Chapitre 19

2.6K 266 6
                                        

Rosa n'avait pas fermé l'œil de la nuit, bien trop effrayée par des cauchemars que sa rencontre avec son propriétaire auraient pu déclencher. Elle avait cogité, s'inquiétant déjà de leur prochain intermède. Cet homme lui en avait rappelé un autre. Celui qui, par son influence, l'avait conduite cinq ans en hôpital psychiatrique. Comme un robot, ses pas l'avaient amenée à ouvrir le couvercle de sa valise et à fouiller dans une poche interne. Rosa savait que là s'y trouvait un petit écrin de seconde main, et dedans reposait une belle bague en argent. Fin, comme la jeune femme les aimait, le bijoux de fiançailles était gravée d'arabesques. Pourquoi est-ce que le moindre événement la ramenait-il constamment à son passé ? Ne s'en décollerait-elle jamais !?

Furieuse, elle avait jeté la bague à terre. Mais la seconde suivante, son corps frêle s'écroulait à ses côtés, secoué par de violents sanglots. Ses mains grattaient furieusement ses bras, rouvrant plaies et cicatrices. A aucun moment elle n'eut l'idée d'appeler son patron comme il le lui avait fait juré.

Cette bague, c'était son passé. C'était l'objet qui incarnait toutes ses souffrances. C'était sa vie. Jamais elle n'arriverait à s'en défaire...

Le lendemain, elle n'avait pas eu le courage de se rendre au café. La volonté d'ingérer un quelconque aliment n'était pas au rendez-vous. L'idée même lui avait déclenché un haut-le-cœur. Mais son patron l'y attendrait. S'il voyait qu'elle lui avait fait faux bond, il se rendrait chez elle à coup sûr. Alors, à l'heure où elle aurait dû se trouver au café, Rosa était déjà à son bureau en train de se mettre au travail. Le travail restait le seul moyen sûr pour oublier. Malheureusement, son temps de répit ne fut pas bien long. Une heure plus tard, la porte de son bureau claquait, laissant apparaître son patron.

-J'espère pour vous que vous avez une excellente raison pour ne pas être venue au café ce matin ! cria-t-il, au comble de la fureur. Alors, c'est comme ça ! Je ne peux pas vous faire confiance !

-Je... euh... je...

-Avez-vous oublié les termes de notre contrat durant la nuit ? Ou peut-être n'êtes-vous pas motivée pour sortir définitivement de cette foutue maladie ?

Plus l'homme avançait dans ses remontrances, plus Rosa sentait son cœur se fracturer. La culpabilité l'étouffait. Il avait raison, elle n'avait pas assuré. Aras essayait de l'aider et elle n'avait même pas daigné se présenter au rendez-vous. Après ses parents, voilà qu'elle décevait son employeur. Si cette fois-ci il ne la virait pas... Mais même si elle était venue, elle n'aurait pas pu avaler quoique ce soit. La fatigue lui provoquait d'horribles maux de tête. Elle l'entendait continuer, ses paroles ne faisaient que résonner douloureusement dans son crâne.

-S'il-vous-plaît... Ne criez pas...

Aras se tut immédiatement en entendant la faible voix de Rosa. Les larmes aux yeux devant la dureté de ses paroles, elle se massait les tempes. Jamais il ne l'avait vue aussi abattue, constatait-il avec inquiétude. Des cernes noirâtres marquaient ses beaux yeux gris. Il avait l'habitude de la voir fatiguée mais jamais à ce point.

-Excusez-moi de m'être ainsi emporté, reprit-il plus doucement. Mais que s'est-il passé ?

-Je suis désolée, je ne pouvais pas. Pas ce matin, dit-elle d'une voix lasse les yeux perdus dans le vague.

Aras fronça les sourcils, l'inquiétude grandissant en lui. Il aurait presque préféré qu'elle s'énerve, l'insulte, s'insurge contre ses questions. Son comportement habituel, quoi ! Au moins, il aurait pu connaître ses pensées.

-Vous m'inquiétez, Rosa. Vous vous sentez bien ? demanda-t-il en posant une main sur son front.

Elle n'eut même pas de mouvement de recul. En temps normal, Aras s'en serait réjouit : cela voudrait qu'elle commençait à lui accorder sa confiance. Seulement, elle ressemblait en ce moment davantage à une poupée de chiffon. Aucune réaction. Terriblement lasse, elle repoussa sa main, refusant toujours de le regarder dans les yeux.

-Vous n'avez pas de fièvre, constata-t-il. Parlez-moi, voyons ! Ce comportement ne vous ressemble pas !

Rosa restait murée dans son silence. L'homme soupira violemment, comprenant qu'il ne tirerait rien d'elle pour le moment. Lui avait-il donné une charge de travail trop importante ces dernières semaines, la poussant à bout ? Aucun autre de ses employés ne s'était jamais plains d'un travail trop prenant : il tenait au bien-être de ses collaborateurs. Mais Rosa était plus fragile émotionnellement... Il allait lui donner sa journée. Seulement, il était sûr en faisant ça que ses pulsions destructrices prendraient le dessus. Ça n'était pas pour rien qu'elle réclamait toujours plus de travail : pour échapper à ses pensées.

-Rassemblez vos affaires, Rosa. Nous partons.

Il l'aida à passer son manteau avant de l'entraîner hors de la pièce. En passant devant son propre bureau, son frère qui attendait son arrivée les vit et sortit précipitamment.

-Eh ! Je peux savoir où tu t'en vas comme ça !? les interpella-t-il, les traits marqués par l'impatience. La réunion avec les dirigeants du groupe OKA commence dans moins de dix minutes ! Réunion que tu as toi-même exigé, je te rappelle !

-Reporte-la. Ou dirige-là seul. Je prends ma journée.

Son frère souffla d'exaspération et retourna dans la salle, le traitant à voix basse de tous les noms d'animaux qui lui venaient à l'esprit. Rosa se tourna vers Aras.

-Vous allez avoir des problèmes. Allez-y, je vais bien.

-A chaque fois que vous m'assurez cela, je vous retrouve les bras en sang. Désolé mais je ne vous laisse pas seule. C'est non négociable. Je vous ai fait la promesse de vous accompagner dans tous les moments difficiles, il me semble que c'en est un. Et mon frère a beau pester, il se débrouillera très bien.

Rosa sentit son visage chauffer malgré ses pensées accaparées par tout, sauf le moment présent. Finalement, elle était plutôt curieuse de l'étrange tournure que prenait cette journée. Il la fit monter dans sa voiture et son chauffeur privé démarra aussitôt. Cinq minutes après être sortis de la ville, ils s'engagèrent dans une grande allée gravillonnée avant de stationner devant un petit immeuble particulièrement raffiné. Toujours silencieux, Aras la guida jusqu'à une lourde porte en bois massif.

-Entrez, je vous en prie. Ne soyez pas autant sur vos gardes, je pourrais trouver ça insultant, ajouta-t-il devant sa mine méfiante.

-Où sommes-nous ? demanda-t-elle enfin.

-Oh mais elle parle ! Je me demandais si vous n'aviez pas avalé votre langue. Vous êtes chez moi.

EffervescenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant