Chapitre 53

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- J'ai bien aimé celui-là, commenta Rosa en descendant les trois marches qui menaient au trottoir.

- C'est vrai qu'il est bien. Spacieux, dans un quartier sécurisé, et la propriétaire a l'air honnête et gentille, renchérit Aras. Mais la plomberie m'a paru vieille, certains endroits étaient rouillés.

Aras exerçait un œil très critique durant toutes leurs visites de logements. À raison puisqu'il repérait des détails que Rosa n'aurait jamais vu. Elle manquait d'expérience. Mais il lui arrivait aussi parfois d'avoir l'impression qu'il aurait préféré qu'elle reste juste chez lui, dans sa grande et luxueuse maison. C'est vrai que c'est tentant...

Mais c'est sa vie et une fois qu'elle prend une décision, elle va jusqu'au bout. Pour le meilleur et pour le pire. Elle était intimement convaincue qu'avant de pouvoir construire une véritable relation avec Aras, elle devait apprendre à s'aimer. Et s'aimer signifie ne pas rechuter lorsqu'elle est seule. Loin d'elle l'idée de se préparer à une future séparation entre elle et Aras : c'est une décision avant tout pour elle-même. Ou alors essaye-t-elle de s'en convaincre ? Elle est lasse de toujours lutter pour accorder un minimum de confiance à autrui. Et à qui la faute !? songea-t-elle avec colère. Mais elle ne voulait pas penser à eux maintenant. Pas quand tout semblait plus doux depuis quelques jours.

- Tu sais, je crois que j'ai un coup de coeur pour l'appartement et le quartier, confia-t-elle.

Aras observa son visage, éclairé par un rayon du soleil couchant. Son sourire était aussi léger qu'une plume. Les kilos repris lui allaient bien, il le remarquait particulièrement à ce moment, où le soleil faisait apparaître des ombres éphémères sur les corps. Ses joues n'étaient plus creusées et joliment rosies par le froid du début d'avril. Le pic dur de ses hanches avait fondu et ses cuisses remplissaient les anciens plis de son jean. Terriblement attirante en cet instant...

Elle avait tellement évolué depuis leur rencontre... A-t-elle encore besoin de lui ? Qu'adviendra-il de leur relation quand Rosa aura suffisamment guéri pour rompre leur "contrat" ? Ce jour approchait inexorablement. Heureusement et malheureusement.

Il respectait son choix d'habiter seule mais le craignait aussi. Il craignait pour elle, disait-il. Mais il craignait surtout pour lui. L'avoir avec lui tous les jours le remplissait de joie. La vie était douce avec elle, malgré l'ombre de sa maladie toujours présente.

- Vraiment ? Qu'est-ce-qui t'a tapé dans l'oeil ici ?

- ... La cuisine. Spacieuse et cosy, et surtout l'immense plan de travail.

Aras fronça les sourcils, ne s'attendant pas à ça. Les cuisines étaient son cauchemar, pour des raisons évidentes. Elle les fuyait comme la peste. Il ne put s'empêcher de repenser à l'une des premières fois où Rosa lui avait signifié être sur le point de se scarifier. Ses mains tremblaient tellement pour couper les légumes. Et ses doigts si crispés sur le couteau qu'il avait eu du mal à les y desserrer. Il n'avait jamais pensé à lui retirer ses objets coupants depuis qu'elle lui avait avoué que lorsqu'elle souhaite vraiment se faire du mal, n'importe quel objet peut faire l'affaire, jusqu'au minuscule trombone qui traîne. Mais la cuisine regorge d'objets coupants et reste un déclencheur... Aras stoppa sa marche.

- J'aimerais tenter de me préparer quelques repas. Aller chercher des ingrédients au marché qui a lieu tous les mardis soirs sur la place en face de l'immeuble, expliqua-t-elle avec quelques trémolos dans sa voix. Pas des choses incroyables au début bien sûr, il me faudra du temps pour envisager de préparer une raclette mais petit à petit...

Elle y avait bien réfléchi, songea Aras.

- C'est une excellente idée. On dirait que tu prévoyais ça depuis un moment.

- En fait oui. Les trois semaines de vacances ont été intenses, j'ai réalisé beaucoup de choses pendant ce temps-là, certaines grâce à toi, sourit-elle en recommençant à marcher et en l'attirant à elle par la main. J'ai réalisé que si je devais laisser la danse et Ely dans le passé, il me fallait de nouveaux objectifs.

Il appréciait qu'elle se confie davantage sur son état d'esprit. Ce n'est pas dans ses habitudes. Tout ça est positif mais très rapide. Trop rapide ? Il aimait la nouvelle Rosa détendue et pleine d'énergie mais n'est-ce pas dangereux de se sentir pousser des ailes à ce point ?

- Je crois en toi, mais j'aimerais quand même être là pour les premières fois, posa-t-il d'un ton sans appel.

- Si tu veux...

Ils continuèrent leur marche en silence. Sans en parler, ils s'étaient mis à parcourir les rues de son probable futur quartier. Le soleil était maintenant couché et la pénombre tombait sur la ville.

- Je peux te poser une question ? demanda Rosa.

- Je suis étonné que tu me demandes pour poser une question. D'habitude tu ne te gênes pas, la charia-t-il.

Elle le poussa doucement d'un coup d'épaule.

- T'es bête... Comment étais-tu quand tu étais enfant ?

- C'est ça ta question ? Pourquoi tu veux le savoir ?

- Eh bien tu connais le pire de ma vie. Et moi je ne sais rien de toi. Tu focalises toujours les discussions sur moi.

Il haussa un sourcil accompagné d'un demi-sourire railleur.

- Tu veux connaître mes traumas pour qu'on soit à égalité en fait ?

Rosa manqua de s'étouffer et devint rouge comme une tomate.

- Mais non ! Sans rire, je ne sais pas grand-chose de toi, se défendit-elle. Après, si tu veux me parler au passage de quelques traumas je t'écoute, asséna-elle avec un petit sourire narquois.

EffervescenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant