Chapitre 13

2.9K 283 6
                                        

De son corps frêle, elle le frappait de toutes ses forces, forces conséquentes à en voir la douleur sur le visage de De Colbert. Elle hurlait des insultes, griffait, mordait. Tous les invités formaient un cercle autour d'eux. Hormis les cris de Rosa, il ne régnait que le silence. Elle était déchaînée. Aras comprit que c'était tout ce qu'il y avait en elle qu'elle extériorisait. Il comprit surtout à quel point cette femme était détruite pour qu'il y ait une telle rage et envie de destruction. A force d'emmagasiner autant d'émotions, il fallait bien que ça explose. Et pour le coup, il était presque content qu'elle projette toute sa fureur sur De Colbert plutôt que sur elle-même. 

Aras poussait la foule qui l'empêchait d'avancer, trop absorbée par la contemplation de cette rage extériorisée aussi violemment. Aussi curieux que ça soit, la violence fascine toujours les Hommes. Il n'y a qu'à voir les cours de récréation : dès que deux enfants se battent, les autres les acclament.

Il devait absolument la calmer. Son corps fin et fragile n'encaisserait pas les coups s'il advenait que De Colbert reprenne ses esprits et se mette à la frapper pour l'affront qu'elle lui faisait. Et si ça arrivait, il préférait ne pas savoir dans quel piteux état il retrouverait Rosa. Mais une fois encore, il n'eut pas le temps d'intervenir.

Un homme s'approcha de Rosa pour la tirer violemment en arrière. Le visage de la jeune femme oscilla entre stupéfaction et peur. Elle ouvrit la bouche mais l'homme la devança en lui assénant une claque monumentale, à tel point qu'un filet de sang coula sur sa joue entaillée par la bague que l'homme portait. Il allait la frapper de nouveau mais Aras l'en empêcha en la saisissant en pleine action. 

Il vit la jeune femme s'enfuir, la main plaquée sur sa joue et en larmes. Mais c'est en voyant qui venait d'interrompre cette bagarre qu'Aras comprit réellement la situation. Monsieur Hatier. Et un peu derrière lui Madame Hatier.

Il fronça les sourcils, cherchant à mettre de l'ordre dans ses pensées. Son frère Aspen, qui comme tout le monde avait assisté à la scène, le tira de sa transe. D'un mouvement de tête, il lui fit comprendre qu'il fallait aller chercher Rosa, qu'il allait gérer la situation.

Rosa, à peine sortie du bâtiment, s'écroula au sol. Sa joue la brûlait. Son père ne l'avait pas ratée. Et sans l'intervention de son patron, elle en aurait pris une deuxième. Mais ne l'avait-elle pas cherché ? Elle avait vu la déception dans son regard, une fois de plus. Est-ce que chacune de leurs rencontres se solderait par une claque ? Si elle se souvenait bien, ç'avait été le cas pour les quatre dernières. Lors de ses crises de colère, elle se sentait devenir folle. Elle perdait le contrôle et détestait ça. Une présence à ses côtés la fit soudain sursauter. 

Aras la vit faire un bond de trente centimètres. Se tenant encore la joue, elle était assise sur le trottoir sale, bouleversée. Il appliqua un mouchoir humide sur sa joue. Sans un mot, il lui tendit la main pour l'aider à se relever. 

Rosa fixa sa main quelques secondes, méfiante. Mais elle était trop démoralisée et exténuée pour se débrouiller seule. C'est le regard de l'homme qui le lui disait. Et elle le croyait. 

Aras retint un sourire de satisfaction quand elle prit sa main. Elle lui faisait confiance. Sa peau était douce, mais humidifiée par les larmes. Il la mena à un bar, celui où Rosa se rendait chaque matin. L'homme connaissait ses habitudes. Non pas qu'il l'espionne -elle l'aurait sûrement mal pris- mais il la voyait régulièrement depuis sa voiture.

Elle souffla de soulagement quand la chaleur de l'établissement l'étreint doucement. Étrangement, elle était bien quand Aras lui tenait la main. Sa poigne était ferme et elle avait l'impression de pouvoir enfin lâcher prise. Il prenait les rênes et elle se laissait guider. Une serveuse que Rosa ne connaissait pas vint les voir. Elle s'apprêtait à décliner quand le chef d'entreprise décida à sa place.

-Un chocolat et une part de tarte tatin. Et un café pour moi.

Rosa planta ses yeux dans les siens alors que la serveuse déposait la commande.

-Pas la peine de me fusiller du regard. Il n'était de toute manière pas question que je vous laisse partir sans avoir mangé. 

La jeune femme se passa une main sur le front. Elle était exténuée, constata Aras. Et cette fatigue devait être autant physique que morale. Mais son teint blême ne le confortait pas dans l'idée qu'elle était en bonne santé. Son regard oscillait entre la tarte et lui. Il savait qu'elle attendait un signe de sa part. Quelque chose comme "Non, tant pis, ne te force pas si tu n'en as pas envie." Mais il n'en ferait rien et Rosa semblait mener un combat intérieur. 

-Je ne sais pas si...

-On y passera le temps qu'il faudra. De toute façon, vous avez besoin de vous calmer. Et il va falloir qu'on discute.

-Vous allez me virer ? paniqua Rosa.

-Bien sûr que non, leva-t-il les yeux aux ciel. Arrêtez de croire ça. Je ne vire pas mes employés comme ça : c'est d'une part incorrect vis-à-vis d'eux et d'autre part je n'y aurais aucun intérêt. Allez, mangez mademoiselle Hatier. C'est votre corps qui en a besoin.

Sous son regard attentif, Rosa prit une bouchée avec difficulté et mâcha lentement durant de longues minutes. Elle détestait manger en public. Difficilement et manquant de tout régurgiter à la seconde où le met sucré coulait dans sa gorge, elle avala.

-C'est bien... murmura-t-il.  

Elle prit une autre bouchée, avant de continuer.

-Alors de quoi vous voulez parler ?

Il désigna le gâteau posé devant elle. 

-De... tarte ? haussa-t-elle un sourcil.

Un sourire amusé naquit sur le visage de l'homme mais il disparut bien vite.

-Presque. De la manière dont vous vous nourrissez. Plus globalement de votre santé, si vous préférez.

Rosa fronça les sourcils, ayant trop peur de comprendre ce que cela signifiait. C'est péniblement qu'elle avala sa salive. Mais il n'avait pas fini de la torturer. 

-Qu'avez-vous fait pendant ces cinq dernières années ?

EffervescenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant