- Notre relation est ce qu'elle est, elle n'a pas à être normale. Je commence à bien te connaître Rosa. Je n'aime pas l'idée que tu ais peur de moi, même si c'est inconscient, mais c'est comme ça et on fera avec.
La jeune femme hocha la tête, anxieuse.
- Mais on ira doucement ?
- Bien sûr, on ira à ton rythme.
Elle avait tellement peur de ses propres réactions. Aras l'avait dit lui-même, il n'aimait pas qu'elle ait peur de lui, et c'était normal. Qui aimerait qu'on sursaute à longueur de temps pour le moindre bruit ou le moindre geste un peu brusque ? Il aurait l'impression qu'elle ne lui faisait pas confiance, alors que ce n'était pas le cas.
Pourtant, l'homme était plus que conscient de ce qu'impliqueraient les peurs de Rosa au quotidien. Avec sa maladie, son rapport à son corps était modifié et bien qu'il ait une envie folle de la toucher, un petit geste mal placé pouvait la plonger dans une profonde déprime. Acquérir sa confiance serait un travail de tous les jours, de chaque instant. Même si ses crises d'anxiété et d'anorexie venaient à disparaître un jour, elle était toujours à risque et il suffirait d'un petit événement pour la faire rechuter. Et il refusait d'en être la cause.
Aras, pour couper court à ses pensées qu'elle allait sûrement ruminer trop longtemps à son goût, lui saisit le menton et la poussa à le regarder dans les yeux. Automatiquement, la jeune femme s'apaisa.
- Je t'aime.
- Moi aussi, sourit-elle en se détendant.
Il se pencha vers elle et, juste avant de la toucher :
- Je peux t'embrasser ?
- Je te le recommande même...
Oui, Rosa avait la certitude qu'il ne lui ferait jamais de mal. La sexualité l'effrayait et la mettait mal à l'aise mais cela ne pouvait que bien se passer s'il prenait toujours autant de précautions. C'était bête, mais demander son consentement pour un simple baiser la rassurait.
Une explosion de sensations les envahit chacun quand il déposa ses lèvres sur les siennes. L'un et l'autre n'attendaient que ça depuis le premier baiser. Enfin la frustration prenait fin.
~~~
Leur voyage devait bien prendre fin un jour. Le lendemain, c'est le cœur lourd que Rosa acheva ses bagages pendant que l'homme répondait à quelques mails. En attendant qu'il la rejoigne, elle sortit sur le ponton admirer encore une fois ce cadre splendide. Ce voyage et ce qui s'y était passé lui avait fait faire un bond en avant.
Aras la rejoint et s'accouda à ses côtés, l'air aussi nostalgique qu'elle.
- Cet endroit va me manquer, soupira-t-elle. Merci de m'avoir emmenée ici.
- On reviendra.
- Ça sonne comme une promesse.
- C'est une promesse.
Rosa se laissa aller contre lui tandis qu'il passait son bras autour de ses épaules et embrassait son front. Avec lui, elle se sentait en sécurité, il lui offrait la stabilité dont elle avait toujours rêvé. Puis il fallut quitter leur magnifique maison flottante pour regagner l'aéroport.
Dans l'avion, la jeune femme eut la brusque sensation de revenir à la réalité en repensant à la raison initiale de leurs vacances inopinées. Son propriétaire voyeur lui donnait encore des frissons de dégoût. Elle se frotta le bras pour effacer sa chaire de poule, comme si elle avait froid. Il l'avait vraiment fait replonger en beauté... Étrangement, elle avait l'impression de ne saisir que maintenant l'ampleur de cette situation.
Encore une fois, elle se retrouvait victime de violences sexuelles...
Soudain fatiguée, elle se plongea dans la contemplation des nuages. Depuis sa naissance, elle avait vécu toutes sortes de violences sans jamais rien demander. Et c'était lassant de subir coup après coup, et de devoir panser elle-même son corps et son cœur blessés. Il lui était arrivé qu'on l'aide à se remettre d'épreuves, comme Ely, son médecin au centre psychiatrique, ou bien Anys dont elle s'attachait de plus en plus. Mais rares étaient les fois où on l'avait protégée. En fait, seul Aras avait réellement agi pour la protéger. Sans son intervention, elle n'aurait pu échapper au carcan psychologique créé par Collin. Ce soir-là, il l'aurait violée.
Ce qu'avait fait Collin n'était pas la pire chose qui lui soit arrivée, elle en avait vu d'autres. Mais il lui faudrait un long travail pour réapprendre à baisser sa garde dans une pièce toute seule ou sous la douche, sans avoir l'impression d'être épiée. Une larme coula silencieusement sur sa joue. À chaque agression, souvent sexuelle, elle espère ne plus jamais avoir à vivre ça. Et toujours un nouvel événement se produit. Une nouvelle marque indélébile ancrée sur son corps. Quand cessera-t-on de lui prouver qu'elle ne peut faire confiance à personne ?
Aujourd'hui, il allait payer par des années de prison. Aras était parvenu à faire en sorte qu'elle n'ait pas à assister au procès, trop douloureux. Les preuves étaient trop accablantes. Mais ça ne compenserait jamais le peu de sérénité qu'il lui avait volée. Tout comme son ex-mari. Sa mort ne l'avait pas apaisée.
À ses côtés, Aras avait fini par remarquer son mal-être. Mais il ignorait à quoi il était dû. Peut-être à la fin du voyage qu'elle avait tant aimé ? Seulement voilà, même avec la meilleure volonté du monde, il y avait des choses de Rosa qu'il ne pourrait jamais comprendre sans l'avoir lui-même vécu.
Il voulut prendre sa main posée sur sa cuisse pour la réconforter, mais au premier effleurement elle la retira brusquement dans un hoquet de peur. Cela laissa Aras désemparé.
Rosa, pour se donner contenance, glissa une mèche de cheveux derrière son oreille. Malheureusement, elle connaissait bien ce genre de sursaut incontrôlable.
- Je suis désolée, j'ai été surprise c'est tout. Tout va bien.
- Mais je croyais que ça n'arrivait plus ? dit-il les sourcils froncés d'inquiétude. Plus avec moi en tout cas...murmura-t-il amèrement.
Rosa ignorait comment lui expliquer ce qui lui arrivait avec tact.
- Ça ne m'arrivait plus car je pouvais toujours anticiper ton geste. Lorsque je te vois avancer la main, je ne suis pas surprise. Mais sans contact visuel, mes vieux réflexes peuvent prendre le dessus.

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Effervescence
RomansaCe qu'elle cherchait, c'était blesser. Mais qui se cache réellement sous cette apparence superficielle et méprisable ? Qui se cache sous cette barrière infranchissable ? A la sortie de l'hôpital psychiatrique où Rosa est internée pour anorexie, la...