Aras entra dans le bureau de son frère vers cinq heures du matin. Un lève-tôt, comme Rosa. Dans une heure, il devrait la rejoindre au café où elle avait l'habitude de manger le matin. Mais avant toute chose, il désirait savoir comment s'était achevée la soirée. Comment De Colbert avait réagi après avoir subi le déchaînement de la jeune femme ? Et surtout quelles avaient pu être les réactions du couple Hatier en voyant leur fille dans un tel état ? La violente claque donnée par son père lui montrait déjà l'étendue de son amour pour sa fille. Mais il voulait en savoir plus. Son frère semblait aussi éreinté que lui quand il leva les yeux de ses dossiers. Sa nuit avait dû être agitée.
-Rosa est anorexique, dit l'homme d'emblée en s'asseyant sur le fauteuil en face du bureau.
Aspen leva un visage neutre sur lui.
-Tu n'as pas l'air surpris.
-Je m'en doutais, soupira-t-il. J'ai fait viré De Colbert de son entreprise pour comportement indécent, annonça Aspen. Tu l'aurais vu... On aurait cru voir Rosa quand il s'est battu pour échapper à la sécurité. En revanche, le persuader de ne pas porter plainte contre ta protégée à été plus compliqué. Même des propos plus qu'insultants ne justifiaient pas un tel déchaînement.
-Tu as bien fait, conclut Aras, déjà envahi par la colère en imaginant les allusions obscènes de De Colbert.
-Il est tout de même étonnant de voir une jeune femme aussi frêle se battre ainsi.
-Arrête, c'est juste que cet enfoiré s'est toujours cru si supérieur qu'il n'a jamais pris la peine d'apprendre un sport de combat. Rosa n'est qu'un chaton inoffensif.
-Ton chaton inoffensif lui a quand même brisé le nez.
Il y eut une seconde de battement.
-Oh...
-Comme tu dis, asséna Aspen en signant un de ses documents. Si tu veux la comparer à un animal, choisis plutôt le tigre. Ou une hyène. Ou un requin. Ou...
-C'est bon, j'ai compris. Et ses parents ? Que s'est-il passé après que l'ai rejointe ?
Le regard de son frère s'assombrit brusquement, ce qui ne rassura pas Aras. Lui qui avait toujours le mot pour rire, un tel regard n'était pas habituel.
-Leur réaction m'a surpris, commença-t-il. Elle était bien trop démesurée compte tenu de la situation. Son père voulait à tout prix sortir du bâtiment pour punir sa fille comme elle le méritait. Il hurlait que tant qu'elle ne serait pas morte, elle ne ferait qu'apporter la honte et le déshonneur sur leur famille, comme hier. Qu'il n'aurait jamais dû payer son centre médical pendant cinq ans et qu'elle aurait même dû mourir de sa maladie. C'était choquant.
Aras ferma les yeux quelques instants pour mieux accuser le coup, le corps tendu à l'extrême.
-Et sa mère ?
-Elle est restée silencieuse. Mais semblait approuver son mari. C'est triste, mais Rosa semble avoir toujours vécu dans cette ambiance-là. J'imagine que tu vas aller la rejoindre dans peu de temps, soupira-t-il encore. J'ai compris que tu veux l'aider mais pense-tu vraiment en être capable ?
-Qu'est-ce que tu insinues ? fronça-t-il des sourcils, incapable de voir où son frère voulait en venir.
-Elle est instable.
-Et alors ?
-Es-tu prêt à l'éventualité de n'arriver à rien avec Rosa ? Tu risquerait de lui faire plus de mal que de bien en arrivant avec tes gros sabots. Et de t'en faire à toi-même si tu t'investies trop.
Aras sourit en silence et son frère comprit alors qu'il ignorait des choses sur sa relation avec Rosa. Aucun doute, Aras avait déjà dû se faire mille fois ces remarques. Comment avait-il même pu imaginer qu'il ne savait pas parfaitement dans quoi il se lançait, bien trop intelligent et analyseur qu'il était ? Il n'avait pas été objectif en faisant ces remarques à son frère. Car comment pouvait-il se rendre compte de l'intensité de leurs moments vécus ensembles en à peine quelques semaines ?
~~~
A l'autre bout de la ville, Rosa se dirigeait vers son café habituel : l'Elysée. Elle croisa Anys qui elle aussi s'y rendait pour prendre son service. Celle-ci la salua rapidement, déjà en retard à cause d'une panne de réveil. La jeune femme traînait des pieds. Son patron viendrait-il comme il le lui avait promis la veille ? Après tout, il n'était que six heures du matin et ils ne s'étaient pas donné rendez-vous. Elle s'interrompit un bref instant pour contempler la rue vide de monde. Non, il ne viendrait pas. Qui se lèverait aux aurores pour accompagner une pauvre fille prendre son petit-déjeuner !? Personne si ce n'est...
-...un idiot !
-Qui est idiot ?
Rosa fit un bond de trois mètres en entendant sa voix grave près de son oreille. Pourquoi avait-elle parlé à haute voix ? C'était elle, l'idiote... Il était si proche qu'elle pouvait sentir son souffle effleurer sa nuque. Ses joues rougissaient, elle le savait.
-Tout le monde sauf vous ! ironisa-t-elle pour tenter de reprendre contenance.
Il était bel et bien là, lui et son habituel fichu caractère. Comme il l'avait promis. Rosa peinait à y croire. Il haussa un sourcil, mais ne fit aucun commentaire.
-Allons-y, déclara-t-il finalement en passant une main derrière son dos.
Aras la sentit se pétrifier dès qu'il effleura ses omoplates. Il s'attendait à ce qu'elle le repousse et à essuyer une insulte dont elle a le secret mais, curieusement, elle n'en fit rien. Son pas était raide et elle retenait même sa respiration. En revanche, le rouge qui colorait ses joues le renseigna sur l'origine de sa gêne. Et cette gêne-ci était bien loin de lui déplaire... Trop mignonne ! Pour la taquiner, il se pencha jusqu'à être à sa hauteur.
-Détendez-vous, Mademoiselle Hatier. Je ne vais pas vous manger, murmura-t-il au creux de son oreille.
-Vous n'êtes pas le grand méchant loup et je ne suis pas le petit chaperon rouge, répliqua-t-elle le plus sèchement possible.
-Vous avez raison, vous n'êtes pas le petit chaperon rouge. Vous êtes Rosa. Rosa avec toutes ses peurs, ses angoisses, ses blessures, sa méfiance... A la différence des contes pour enfants, votre histoire est réelle. Mais je peux vous assurer avec certitude qu'elle finira de la même manière que celles des contes : "Et elle vécut heureuse jusqu'à la fin des jours..."

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Effervescence
RomantikCe qu'elle cherchait, c'était blesser. Mais qui se cache réellement sous cette apparence superficielle et méprisable ? Qui se cache sous cette barrière infranchissable ? A la sortie de l'hôpital psychiatrique où Rosa est internée pour anorexie, la...