Lui qui veille sur elle

VI

La brune s'élançait déjà dans l'avenue, alors que le soleil se levait timidement. Ce matin, elle baillait d'une façon peu gracieuse et elle rêvait de son café bien chaud. Une jambe après l'autre, Lorelei attira les regards sur elle. Pour certains, il s'agissait d'une jalousie envers cette femme qui courait si tôt et qui n'avait pas l'air essoufflé. Pour la plupart, ils admiraient les courbes de son corps, l'élégance avec laquelle ses pieds frôlaient le bitume et la grâce de sa chevelure ébène. Elle n'y prêtait pas attention, se concentrant sur son rythme cardiaque. Elle inspirait et expirait calmement, habituée à ses courses matinales. Sa poitrine se soulevait en des sursauts réguliers qu'elle contrôlait, ses bras contre ses cotes se balançaient en cadence et ses yeux se fixaient sur un point invisible face à elle, la menant toujours plus loin. 

Le voisinage arrêtait peu à peu de la contempler chaque jour, ils ne se questionnaient plus sur cette brune solitaire qui parlait le moins possible et qui ne participait jamais à des soirées entre voisins. Un charmant fantôme qu'ils ne voyaient qu'à l'aube et au crépuscule lorsqu'elle rentrait chez elle dans sa tenue de Procureure.

— Dites, l'interpella la serveuse en lui préparant son petit-déjeuner, depuis le temps que nous nous côtoyons, je me demandais... Eh bien, pourquoi est-ce que votre homme ne vous accompagne jamais ? Il n'aime pas le footing ? Vous affirmiez qu'il avait les mêmes centres d'intérêt que vous, puisqu'il vous suivait dans toutes vos sorties. 

— Mon homme ? répéta Lorelei, fronçant les sourcils. Alexander ? 

— Oui, lui ! Vous m'en parlez tout le temps. J'ai hâte de le rencontrer !

— Ah bon ? Pourquoi est-ce que je parlerais de lui ? demanda-t-elle, surprise. C'est vrai ?

— Vous ne vous en rendez pas compte ! Madame, vous racontez toujours des anecdotes à son sujet, en particulier sur sa manie obsessionnelle de vous accompagner partout où vous allez ! C'est pourquoi je suis curieuse ! En plus, il semble être l'homme parfait ! 

— Le prince charmant des contes de fée, acquiesça la Procureure. Je lui ai dit hier. Il n'était pas d'accord. Voyez-vous, Alexander s'amuse à radoter qu'il n'existe pas le bien et le mal, donc il ne peut être aucun des deux. L'idéal et l'imparfait, des foutaises selon lui ! Cela ne l'empêche pas de se trouver des défauts. Apparemment, je ne devrais pas lui accorder tant de qualités ! 

— C'est de sa faute ! s'exclama la serveuse, en lui tendant son plateau et en s'accoudant sur le comptoir. S'il ne montrait pas un talent hors norme à prendre soin de vous, il ne paraîtrait pas aussi parfait ! Votre Alexander devrait être un modèle pour tous les hommes en couple.

— Sauf que nous ne sommes pas en couple, ricana Lorelei.

La serveuse lui adressa une œillade qui en disait long sur ses pensées. Elle n'y croyait pas une seconde. Lorelei ne s'exprimait pas en français, elle s'exprimait en Alexander ; de sa bouche sortait un flot impressionnant de compliments sur cet homme ; elle ne se lassait pas de faire découvrir ses qualités au monde entier. Dès que ses lèvres se séparaient, elles en profitaient pour le louer ! Mais, la Procureure ne comprenait pas. Elle ne remarquait pas l'omniprésence de son ange gardien dans ses paroles. 

— Nous ne risquons pas de l'être ! certifia-t-elle. En couple ? Impossible !

— Pourquoi pas ?

— Parce que...!

Cette conversation commençait à l'agacer. Elle ne s'était jamais imaginée en couple avec lui et ceci ne changerait pas ! Lorelei, un brin contrariée, saisit le plateau et trottina jusqu'à la table la plus éloignée et elle se renfrogna devant la vitre, ne regardant plus les passants. Elle se focalisa sur son café et vida son esprit ; elle était fatiguée aujourd'hui et elle refusait de plomber ses réflexions avec des idées inutiles. Seulement, la serveuse n'avait pas dit son dernier mot. Cette menue blondinette se trémoussa dans le café, faisant attendre les quelques clients, et elle se planta à sa table :