Chapitre 2

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Rosa s'observa dans le miroir de sa chambre d'hôtel, cherchant à savoir si elle était présentable pour se rendre à l'entretien d'embauche. Son choix vestimentaire était un peu limité. Elle était sortie du centre psychiatrique avec seulement une minuscule valise qui ne contenait que les objets personnels qu'elle avait eu droit de garder. C'est-à-dire pas grand-chose... Quelques photos de son enfance qui, pour la plupart, ne la ramenaient pas à de joyeux souvenirs et des affaires de toilette. Elle n'aurait donc d'autre choix que de se présenter à l'entretien vêtue d'un jean et d'une chemise bien trop grande pour son corps tout fin. 

Arrivée devant un immense et luxueux bâtiment, la jeune femme se vit obligée de vérifier trois fois que l'adresse notée était bien la bonne. En même temps, l'énorme insigne avec marqué "Williams Entreprise" ne laissait pas trop de place au doute...

Son angoisse monta d'un cran quand elle pénétra dans les locaux. Le carrelage scintillait et tout était d'un blanc immaculé. On la conduisit dans une autre pièce, tout aussi luxueuse que le hall d'entrée. Une quinzaine de femmes attendaient déjà leur tour, habillée de tailleurs chics, belles à l'extrême. Rosa faisait tâche dans ses vieux vêtements. Quel était cet horrible endroit dans lequel elle venait de mettre les pieds délibérément ? Il lui semblait voir le danger dans chaque coin de la salle. Mais elle avait besoin de ce salaire. Au moins, à défaut d'obtenir le poste de secrétaire, elle pourrait toujours demander un poste de femme de ménage... 

Un homme plutôt jeune venait dans la pièce toutes les deux minutes pour appeler une candidate et trois minutes plus tard, celle-ci ressortait en pestant, faisant claquer ses hauts talons sur le sol. Elle sursauta quand on l'appela.

Inspire... Expire... Inspire...

L'homme la mena à un bureau avant de lui faire un petit sourire encourageant. Mais elle craignait surtout que ses paroles dépassent ses pensées une fois de plus. Et dans ce cas-là, on la mettrait à la porte. D'une main tremblante, elle poussa la porte des Enfers... Un homme à la trentaine l'observait, assis derrière un bureau. Tout son corps se crispa quand son regard se figea dans le sien. Bon Dieu... Ses yeux étaient d'un noir profond, à tel point qu'on ne faisait plus la différence entre son iris et sa pupille. C'était un regard à vous clouer sur place suffisamment longtemps pour que l'homme ait le temps de vous tuer sans obtenir le moindre geste défensif de votre part. Et sa frayeur grandit encore quand il se leva pour contourner le bureau. L'homme la surplombait d'au moins une trentaine de centimètres. Il lui tendit une rude poignée de main qu'elle saisit après quelques involontaires secondes d'hésitation.

-Mademoiselle Rosa Hatier, la salua-t-il. Je suis Aras Williams, fondateur et dirigeant de l'entreprise dans laquelle vous vous trouvez.

Rosa manqua de s'étouffer à son nom. Pourquoi !? Pourquoi était-ce lui qui faisait passer les entretiens d'embauche ? Perturbée, elle relâcha sa prise, incapable de prononcer ne serait-ce qu'un mot. 

Le bureau plongea dans un silence de mort. Aras observait attentivement la jeune femme qui lui faisait face. Il ne lui donnait même pas la vingtaine. En revanche, elle était carrément à l'opposé de ces femmes toutes habillées luxueusement et dont l'ambition s'échappait de tous leurs pores. Vêtue plus que simplement, son visage ne portait aucun artifice. Ses cheveux bruns étaient assemblés en une tresse qui descendait jusqu'en bas de son dos. Quelques mèches folles entouraient cependant son visage d'ange. Car oui, il fallait l'avouer, elle avait un visage d'ange. Ses traits étaient fins, sa peau terriblement pâle à tel point qu'il se demanda si elle était en bonne santé. Sa carrure était vraiment frêle. Tout son corps émanait de la frayeur et il jura même que ses mains à présent crispées sur la lanière de son sac tremblaient encore. Aras avait l'habitude de faire cet effet-là lors de premières rencontres. Il appréciait presque de voir dans ses yeux son intimidation face à lui. 

Mais un instant plus tard et à sa grande surprise, son visage se ferma, occultant toutes émotions visibles auparavant.

-Quelle impolitesse de fixer les gens ainsi ! On dirait un pervers !

Aras manqua d'avaler de travers.

-Je vous demande pardon ? Parce que vous trouvez ça correct d'insulter un potentiel patron de pervers avant même de dire bonjour ? gronda-t-il.

Rosa esquissa un mouvement de recul. La jeune femme se retenait de creuser un trou dans le sol pour s'y enterrer vivante, bien que le marbre ne soit pas le matériau le plus simple à casser avec un petit sac à main. Sa pire crainte venait de se réaliser. Mais en voyant la manière dont il l'avait dévisagée, comme s'il cherchait à lire à l'intérieur d'elle, elle avait paniqué. Rosa avait manqué à ses principes en laissant paraître sa peur face à cet homme et voilà où ça l'avait menée. Le travail et le salaire qui allait avec venait de s'envoler. Quant à sa dignité, elle venait d'être écrasée à grands coups de sabot. Mais son caractère capricieux ne semblait pas avoir achevé son supplice.

-Il faut bien dire les choses comme elles sont ! répliqua-t-elle d'une voix sûre.

L'homme ferma les yeux un instant, expirant lentement pour calmer son envie de l'étriper. Comment cette femme qui n'arrivait même pas à masquer le tremblement de ses mains pouvait-elle continuer à s'enfoncer ? Et comment pouvait-elle changer d'expression du tout au tout ? Durant une fraction de seconde, il avait pourtant bien cru voir une jeune femme timide, un peu perdue. Où cette femme-là s'était-elle envolée ? Personne ne s'était jamais permis de telles insultes avec lui. Cela dépassait l'entendement. Mais on ne croisait pas une telle personnalité à chaque coin de rue.

-Vous voulez ce travail ?

-Oui...

Ses sourcils se froncèrent brièvement tandis qu'il rapprochait son visage du sien, plus effrayant que jamais.

-Alors cessez immédiatement votre mascarade et allez vous asseoir, murmura-t-il en lui indiquant la chaise en face de son bureau.

Rosa frémit devant cette voix grave et pleine de menaces. Pour une fois, son corps lui obéit et elle ne perdit pas de temps pour s'exécuter, son corps tendu à l'extrême. Pour une raison qui lui était inconnue, il semblait avoir décidé de continuer l'entretien. L'homme la contourna pour s'asseoir en face d'elle. 

Durant quelques minutes, il feuilleta son CV. Et plus il avançait dans sa lecture, plus son expression se raidissait. Il n'y avait rien. Rien du tout.

-Je vois qu'il y a un trou de cinq ans dans votre dossier durant lequel vous n'avez rien fait. Puis-je en savoir la raison ? fronça-t-il les sourcils.


EffervescenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant