Chapitre 7

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Rosa émergea du sommeil difficilement, réveillée par le froid. Alertée par un liquide sur sa joue, elle l'effleura. Des larmes. Elle avait pleuré dans son sommeil. Comme souvent. Les membres ankylosés, elle se leva avec la sensation de n'être absolument pas plus reposée qu'il y a quelques heures. Aras Williams l'avait belle et bien ramenée après qu'elle se soit faite trempée pitoyablement. Le trajet s'était fait dans un grand silence une fois qu'elle lui ait avoué son adresse. En bas de son immeuble, elle avait insisté pour qu'il ne la ramène pas à sa porte. Hors de question qu'il voit le taudis dans lequel elle vivait ! Déjà qu'elle n'appréciait pas qu'il sache à présent où elle habitait... Elle l'avait remercié par politesse et il lui avait seulement recommandée de ne pas rester trempée.

Heureusement, il n'avait émis aucune autre moquerie sur sa volonté idiote de parcourir la moitié de la ville à pied à une heure aussi tardive. Elle était tellement au bout du rouleau qu'elle ne l'aurait pas supporté. 

Le soleil n'était pas levé mais elle savait déjà qu'elle ne parviendrait pas à se rendormir. Alors elle s'habilla et sortit avec hâte de l'immeuble. Sa chambrette était si froide qu'elle serait mieux n'importe où ailleurs qu'en ce lieu. Il n'était que six heures, elle n'allait tout de même pas aller au bureau à cette heure-ci. Donc elle prit la décision d'entrer dans le premier café qu'elle vit. 

Une douce chaleur l'enveloppa ainsi qu'une bonne odeur de viennoiseries. En revanche, la simple idée d'ingérer quelque chose lui donnait un haut-le-cœur. Sa maladie était, malgré ses efforts, encore bien ancrée en elle... Depuis la sortie du centre, elle avait carrément rechuté. Son travail l'accaparait et elle oubliait souvent de déjeuner le midi. Le soir, elle était bien trop fatiguée pour songer à avaler quoique ce soit. Mais dans un café, elle était obligée de commander pour rester. Un bon moyen pour reprendre sa santé en main...

Une jeune femme blonde d'à peu près son âge se présenta à elle, un sourire lumineux plaqué sur les lèvres. Un plateau était coincé sous son bras.

-Je vous écoute, mademoiselle !

-Euh... Juste un café.

Elle dégaina un carnet et un stylo.

-Je ne suis pas assez réveillée pour retenir les commandes à six heures, fit-elle remarquer en arrachant un petit sourire à Rosa qui comprenait parfaitement cela pour le vivre en ce moment-même.

-Oh ! Vous êtes magnifique lorsque vous souriez ! s'exclama-t-elle admirative.

D'ordinaire, Rosa aurait sans doute sorti une remarque blessante pour répondre à ça mais elle en fut incapable. Le serveuse semblait bien trop spontanée pour faire des compliments avec arrières-pensées. Tout dans son attitude respirait la franchise et l'honnêteté. Elle amenait le soleil avec elle. La jeune femme savait qu'elle devait se méfier : une personne aussi gentille ne pouvait exister... Rosa n'avait qu'à fouiller dans son passé pour en trouver tous les exemples nécessaires. Et puis elle était tout sauf jolie. Où avait-elle les yeux ?

-Merci... ? prononça-t-elle méfiante.

-Mais de rien ! C'est la vérité ! Je m'appelle Anys et vous ?

-Rosa.

-Enchantée ! Je vais vous chercher votre café.

Rosa répondit par un simple hochement de tête, ne sachant que penser de cette rencontre. Anys semblait tellement énergique que cela en devenait épuisant. Et que lui avait-il pris de donner son nom !? Donner son nom, c'était admettre que la personne en face n'était plus une inconnue. Anys revint déposer son café. Une fois seule, la jeune femme observa le liquide noir et brûlant d'un œil critique, anxieuse de savoir si elle arriverait à le boire. Rosa faisaient parti des anorexiques qui pensent que tout ce qui n'était pas de l'eau faisait grossir. Elle avait deux heures pour parvenir à boire avant d'aller au travail. Ça n'était pas inatteignable.

~~~

Le chef d'entreprise retournait en boucle la soirée de la veille dans sa tête. Le visage de Rosa apparaissait constamment dans ses pensées. Aras n'avait pas été surpris de trouver la jeune Rosa encore en train de classer les dossiers aussi tard. Sans l'aborder, il était souvent venu l'espionner. Elle travaillait très dur et de manière irréprochable. Mais qui reste au travail jusqu'à minuit sans y être obligé !? N'y avait-il personne qui l'attendait chez elle ? Quelle femme mystérieuse...

-Monsieur, elle est ici, l'avertit Marc.

Puisqu'il avait pu avoir un bref aperçu de ce qui effrayait Rosa, notamment les contacts sociaux, il s'était décidé à l'approcher dans un cadre plus professionnel. De cette manière, elle n'aurait d'autre choix que de lui obéir et cette proximité lui semblerait peut-être moins insurmontable ou illégitime. 

-Faites-la entrer.

Comme d'habitude, il ne put s'empêcher de l'observer attentivement quand elle entra dans son bureau en ce début d'après-midi. On pouvait sentir l'inquiétude de la femme à dix kilomètres. Ses yeux se baladaient sur le sol : elle n'osait pas lever le regard sur lui. Il l'intimidait. Mais Aras savait qu'il faisait cet effet à pratiquement tout le monde. Elle se tordait les doigts, signe de son impatience à savoir pourquoi il l'avait faite demander. Soudain, elle releva ses yeux gris, les sourcils froncés. Toute trace d'anxiété avait disparu. Rosa l'insensible, ou "Rosa bis" comme il se plaisait à nommer sa deuxième facette, était de retour, comme invoquée par un rappel à l'ordre de la vraie Rosa. 

-Pourquoi suis-je ici ? demanda-t-elle durement.

-Avez-vous un problème avec le mot "bonjour" ? Vous êtes fâchée avec lui ?

-Avez-vous un problème avec le principe de répondre quand on vous pose une question ? répliqua-t-elle du tac-au-tac.

Aras plissa les yeux, et s'approcha de quelques pas tandis qu'elle reculait.

-Je réponds aux questions quand il me plaît, Mademoiselle Hatier. N'allez pas trop loin.

Une lueur de frayeur et de doute passa sur son visage.

-Vous allez me renvoyer ? demanda-t-elle précipitamment.

Quoi ? Comme avait-elle pu arriver à cette conclusion ? Aras l'avait seulement un peu cherchée pour voir sa réaction mais il ignorait qu'elle craignait à ce point de perdre son travail. Surtout qu'elle excellait dans ses tâches. Il se radoucit en voyant ses fines mains trembler en l'attente d'une réponse. La pousser dans ses retranchements : oui. La malmener : ça n'était certainement pas son objectif.

-Non... Bien sûr que non. Pourquoi vous virerai-je ? 

Rosa fronça les sourcils, cherchant une réponse à toute allure. Son enhardissement n'avait pas mis bien longtemps à s'évaporer.

-Parce que... je parle beaucoup trop ?

-C'est pour ça que je vous ai embauchée. Mais je ne vous qualifierais pas vraiment de bavarde mais plutôt d'exagérément méfiante. Et en ce sens, vous n'êtes pas la plus bavarde qui existe... 

EffervescenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant