Effervescence

Chapitre 39

Rosa observait son reflet dans la glace depuis déjà dix minutes, ignorant toujours si elle se trouvait belle ou si la robe de soirée que lui avait demandé de porter son patron ne lui convenait définitivement pas. Il s'agissait d'une robe longue et noire, à bretelles serties de perles, moulante juste ce qu'il fallait pour mettre se formes en valeur sans faire vulgaire. Il avait même prévu des gants de satin pour cacher ses cicatrices sur ses poignets. Le dos était nu, et c'est cela qui la gênait essentiellement. S'il lui demandait de porter ce genre de tenue, c'est qu'ils seraient forcément entourés de monde.

Elle rougit terriblement en imaginant que l'homme avait peut-être choisi lui-même sa robe. Avait-il observé les différents modèles en rêvant au tissu qui épouserait le mieux ses formes ? À quel moment l'avait-il suffisamment étudié pour connaître sa taille ? Affreusement gênée de ces pensées intrusives, elle se cacha le visage écarlate dans ses mains. Que lui arrivait-il en ce moment ? Dès que ses yeux se fermaient, le torse musclé de son patron lui apparaissait.

-Rosa, tu es prête ? demanda l'homme à travers la robe.

La jeune femme regarda une dernière fois son reflet dans le miroir en soupirant. La robe était trop belle pour qu'elle soit digne de la porter. Elle ouvrit la porte et s'apprêtait à demander à Aras d'attendre quelques minutes pour se changer avec quelque chose de plus simple, mais son expression hébétée l'en empêchait. Il brillait dans ses yeux une lueur admirative.

-Ce n'est pas trop... Bizarre ? objecta Rosa mal-à-l'aise.

-Bizarre ? manqua de s'étouffer l'homme. Tu es ravissante, cette robe te va à merveille. N'en doute jamais. Par contre...

Lentement, il la contourna et se plaça de manière à défaire la tresse qui emprisonnaient ses beaux cheveux aux reflets roux. Il n'avait pu résister à la tentation d'effleurer sa nuque et prenait son temps pour défaire chaque mèche auburn.

Rosa l'avait faite par habitude. D'expérience, une coiffure plus stricte n'encourageait pas les gens à venir vers elle. Avec l'expression haineuse qu'elle affichait d'ordinaire, elle était sûre d'être tranquille. A bien y réfléchir, Aras n'avait jamais dû la voir autrement. La préférait-il les cheveux lâchés ? Quelle était nouvelle et étrange cette manie de toujours vouloir lui apparaître à son avantage ?

-Bien. Tu es prête, sourit tendrement Aras.

Ils sortirent de la demeure où un bateau luxueux les attendait. La nuit était tombée. Tandis que l'homme l'aidait à grimper sur le pont tanguant, Rosa s'interrogeait de plus en plus. Où allaient-ils donc ? Peut-être allaient-ils rester sur le bateau et faire une ballade nocturne ? Mais cela n'expliquait pas la robe. Aras lui-même était très chic. Elle avait l'habitude de le voir en costume mais il était clair que sa tenue était davantage soignée ce soir-là. 

Le bateau démarra. Le vent frai s'engouffrait dans ses cheveux, lui donnant une intense impression de liberté. Les embruns salés remontaient jusqu'à son visage et fondaient sur la peau nue de son décolleté. Avant qu'elle ne frissonne, l'homme déposa un fin châle sur ses épaules frêles.

-Tu as l'air de t'amuser, remarqua-t-il.

Elle se tourna vers lui, sourire aux lèvres.

-Tout est nouveau ici. J'ai envie de vivre, de découvrir tout ce que je me suis interdit de faire jusqu'à maintenant. Ça fait du bien de m'éloigner de tout ce qui peut me rappeler de mauvais souvenirs.

Aras déposa un baiser sur sa tempe tandis qu'elle se replongeait dans l'observation des reflets dans l'eau noire. Lui aussi avait l'impression de découvrir une nouvelle Rosa. Elle soutenait enfin son regard, avec une confiance en elle qu'il ne lui connaissait pas. Elle évoquait son passé avec de plus en plus de facilité.

-Hum... Je peux savoir où nous allons ? questionna timidement Rosa. Ce n'est pas que je ne te fais pas confiance mais...

-Je me demandais quand est-ce que tu me le demanderais, rit l'homme aux éclats. Il n'est ni dans ta nature d'être patiente, ni de suivre quelqu'un à l'aveuglette ! Tu as tenu longtemps.

En voyant la petite mine frustrée et boudeuse de Rosa, il craqua néanmoins et pointa du doigts des lumières sur la côte.

-Nous allons accoster là-bas, au port de Bennelong Point. D'ici, nous rejoindrons l'opéra de Sydney pour assister à un ballet de danse classique. Qu'en dis-tu ?

Rosa ne trouvait plus ses mots tant le choc était grand.

-Mais... Que... Il faut normalement s'y prendre plus d'un an à l'avance pour obtenir des places à un prix exorbitant ! Vous avez perdu la tête !

-Il se trouve que j'ai le bras long, dit-il nonchalamment. Joyeux anniversaire, mademoiselle Hatier.

Rosa eut du mal à retenir ses larmes. Il avait fini par le savoir. Il savait toujours tout. Aujourd'hui, elle fêtait ses vingt-cinq ans et son patron lui offrait le spectacle dont elle avait toujours rêvé. 

A l'arrivée devant le mythique opéra océaniens, la jeune femme ne tenait plus en place tant l'excitation la gagnait. Une foule bien habillée se pressait également devant les portes. Aras la fit passer par une autre entrée privée, un peu plus éloignée mais qui aboutissait directement sur les couloirs pour accéder aux loges. Il avait pris soin de réserver une loge garantissant la meilleure vue possible. 

Rosa était aux anges et cela le faisait sourire. Il ne s'était pas trompée sur sa passion pour la danse. Seuls les magazines spécialisés qu'elle lisait l'avait mis sur la voie. Jamais elle n'avait évoqué le sujet, bien que son médecin avait affirmé qu'elle pouvait reprendre le sport. L'avait-elle déjà pratiquée ? Elle observait la salle d'un air fasciné et trépigna au lever du rideau.

Quand l'obscurité s'était faite dans la salle et qu'une douce musique sortit de l'orchestre, Rosa était certaine d'avoir senti son cœur rater un battement. Il était étonnant de voir la rapidité avec laquelle elle s'était replongée dans cette ambiance à la fois si familière et lointaine. Elle n'était plus là, mais bel et bien emportée dans ce monde qui avait été son soutien si longtemps. Elle se délectait des mouvements si fluides et précis des danseurs. C'était un chef-d'oeuvre. Il y a quelques années... Il y a quelques années, elle aurait pu se trouvait à leur place.

La douzaine de danseurs sortit de scène pour laisser la place à une jeune danseuse au corps puissant mais aussi délicat qu'une plume. L'étoile faisait son entrée. Aras lança un coup d'œil à sa jeune compagne, pensant ne voir que joie sur son visage. Mais, les yeux grand ouverts de surprise, elle était à demi-levée. 

-Mais c'est...