Chapitre 63

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L'homme la sentit sur la défensive. Elle ne voulait pas parler de son passé mais tâtait le terrain pour s'adapter à la situation et regagner du contrôle. Il ne devrait pas insister. Ce n'est pas correct si elle ne souhaite pas parler. Mais la curiosité devenait trop forte. Il devait savoir qui étaient Jonathan et Sébastien.

Aras résuma tout ce qu'il avait compris de la soirée. Au fur et à mesure de ses paroles, Rosa s'avachit. Déjà parce que ça lui faisait une sensation étrange de l'entendre parler de son histoire. Puis parce qu'elle se rendait compte qu'Aras n'avait eu d'autre choix que de déduire des choses à partir des paroles humiliantes de ses parents. Bien sûr, il n'avait pas repris leurs paroles exactes et reformulait de manière plus neutre.

- Quelle image pathétique tu dois avoir de moi après cette soirée... renifla-t-elle, honteuse.

- Rosa, je ne te juge pas. Mais s'il-te-plaît, détrompe-moi si j'ai mal interprété certaines choses. Je n'ai pas ta version à toi.

Elle soupira mollement.

- Déjà, que les choses soient bien claires, me marier avec Jonathan n'était pas mon choix, dit-elle durement.

Ses parents avaient trop laissé entendre qu'ils n'y étaient pour rien si ce mariage avait raté. Or, rien n'aurait été raté si ce mariage n'avait juste pas eu lieu.

- Je savais depuis mes onze ans que je devrai me marier avec lui. Mes parents avaient fait un accord avec les siens.

Aras lui serra la main en signe de soutien en entendant sa voix trembler. Onze ans... Si jeune pour déjà voir toute sa route tracée par quelqu'un d'autre...

- J'ai... J'ai en quelques sortes grandi avec lui. Nous nous croisions souvent. À l'école, et aux soirées organisées par nos parents.

Elle s'arrêta, les mots bloqués dans sa gorge. Des flashbacks faisaient irruption à toute vitesse dans son corps. Elle le revoyait, adolescent populaire et irréprochable aux yeux des adultes avec son sourire ravageur et ses paroles enjoleuses. Il avait dupé tout le monde, y compris elle. Du moins au début seulement.

- Rosa, respire bien. Inspire. Expire...

Il la guida en posant une main délicatement sur sa poitrine. Rosa, guidée ainsi, parvint à se calmer.

- Ça va... Désolée.

- Ne t'excuse pas.

Elle prit une grande inspiration et reprit.

- Au début, je le tolérais bien. À onze ans, je croyais que les mariages forcés étaient la norme et je voulais faire plaisir à mes parents. Comme il savait que serions mariés à mes dix-huit ans, il a pris certaines... libertés. Il parlait beaucoup de la nuit de noces.

Son corps frissonna de dégoût.

- De ce qu'il allait me faire...

Âgé de quelques années de plus qu'elle, des fantasmes sexuels violents avaient fleurit dans sa tête de garçon adolescent. Des fantasmes dont il était ravi qu'elle soit informée dans les moindres détails les plus sordides. La prendre inconsciente. Lui mordre les seins à en imprimer la marque de ses dents. Faire de son corps un jouet à sa disposition. Le regard de Rosa devint vide, perdue dans ses cauchemars. Son esprit partait.

Aras serrait sa mâchoire à s'en casser les dents.

- Qu'est-ce qu'il t'a fait ? demanda-t-il avec rage, un ton si sec que Rosa sursauta et revint à la réalité.

Elle déglutit douloureusement.

- Heureusement, il considérait qu'il était plus "correct", mima-t-elle les guillemets avec ses doigts, d'attendre la nuit de noce. Il ne m'a pas touchée avant mes dix-huit ans mais m'a forcée à me déshabiller et à me masturber devant lui.

Aras se leva brusquement, furieux et en proie à des émotions insupportables. Pour calmer sa nervosité, il faisait les cent pas devant la jeune femme toujours assise sur le trottoir. Après avoir pris plusieurs grandes inspirations, il demanda :

- Est-ce que quelqu'un t'a écoutée à cette époque ?

Elle n'en avait parlé à aucun adulte. Jonathan présentait bien. Un élève modèle. Un garçon qui paraissait toujours honnête, gentil et serviable dès qu'il y avait du monde. Personne ne l'aurait crue !

- Je n'en ai parlé qu'à Ely. Elle savait tout. Elle m'aidait avec mes crises d'angoisse.

L'homme revint vers Rosa et s'accroupit devant elle pour capter toutes les expressions de son fin visage. Même baissé ainsi, il faisait toujours une tête de plus qu'elle, ce qui le rendait impressionnant. Il hocha la tête pour qu'elle continue.

- Le mariage est arrivé. J'étais terrifiée de la suite. Toute ma vie allait être bouleversée. Je quittais la maison pour habiter avec un monstre qui n'était autre que mon mari.

Elle secoua la tête, dégoûtée.

- Il me battait. Tous les jours, avoua-t-elle alors que les larmes recommençaient à dévaler ses joues. C'est moi qui l'ai traîné en justice un an plus tard... Il a été incarcéré pour violences conjugales.

Et quel avait été son soulagement lorsqu'elle avait su qu'elle avait gagné et n'aurait plus jamais à le voir ! Mais il était déjà trop tard pour elle, l'anorexie la rongeait tellement qu'elle avait dû être internée à l'hôpital psychiatrique le soir même. Lors du verdict, un infirmier était à ses côtés pour la surveiller.

Aras posa sa main sur son petit poing qu'elle avait serré de colère en mentionnant le procès. Quelle horreur... Ses parents s'imaginaient-ils vraiment qu'elle devrait lui rendre visite en prison ? Sur quelle planète vivaient-ils encore ?

- Et Sébastien ?

Un soubresaut secoua son corps et ses yeux s'arrondirent d'effroi. La main tremblante, elle repoussa celle d'Aras. Elle tentait de relever ses barrières.

- Non, je... Lui... Je n'en parlerai pas.

Chancelante, elle se leva pour faire quelques pas dans la rue. Elle essayait de le fuir. De fuir ses questions. De fuir certains souvenirs précisément. Aras la rattrapa en quelques secondes et l'entoura fermement de ses bras pour stopper ses tremblements et sanglots. À vrai dire, il ne s'attendait pas à une telle réaction à la mention de Sébastien. Il mourrait d'envie de savoir. Mais visiblement ça ne sera pas ce soir.

- D'accord... Viens, on va rentrer. Tu peux marcher ?

Elle acquiesça mais la réalité était que ses jambes ne la portaient pas vraiment tant elle était fébrile. Ses pieds étaient lourds, chaque pas vers la voiture lui demandait un gros effort. Aras passa une main sous son bras pour la soutenir. Il savait qu'elle n'aimait pas être portée et le respecta, même si ça lui faisait mal de la voir aussi perturbée dans son corps. Il alla à son rythme, un pas après l'autre, patient.

EffervescenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant