Chapitre 60

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- Oh oui, se lamenta Mme Hatier. La prison change les gens, vraiment. Pousser ce pauvre homme, ce pauvre Sébastien au suicide !

Oh oui, pauvre Sébastien, quelle victime. Taisez-vous, merde.

- Il ne méritait pas ça, renchérit son père désapprobateur.

Il méritait pire.

- Par respect pour ton mari, tu devrais ressentir un minimum de compassion pour son meilleur ami tout de même. Tu l'as beaucoup côtoyé quand même.

La ferme !

- Peut-être que si tu étais allée les voir en prison, Sébastien n'aurait pas fait ce qu'il a fait.

Non, ses propres parents ne pouvaient pas lui dire ça !? C'est déjà inhumain de l'accuser d'avoir poussé un homme au suicide, mais recevoir ça de ses parents !? Elle avait vraiment pensé que le dîner pourrait se passer autrement ? Combien de chances allait-elle encore leur donner ?

Les larmes aux yeux, tremblante, elle eut tout juste la force de poser ses limites :

- Vous n'avez pas le droit de me dire ça. Si on ne change pas immédiatement de sujet, on s'en va tout de suite.

Aras chercha la main de la jeune femme sous la table. Ça suffit, il en avait assez entendu, et Rosa aussi. Un changement de sujet n'était pas suffisant, il fallait qu'ils quittent cet endroit et ces personnes abjectes. Immédiatement. Mais Rosa se soustrait à sa poigne. Elle voulait rester. Elle espérait encore, et lui voulait juste l'emmener à des millions de kilomètres de ses parents qui ne cessaient de la faire souffrir.

Sentant qu'ils avaient dépassé les bornes, Mme Hatier adopta immédiatement un ton plus léger. Rosa eut une minute de reconnaissance pour sa mère qui déblatérait sur les tendances de mode. Au fond, si elle avait pris en compte la supplique de Rosa, c'est bien que sa mère souhaitait vraiment sa présence à cette table ?

Agacé, Aras suivit le mouvement de la conversation. Il n'était pas d'accord avec les agissements de Rosa mais il se devait de respecter son choix. Et même s'il refusait de se l'avouer, il en avait appris beaucoup sur le passé de la jeune femme par la bouche de ses parents. Plus que par Rosa, songea-t-il avec amertume.

Deux noms étaient sortis. Sébastien, dont il connaissait déjà le nom par le médecin de Rosa. Et ce Jonathan, ex-mari de Rosa et meilleur ami de Sébastien. Le premier s'était suicidé en prison. Et le second y croupit encore. Qu'est-ce qu'ils ont fait pour être incarcérés ?

Arrivés au dessert, pendant que Mr Hatier tentait vainement multiples stratégies commerciales pour regagner les faveurs d'Aras, la mère de Rosa vint glisser une main amicale sur son dos. La jeune femme se raidit instantanément. Qu'est-ce qui lui prend ?

- Ma chérie, pendant que les hommes parlent business, ça te dirait qu'on monte dans ta chambre ? Il y a certainement des affaires d'enfance que tu voudrais récupérer.

Rosa fronça les sourcils, perplexe. Mais passée la conversation houleuse du début du repas, la suite du dîner s'était révélée plus agréable. Ses parents ne connaissaient pas toute l'histoire entre elle et Sébastien et Jonathan. Voilà pourquoi ils commettaient ce genre de maladresse. S'ils savaient la vérité, ses parents se rangeraient sûrement du côté de leur fille ! Finalement, elle décida de baisser la garde et de la suivre. Quand Aras l'interrogea du regard, elle le rassura d'un petit sourire et monta à l'étage avec sa mère. Elle gérait.

Sa chambre n'avait pas bougé depuis qu'elle l'avait quittée pour habiter avec Jonathan. Une vague de souvenirs déferla. Sur son bureau en train de faire ses devoirs. Son petit balcon où elle aimait s'accouder le soir. Son miroir pour se maquiller. Sa caisse de poupées. Et ses couvertures roses pâles où elle se cachait pour pleurer le manque d'attention. Elle caressa la main de la petite fille à côté qui ne la quittait plus.

- Voilà, prends ce qui t'intéresse.

Comme c'est agréable quand sa mère ne l'agresse pas verbalement toutes les trente secondes. Rosa rassembla ses albums photo, ses carnets intimes et quelques objets particuliers. Puis sa mère la poussa à s'asseoir à ses côtés sur le lit.

- On passe une bonne soirée, n'est-ce pas ?

Excepté le moment où ils l'avaient accusée d'être sans-coeur et égoïste avec des hommes pour qui Rosa s'était battue longuement pour qu'ils n'aient que ce qu'ils méritent, oui. Mais sa mère faisait un pas vers elle, alors elle devait elle aussi faire des efforts.

- Tu m'as manquée, tu sais, continua-t-elle sur un ton d'aveu.

Ces paroles réchauffèrent le cœur de Rosa. Est-ce bien vrai ?

- Moi aussi. On devrait faire ça plus souvent.

Elle venait vraiment de dire ça ? Alors qu'elle avait fait un million de crises d'angoisse dans la semaine à cause d'eux ? Était-elle prête à vivre encore cette anxiété si elle était amenée à les voir plus régulièrement ? La petite Rosa prisonnière du passé grimpa sur ses genoux précipitamment. Elle agrippa les joues de son reflet adulte avec ses doigts potelés d'enfant en la suppliant de ses yeux larmoyant : "non, pas question ! Refuse, refuse ! Refuse pour moi s'il-te-plaît...".

- On aimerait beaucoup avec ton père, confirma sa mère, sourire aux lèvres.

Rosa savoura le silence apaisé qui suivit. Peut-être qu'il n'est pas trop tard pour renouer ?

- Mais seuls avec toi. Sans ton patron que tu nous as ramenés sans prévenir.

- Je sais que ce n'était pas très correct de vous faire ça, je suis dés...

- D'ailleurs, la coupa sèchement sa mère, je ne comprends pas pourquoi tu n'as pas démissionné après sa soirée. Tu aurais dû le faire spontanément, par solidarité envers ta famille. Et ça explique encore moins ce que tu fais avec ton patron en dehors du travail.

- Aras est gentil, il m'aide beaucoup. Tu sais, avec l'anorexie...

- Bref, peu importe, balaya-t-elle la remarque de Rosa. Tu n'en feras qu'à ta tête, comme d'habitude. Un jour, tu te rendras que ce n'est pas un homme bien et il sera trop tard.

EffervescenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant