec plus de hargne. Cette affaire n'était plus seulement un moyen de faire s'abattre la justice, mais c'était devenu une arme prête à exploser au visage de l'autre. Les deux minorités avaient leur ambassadeur et il ne restait plus qu'à obtenir un verdict lors du procès.

— Je n'ai pas signé pour ça..., souffla-t-elle.

— Ne mens pas ! ricana Alexander. Tu as choisi ce métier pour ce jour ! Le jour où tu pourras appliquer la justice sans prendre en compte les conséquences, sans privilèges ni préjugés, sans haine ni regret, avec la partialité qui te symbolise tant. 

— Ouah, je dois être bien placée dans ton estime !

— Tu es à la première place ! 

Elle reprit une mine lumineuse et sourit, en se décrispant. Elle se pencha vers la vitre et observa la route défiler comme elle le faisait souvent ; il lui jetait de temps à autre des regards à la dérobée, réjoui que les muscles de son visage se détendent. Depuis qu'elle avait reçu cette affaire, elle apparaissait stressée et il détestait de la retrouver plongée dans des réflexions sans fin le soir, dans son lit, alors qu'elle devrait dormir. Il la préférait largement quand elle se laissait porter par le moment.