Aras s'écarta promptement, sentant qu'elle avait besoin d'espace. La jeune femme se redressa elle aussi, avec la terrible sensation de s'écraser lourdement sur le sol. Son inconscient avait frappé de nouveau. Des réminiscences de son passé s'étaient invitées insidieusement dans leur moment d'intimité. Et elle détestait cela. Ce moment devait être à eux, rien qu'à eux. Pour une fois, elle voulait que ses pensées et ses sursauts incontrôlés lui fichent la paix.
Ses mains tremblaient légèrement. L'homme les prit entre ses doigts pour les stabiliser, cherchant son regard. Ils étaient glacés. Son désir était redescendu en flèche. La situation n'avait d'intérêt qu'en étant partagée. Mais il l'avait perdue en cours de route. C'est d'ailleurs ainsi qu'elle semblait être en ce moment même : perdue, complètement à la dérive. Il n'était pas certain qu'elle sache exactement ce qui lui arrivait. Elle connaissait ses propres réactions très bien et pouvait éviter les situations "à risque". Seulement, elle était incapable d'aller voir plus loin.
Ses yeux bleus se posaient partout, sauf sur lui. On aurait pu sentir sa gêne et sa frustration à des kilomètres à la ronde. Elle s'en voulait d'avoir encore une fois gâché ce moment.
- Hé... murmura-t-il en espérant capter son regard en vain. Regarde-moi. Regarde-moi, réitéra-t-il devant son manque de réaction.
Enfin, elle riva ses yeux sur lui. Ayant son écoute, il reprit :
- Ce n'est pas de ta faute.
Rosa n'en crut pas un mot. Bien sûr que c'était de sa faute. Ce n'est pas lui qui sursaute au moindre contact à ce qu'elle en sait.
- Nous en avons déjà parlé, on prendra le temps qu'il faudra. On va trouver une solution.
S'ensuivirent quelques secondes où Rosa le fixa, comme pour savoir jusqu'où s'étendait la vérité dans ses paroles. Elle poussa finalement un gros soupir, espérant qu'il avait raison. Il l'attira contre lui et elle posa la tête sur son épaule. Le bruit de la pluie battante cognant contre les fenêtres envahissait la pièce, couvrant le vacarme de leurs pensées.
- Tu sais, tout à l'heure... dit-elle doucement. Avant que je ne déraille, j'ai vraiment aimé ce que tu me faisais.
Aras lui déposa un baiser sur le front, satisfait. C'était réciproque.
- Tu es glacée et trempée. Va prendre une douche pendant que je défais les valises.
La jeune femme s'extirpa de ses bras à contre-cœur. Mais il avait raison, elle allait attraper froid. Elle monta dans la salle de bain et s'y déshabilla sans attendre. Son regard croisa alors son reflet dans le grand miroir qui couvrait toute une partie du mur. Ce qu'elle y vit la pétrifia. Voilà des mois qu'elle évitait la vue de son propre corps au fur et à mesure qu'elle prenait des kilos, fuyant les miroirs comme la peste. On ne voyait plus ses côtes, ses épaules n'étaient plus si osseuses que ça. Elle avait pris de la poitrine et son ventre rebondissait légèrement. Quant à ses cuisses, bon Dieu... Elle retint un haut-le-cœur. Des pensées, des voix défilaient, hurlaient dans sa tête : "tu es affreuse, grosse, laide... Tu t'es laissée aller et voilà le résultat. Tu mérites de te faire du mal. Pathétique..."
On continue !
Elle couvrit à la hâte le miroir à l'aide d'une serviette et se précipita dans la douche, secouée. Quand la voix refaisait surface, elle ne savait plus qui elle était. Son corps tremblait, ses mouvements gauches. Elle fit tomber la bouteille de gel douche dans un vacarme monumental.
- Tout va bien ? retentit presque aussitôt la voix lointaine d'Aras.
Peut-être qu'elle aurait dû lui dire que non, tout n'allait pas bien.
- Oui, rien de cassé, répondit la voix à sa place, toujours surprenante par tant d'aplomb.
L'homme leva un sourcil en croyant entendre quelques trémolos dans sa voix. Il continua néanmoins ses occupations. Aujourd'hui était leur dernier jour de vacances à tous les deux. Ils reprenaient le travail le lendemain. Aussi, il ignorait toujours si Rosa avait l'intention de le suivre au siège général de l'entreprise ou si elle comptait rester à la maison d'édition où elle avait fait ses débuts. Il lui laisserait le choix. De toute manière, les deux bâtiments étant à quelques minutes à pied l'un de l'autre, cela n'aurait pas de grandes conséquences. Il avait été clair sur un point : ils continueraient de prendre leurs repas ensemble.
Le plat de Chili con carne avait presque fini de cuire quand Rosa fit son apparition. Il se figea en voyant qu'elle avait les yeux rouges d'avoir pleuré. Que s'était-il passé dans cette salle de bain ? Il ne pensait pourtant pas en être en cause... Elle s'assit sur une des chaises hautes et s'accouda sur le plan de travail, observant machinalement le plat bouillant dans la casserole. Comme elle ne se décidait visiblement pas à parler, il fit comme si de rien n'était pour ne pas la bousculer.
- On va passer à table, dit-il avec une pointe d'appréhension en ignorant totalement si manger quelque chose était dans ses intentions.
Mais elle hocha la tête. Plutôt bon signe, remarqua-t-il. Il lui remplit lui-même son assiette, sous son regard scruteur.
- Un peu moins, s'il-te-plaît.
- Pardon ? demanda-t-il en fronçant les sourcils.
- Je vais manger, ne t'inquiète pas. Juste, ce n'est pas aujourd'hui que je compte repousser mes limites.
Il en retira un peu de son assiette avant de la lui tendre. La forcer n'était pas une bonne idée, tant qu'elle mangeait un minimum. À nouveau, elle fixait le plat comme s'il était son pire ennemi.
- J'ai eu un petit coup de blues tout à l'heure, commença-t-elle à se confier à son grand soulagement. J'ai vu mon reflet dans le miroir, et cette image ne m'a pas plu.
Aras avait tendance à trop sous-estimer la souffrance que cela pouvait être de reprendre des kilos. Lui-même avait remarqué que ses joues n'étaient plus aussi creuses qu'avant, ses jambes plus si fines. On avait plus l'impression de pouvoir la casser d'une simple pression comme une brindille. La guérison engendrait d'autres maux malheureusement... Et il commençait à s'en rendre compte.

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Effervescence
RomanceCe qu'elle cherchait, c'était blesser. Mais qui se cache réellement sous cette apparence superficielle et méprisable ? Qui se cache sous cette barrière infranchissable ? A la sortie de l'hôpital psychiatrique où Rosa est internée pour anorexie, la...