Chapitre 24

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Rosa s'était assise au pied d'un grand chêne, dans ce même parc où Aras lui avait proposé le marché. Marché qu'elle avait totalement bafoué depuis une semaine. Elle ne dormait plus avec son travail de nuit, et elle ne mangeait plus. Le midi, elle sortait une demi-heure pour simuler le fait qu'elle allait déjeuner. De ce qu'elle connaissait de son patron, il serait tout à fait capable de charger quelqu'un pour la surveiller. Ce petit tour de passe-passe devait plutôt fonctionner car jamais Aras n'avait laissé entendre des reproches au téléphone. Il pensait toujours que tout allait bien.

Le pire, c'est qu'elle n'éprouvait aucune honte à lui mentir... Pour elle, ça n'était qu'un moyen de protéger son libre-arbitre. Une manière de se dire qu'elle gérait la situation. Rosa s'ennuyait, ses pensées tourbillonaient dans sa tête comme des feuilles d'automne dans le vent. Elle s'enfonçait dans ses problèmes, les visages de ses parents apparaissaient dans son esprit, celui de Jonathan aussi. Dire qu'il fallait encore attendre le soir pour aller travailler au bar...

Elle avait fermé les yeux deux minutes pour se reposer un peu. Après tout, il n'y avait personne dans les parages, elle ne risquait rien. Une voix fluette la réveilla en sursaut. Anys venait à sa rencontre, un air inquiet sur son visage.

-Oh, excuse-moi, je t'ai réveillée !

-Ce n'est rien, répondit Rosa encore un peu groggy et agacée de voir Anys ici.

Que lui voulait-elle encore !? Elle voulait s'énerver, mais elle savait que ça n'était pas juste. Face à Anys, elle n'y arrivait pas.

-Je t'ai attendu au café cette semaine ! Tu n'es pas venue avant d'aller à l'entreprise Williams.

-Non, j'ai mangé chez moi.

Et un mensonge de plus... Plus le temps passait et plus elle s'enfonçait. Anys s'assit à côté d'elle. La croyait-elle ?

-Comment ça se passe ? Ce n'est pas trop dur de cumuler ? Tu ne dois pas avoir beaucoup de temps pour te reposer.

-Ça peut aller. Il faut juste un temps d'adaptation.

Faux.

-Tu es sûre ? Quand est-ce que ton patron revient ? Il sait que tu travailles à l'Elysée de nuit ?

-Dans une semaine. Il est au courant. Et tout va bien, je gère.

Faux.

-Tu es vraiment pâle, on dirait un fantôme, chuchota-t-elle comme si elle hésitait à continuer. N'es-tu pas en train de tomber malade ?

-Mais non, voyons. Tu te fais des idées, répéta Rosa.

Faux, faux et archi-faux !

Anys se tut un instant, avant de dire d'une toute petite voix :

-Et tu as maigri aussi...

Non, là c'était trop. Rosa se leva précipitamment alors que son amie l'imitait, alarmée.

-Tais-toi maintenant ! hurla-t-elle en la repoussant de toutes ses forces à tel point qu'Anys tomba au sol, abasourdie. Tu es qui pour me dire ça !? Tu n'es personne ! Personne pour juger ma vie et la manière dont je la gère ! Arrête ! Arrête de poser des questions ! Si je te dis que ça va, c'est que ça va !

Elle partit en courant, ignorant ses appels derrière son dos. C'est haletante qu'elle arriva à son appartement. Elle s'écroula au sol, en pleurs et tremblante. Mais qu'avait-elle fait ! Elle avait sorti des horreurs à Anys. Anys, sa seule amie... Et elle l'avait poussée ! Jamais elle ne la pardonnera ! Rosa fouilla dans sa trousse de toilette pour en sortir une lame... Elle le méritait...

Une heure plus tard, elle était encore prostrée sur son lit, le regard dans le vide et attendant seulement que le temps passe. On toqua à la porte et Colin apparut dans l'encadrement de la porte d'entrée. Il n'y avait que lui pour compléter son malheur...

-Bonjour, chère Rosa ! dit-il tout sourire. Je viens chercher le reste de l'argent du loyer.

Rosa courba encore davantage l'échine. Même avec son travail de serveuse, elle n'avait pas encore réuni la somme nécessaire. Combien de temps un homme comme Colin pouvait-il attendre ?

-Je ne l'ai pas encore, j'ai besoin d'un peu plus de temps, murmura-t-elle avec un sentiment de honte.

Le visage de Colin se durcit instantanément. A la place de son habituel sourire faux, il n'y avait qu'un vide glacial voire carnassier. Effrayée, la jeune femme recula d'un pas.

-Eh bien, nous allons dans ce cas avoir un sérieux problème, petite Rosa, répliqua-t-il durement. Pas de loyer, pas de logement. Je vous prierais de quitter ce lieu d'ici demain soir.

Rosa crut son cœur s'arrêter de battre. Elle le retint alors qu'il allait quitter la pièce.

-Non ! Non, je vous en prie ! Tout mais pas l'expulsion ! Je vais être à la rue ! cria-t-elle les larmes aux yeux.

Il l'observa quelques instants, terriblement silencieux, puis un sourire compatissant l'anima. La jeune femme reprit espoir. Peut-être allait-il accepter de lui accorder un délai ?

-J'accepte que vous restiez... A condition que vous dîniez chez moi demain soir.

-Qu...Quoi ?

-Vous avez bien entendu. Chez moi, demain à dix-neuf heures.

-Mais il en est hors de question ! s'écria Rosa, alors qu'un haut-le-cœur l'envahissait à cette idée.

Jamais elle n'accepterait de poser un seul pied chez lui ! Tel qu'elle le connaissait, il allait lui sauter dessus comme sur un bout de viande ! Ce qu'il voulait, c'était son corps et son regard lubrique le confirmait.

-C'est ça... Ou l'expulsion. 

Rosa se pinça la lèvre. En fait, elle n'avait pas le choix.

-D'accord, murmura-t-elle honteuse et sans aucune joie.

-Pardon ? demanda-t-il sadiquement.

-J'accepte !

-Ah, voilà qui est mieux ! A demain, alors.

Ils sortit de l'appartement, un sourire satisfait aux lèvres alors qu'elle avait envie de l'étriper. Elle prépara son sac : il était l'heure d'aller travailler au café. Si seulement son travail de nuit avait pu lui épargner ce dîner... Mais en se levant, un vertige la prit et la jeune femme se rassit. C'était le manque de nourriture et de sommeil. Rien d'alarmant, elle avait l'habitude.

~~~

C'était la dernière réunion de la journée pour Aras. Heureusement, car il ne supportait plus de parler sans arrêt italien. Il avait beau le parler couramment, ça devenait redondant. Après, il pourrait enfin regagner son hôtel de luxe avec ses collaborateurs et surtout en profiter pour appeler Rosa. Sa sonnerie de téléphone l'interrompit en plein milieu d'une phrase. Tant pis, c'était un bon moyen pour mettre fin à la réunion. Il congédia les italiens et répondit :

-Allo ?

-Monsieur Williams ? retentit une voix féminine.

-Bonsoir. Je vous connais ?

-Oui. Enfin non. Bon, en fait, je suis Anys. Vous savez, la serveuse qui travaille le matin à l'Elysée.

Elle parlait à toute vitesse, comme apeurée.

-Oui, je vois qui vous êtes. Comment avez-vous eu mon numéro ? Il est censé être privé, dit-il mécontent.

-Je l'ai volé dans le portable de Rosa. C'est à cause d'elle que je vous appelle. Il faut que vous reveniez, elle déraille complètement !

EffervescenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant