Chapitre 41

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Bonjour ! Petit commentaire juste pour signaler que ce chapitre aborde l'anorexie de manière encore plus choquante que d'habitude et peut être difficile à lire pour certains.

Rosa s'éveilla dans une salle lumineuse, avec un magnifique parquet de bois verni. De la musique classique résonnait, achevant de recréer l'ambiance d'efforts et de beauté que la jeune femme connaissait bien. Elle baissa les yeux et vit de magnifiques ballerines de danse à ses pieds. Il lui semblait être revenue quelques années en arrière. 

Quand elle se releva, elle constata avec un immense plaisir que ses membres étaient redevenus légers et forts, capables de la porter jusqu'au bout du monde. Elle ignorait comment ce miracle se produisait, mais c'était si inespéré qu'elle cessa aussitôt de se poser la question pour simplement profiter. Tout était comme dans un rêve.

D'abord hésitante, elle fit quelques pas, tourna sur elle-même, puis s'élança entièrement. Elle était si légère qu'elle s'élevait à plusieurs mètres du sol, jusqu'à effleurer le plafond du bout des doigts. C'est beau. C'est libre. C'est elle.

La grande porte sculptée grinça derrière elle, Ely venait d'arriver. Rosa était heureuse de la voir. Cela faisait tellement d'années qu'elle ne l'avait pas vue. Elle pensait d'ailleurs ne jamais la revoir. Idée absurde, elle la voyait pourtant tous les jours à leurs cours de danse et au collège. Elle se dirigea vers elle pour lui dire bonjour mais se figea en voyant que son amie d'enfance ne souriait pas. Au contraire, elle arborait une expression glaciale et un regard noir. Mais pourquoi ? Avait-elle fait quelque chose de mal sans s'en rendre compte ? Il fallait qu'elle lui dise que ce n'était pas de sa faute !

Soudain, Rosa sentit ses muscles se raidir, ses membres s'alourdir et ses os craquer. Son souffle devint court et douloureux. Elle tremblait de froid. En tournant la tête vers le miroir qui couvrait tout un mur de la salle, elle ne vit qu'un squelette sous une peau blanche prête à se déchirer. Rosa se reconnaissait tout juste. Quelle horreur. Une horreur fascinante et attrayante.

Le paysage se brouilla, et des lumières de projecteurs l'aveuglaient. Elle venait de tomber sur scène au détour d'une pirouette ratée, en plein milieu du spectacle. Les secondes passaient, les spectateurs murmuraient, et Ely ainsi que les danseuses sur scène la foudroyaient du regard. La honte l'envahit, aussi brûlante que sa cheville endolorie qui l'avait faite tomber. Lorsqu'une danseuse tombe, la première règle est de garder la face. Un grand sourire, on se relève, et le spectacle continue. Les autres danseuses doivent continuer sans y porter aucune attention. Alors pourquoi le monde semblait-il s'être arrêté au moment où Rosa avait commis cette faute terrible ?

Même la musique était interrompue. Il régnait dans la salle un silence de mort, hormis les chuchotis accusateurs. Qu'ils détournent le regard ! Elle devait se lever, se remettre à danser et sauver les apparences. Mais ses muscles étaient figés. Son amie s'avança. Rosa pensa d'abord qu'elle venait l'aider à sa relever. Après tout, elle était si gentille. Tellement belle et fine, avec sa démarche gracieuse. Mais non. Elle se planta à trois mètres d'elle, les bras croisés et l'expression froide.

Un courant d'air glacial vint chatouiller ses côtes, prêtes à transpercer sa peau fine. Rosa grelottait de froid, recroquevillée sur elle-même. Au moment où Ely ouvrait la bouche, la vérité lui apparut comme une évidence. Elle était grosse. Bien trop grosse pour réussir un jour dans la vie et pour être aimée de qui que ce soit.

- Tu n'as pas ta place ici.

Les mots résonnèrent durement dans la salle et dans sa tête. Le public approuvait. Sous leur impact, Rosa se recroquevilla davantage, une main crispée sur sa poitrine douloureuse.

~~~

On l'appelait. Une voix d'homme répétait son prénom. Rosa émergea difficilement, la mort dans l'âme. Ce n'était qu'un rêve. La lumière du jour illuminait la chambre. Aras était assis sur le rebord du lit, déjà habillé, sourcils froncés.

- Tu vas bien ? demanda-t-il en passant sa main sur la joue de Rosa pour essuyer les traces humides de larmes.

La jeune femme hocha péniblement la tête, et acheva d'essuyer ses yeux humides avec le mouchoir qu'il lui tendait. Oui, ça allait mieux maintenant qu'elle savait que ce cauchemar n'était pas la réalité, juste inventé de toute pièce par son inconscient. Et son rêve n'avait aucun sens ! Jamais Ely ne se serait comportée comme cela. Elle resterait toujours la petite miss parfaite, gentille, drôle et attentionnée qui réussit tout ce qu'elle entreprend. Aujourd'hui, sans même lui avoir parlé depuis une éternité, Rosa était certaine que son amie d'enfance n'avait pas changé.

- Tu veux en parler ?

- Non, ce n'est pas la peine. Je vais bien, assura Rosa en se levant du lit.

Aras hocha la tête, pensif. Il savait bien qu'il ne pourrait jamais la convaincre de parler si elle ne le faisait pas d'elle-même. La jeune femme s'approcha du hublot pour regarder à l'extérieur.

- Où sommes-nous ?

- Nous avons fait le trajet pour rentrer de Sydney dans la nuit. Nous arriverons à la villa dans une heure environ...

- Juste le temps de prendre un petit-déjeuner, acheva Rosa avec un petit sourire.

Hors de question de se laisser perturber par son cauchemars qui tournait encore dans sa tête. Elle revoyait son corps squelettique dans le miroir, entendait la phrase d'Ely en boucle. Elle appuya son front sur le hublot, cherchant à laisser ses visions se noyer dans l'océan à perte de vue.

Aras se rapprocha d'elle et posa une main sur son épaule dans un geste réconfortant. Il avait bien compris que ce serait une journée sans. Mais elle semblait vouloir garder le moral alors il la suivrait quoiqu'il arrive. Et puis aujourd'hui était spécial...

- Je vais préparer le petit-déjeuner, tu me rejoins quand tu es prête.

Lorsque Rosa sortit sur le pont, une brise tiède vint lui chatouiller le visage et faire voler une mèche folle de sa tresse. La mer était d'un bleu translucide. Elle n'avait jamais vu pareil paysage.

- Joyeux anniversaire, Rosa...

Elle se retourna vers Aras qui portait une coupe de salade de fruits surmontée de trois bougies. Elle essuya rapidement ses larmes émues. Il y avait pensé...

EffervescenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant