Effervescence

Chapitre 34

Aras se rassit, inquiet en pensant à l'état d'esprit dans lequel devait se trouver la jeune femme. Surtout que le médecin le fixait attentivement par-dessus les verres de ses lunettes. Il n'était pas prêt d'être lâché de ce bureau.

-Qui êtes-vous exactement ? demanda Romain après un long moment de silence.

La question le prit de court. Il avait l'impression d'être à un entretien d'embauche ou un examen tellement Romain le fixait, jugeait la moindre de ses réactions.

-Je vous demande pardon ?

-Vous comprenez, dit-il en se redressant et en retirant ses lunettes, que lorsque je suis une patiente depuis plusieurs années et que je la vois arriver très peu de temps après avec un inconnu, sachant qu'elle est sortie fragilisée, je m'interroge. Alors qui êtes-vous ? Quel rôle jouez-vous dans la vie de Rosa ?

Aras se durcit devant le ton terriblement froid employé par le médecin. Le changement entre son attitude calme et attentive avec Rosa, et celle qu'il avait adopté dès la jeune femme sortie de la pièce, était incroyable. Et il n'appréciait absolument pas que cet homme le juge ainsi sans même le connaître. Mais dans l'immédiat, il voulait juste retrouver Rosa et s'assurer qu'elle allait bien après cet examen éprouvant.

-Donc vous m'accusez d'avoir des effets négatifs sur sa vie ?

-Je ne vous accuse pas, je cherche à comprendre. A comprendre jusqu'où va votre influence sur sa personne. Elle a tout de même insisté à ce que vous soyez présent. Pourquoi elle vous a accepté vous, et surtout qu'est-ce qui est à l'origine d'un tel changement ?

-De quels changements parlez-vous exactement ? demanda Aras.

-Sa carapace s'est fêlée. Je l'avais toujours connue sèche, recherchant de l'attention et pas forcément de la meilleure manière possible. Ce n'est pas sa véritable personnalité mais c'est ce qu'elle m'a montrée à mon arrivée dans le centre et ce qu'elle montrait à tous. Mais aujourd'hui... Elle a été plus ouverte que jamais. Elle a osé montrer sa fragilité. Et pourtant, il y avait déjà eu une nette amélioration pour que je l'autorise à sortir de l'hôpital.

Aras ne se doutait pas de l'envergure des progrès de Rosa. Dès leur première rencontre et très naturellement, il avait compris ce qu'il pouvait y avoir derrière cette barrière. Mais à la suite, il avait davantage vu ce qu'elle cachait et non sa façade extérieure. 

-Mais ces changements sont positifs, je ne vois donc pas ce que vous cherchez à me faire dire, objecta le chef d'entreprise.

-Après des épreuves traumatisantes et essayé en vain de lutter, une personne peut remettre sa vie entière dans les mains de quelqu'un d'autre. Elle lui voue une confiance aveugle. Ce n'est pas mal tant que la personne n'a pas d'intentions malhonnêtes...

C'était officiel, Aras le détestait. Mais il ne pouvait lui reprocher d'être aussi attentif à sa patiente.

-Je ne suis pas malhonnête. Elle est employée dans mon entreprise et je veille au fait qu'elle n'en fasse pas trop. Je surveille son alimentation. Elle sort de plus en plus, avec moi mais aussi avec une amie, dit-il en faisant référence à Anys.

Le docteur de pencha sur le bureau, la surprise se lisant sur son visage.

-Elle s'est fait des amies ?

-Oui, et elles sont très proches. Vous voyez, si j'ai autant d'influence sur Rosa que vous semblez le penser, elle est positive.

-Son passé, ses phases autodestructrices, qu'en savez-vous ?

Aras hésita à répondre. En parler lui faisait mal même s'il n'était pas le plus souffrant dans cette histoire.

-J'ai assisté à beaucoup de ses crises. Mais elles se font de plus en plus rare. Quant à son passé, elle se dévoile peu encore.

-N'êtes-vous pas curieux d'en apprendre plus ?

Oh si ! Aras mourait d'envie d'en apprendre davantage. Il ne passait pas une minute dans qu'il ne s'interroge. Et il le saurait. Bientôt. Quand Rosa le voudra. Jamais il ne pourrait la forcer à lui révéler son passé. Même si savoir avait été sa première motivation pour l'approcher en entrant dans l'entreprise, les choses avaient changé.

-J'attends.

-Vous êtes sûr de le supporter ?

-Je suis très patient, affirma-t-il résolument.

Romain prit quelques instants pour réfléchir. Effectivement, cet homme qui encourageait Rosa à s'ouvrir aux autres et qui surveillait sa santé aveuglément ne pouvait être forcément mauvais. Mais...

-Vous êtes surtout amoureux d'elle.

-Cela ne vous regarde en rien, gronda Aras, contrarié qu'il l'ait compris si facilement.

-Rosa est complexe. Vous ignorez beaucoup de choses.

-J'apprends plus de jour en jour.

-Il y a une chance sur deux pour qu'elle vous rejette définitivement et sans raison.

Le coeur d'Aras se serra douloureusement à cette idée. Il ne voulait pas y croire, lui qui obtient toujours tout ce qu'il veut. Jamais il n'a caché ses intentions à Rosa et jamais elle ne les a rejetée clairement. Sans compter que ses baisers lui faisaient du bien. À elle tout comme à lui. Il savourait chacun de leurs contacts, aussi infimes et rares soient-ils. Il voulait une relation avec elle. L'homme ignorait quelle serait la finalité de toute cette situation. Cependant, jamais il ne pourrait se résoudre à la lâcher indéfiniment. Mais ce genre de réflexion n'appartenait qu'à lui et le médecin n'avait pas à le savoir.

-Vous n'êtes pas le premier à me prévenir, lança Aras avec un petit sourire. Maintenant, je vais y aller.

Romain Perret hocha la tête, l'air pensif. Ils se levèrent et il le raccompagna au couloir. Rosa attendait un peu plus loin, sans remarquer leur présence. Les deux hommes échangèrent une poignée de main mais Romain tarda à le lâcher.

-Ma relation avec Rosa a très mal débuté. Mais il est temps qu'elle soit heureuse. Je pense pouvoir dire sans me tromper qu'on se revoie dans trois mois si vous raccompagnez encore Rosa.

Il le lâcha et s'éloigna chercher le prochain patient, laissant le chef d'entreprise abasourdi. Quelque part, ces mots sonnaient comme une promesse. Dans trois mois, il partagerait encore la vie de la jeune femme.