Chapitre 12

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Perturbée par ce réveil étrange, elle s'empressa de rejoindre la foule. La nuit était tombée depuis plusieurs heures et, aussi ridicule que ça puisse paraître, l'obscurité l'effrayait. Toutefois, elle préférait mille fois rejoindre le lieu de la réception en plein air plutôt que de rester dans cette chambre où il se passait des choses étranges.

Aras était en train de faire son discours sur l'estrade lorsqu'elle poussa la porte du toit. Tous le fixait avec intérêt et admiration. Il faut dire qu'il émanait de lui une aura incroyable. Il parlait d'une voix forte et assurée, usant de rhétorique pour mieux faire adhérer à ses propos. Il captivait les foules et même Rosa eut des difficultés à se détourner de lui. Il était si passionné... D'autant plus qu'il riva un instant ses yeux noirs dans les siens. Le cœur de la jeune femme fit une embardée, ne s'attendant pas à recevoir un tel regard. Il ramena finalement son attention sur les hommes d'affaire, la laissant le rouge aux joues. 

L'homme acheva son discours, parfait une fois de plus. Les applaudissements n'en finissaient plus. Sa seule distraction avait été le corps fin de Rosa passer la porte. Elle était réveillée, quoique déboussolée à en voir son expression. Et à partir de ce moment, il n'avait vu qu'elle. Elle le fixait intensément, l'expression troublée. A quoi pouvait-elle bien penser ? Alors qu'on l'entourait pour le féliciter, il la vit s'éloigner.  

Rosa en avait assez de cette ambiance. Les femmes la regardaient de haut, comme si elle ne valait pas mieux que de la vermine. Les rires faux et les bavardages l'abrutissaient. Et qu'est-ce qui lui prenait de rougir en voyant cet homme !? Ses réactions l'insupportaient elle-même. L'empreinte de la main qui s'était posée sur son ventre quand elle dormait la brûlait encore, lui laissant un sentiment d'oppression. Se pinçant l'arrête du nez dans l'espoir de diminuer son mal de tête, elle regagna la chaise qu'elle n'avait pas quittée avant qu'on la transporte dans cette chambre. Elle voulait seulement rentrer chez elle.

La fatigue la gagnait à nouveau quand un homme inconnu s'approcha. Ce même homme qui ne cessait de lui envoyer des regards aguicheurs depuis le début de la soirée. Rosa le reconnaissait : Monsieur De Colbert si elle se fiait à son souvenir de la liste des invités. Elle l'ignora, espérant qu'il comprendrait qu'elle ne voulait parler à personne. Mais mince quoi ! N'est-ce pas possible de passer une minute sans quelqu'un pour l'embêter ?

-Eh bien, qu'est-ce qu'une demoiselle comme toi fait dans ce genre de soirée ? T'es perdue ?

Rosa se leva à la seconde, agacée mais décidée à ne pas perdre son sang-froid. Malheureusement, cet homme se révéla être un parfait pot de colle ! La suivant alors qu'elle regagnait le buffet, il continua :

-Votre robe est de seconde main et je ne vous ai jamais vue à une soirée de Monsieur Williams. Qui êtes-vous donc ?

De mieux en mieux, il la traitait ouvertement de pauvre qui n'avait rien à faire ici. Elle aurait pu être d'accord avec ces propos si son attitude charmeuse et bien trop curieuse ne l'insupportaient pas. Rosa sentit sa respiration devenir sifflante, signe que l'angoisse était en train de prendre le dessus sous forme de colère dévorante. Elle devait s'éloigner. Mais il tournait autour d'elle comme un vautour assoiffé de plaisir charnel. Son corps entier se figea quand il effleura son ventre. Le même toucher que dans la chambre. L'idée qu'il ait pu s'introduire dans la pièce et profiter d'elle pendant son court sommeil lui tordit les boyaux. 

Il y eut un temps où elle aimait plus que tout séduire les hommes. C'était sa manière à elle de se prouver qu'elle avait encore de la valeur. Car le monde entier semblait vouloir lui montrer qu'elle ne valait rien. Ses parents en premier. Leur colère et la déception dans leur regard lors de ses échecs. Leur désintéressement d'elle. Puis des événements qui avaient achevé de la détruire. 

Sortant à peine de l'adolescente, elle avait d'abord pensé que c'était parce qu'elle ne faisait pas assez d'effort pour être jolie qu'on la rejetait. Jusqu'à là, elle n'en avait jamais rien eu à faire. Mais si tout le monde s'acharnait sur elle, c'est bien qu'il y avait une raison ! Peut-être que, comme on le lui disait, cette situation était réellement de sa faute ! Alors elle avait choisi le régime. Puis d'arrêter totalement de se nourrir. Tant qu'à faire, c'était plus efficace. La société tourne autour de l'apparence et ça, Rosa l'avait bien compris.

Mais aujourd'hui, elle ne voulait plus de ça. Car une fois de plus, on lui avait prouvée que malgré ses efforts pour être désirée, simplement aimée, elle n'aurait jamais droit à ce bonheur. C'était écrit dans ses gènes. Alors tout ce passé de séduction féminine, elle n'en voulait plus. Elle avait mis tout ses espoirs dedans. C'était sa dernière solution pour connaître l'amour et l'attachement. Et ça n'avait pas fonctionné.

Les dernières paroles de l'homme l'achevèrent. 

-Ou alors, tu es ici pour trouver ton prochain client ? Tu as raison, il y aura toujours des intéressés par ici. De ce que j'ai pu voir et toucher dans la chambre, tu es une bonne affaire. Je t'offre mille euros pour profiter de ton joli petit corps voluptueux.

Rosa sentit sa volonté l'abandonner. Cette colère ardente, brûlante, foudroyante... Cette colère qui la dévorait depuis qu'elle était sortie de l'hôpital psychiatrique, depuis qu'elle avait appelé ses parents. Elle avait besoin de sortir. Rosa l'avait contenue trop longtemps. Elle se jeta sur lui telle une furie.

Aras avait vu Monsieur De Colbert importuner sa jeune employée. Il savait de quoi était capable l'homme et ça n'était pas la première fois qu'il avait un comportement incorrect. S'il ne l'avait pas déjà banni de l'entreprise à laquelle il était si fier d'appartenir, c'est uniquement car il faisait du bon travail. Mais là, il ne pouvait laisser passer. La voyant perdre le contrôle, il s'élança pour venir à son secours. Mais il n'en eut pas le temps...


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