- On peut toujours repartir, Rosa, dit Aras pour la centième fois.
Rosa laisse tomber sa tête contre l'appui-tête de la voiture, luttant pour retrouver une respiration normale. Elle essuie les gouttes de sueur de son front et fait non de la tête.
- Impossible, j'ai déjà dit oui.
- Tu as le droit de te rétracter. Regarde l'état dans lequel ça te met ! proteste Aras. Tu sais que je suis à deux doigts de repartir, là ?
Stationnés devant l'immense demeure du lieu où Rosa avait grandi, ça faisait quinze minutes que la jeune femme luttait pour trouver le courage d'aller à la rencontre de ses parents. Sans répondre à ses inquiétudes, elle ouvrit la portière. Rosa savait pertinemment qu'il était capable de mettre sa menace à exécution et de l'embarquer pour qu'elle échappe à ce dîner. Mais elle avait pris une décision et devait maintenant l'assumer. Si elle annulait maintenant, les conséquences seraient terribles.
Grinçant des dents, Aras la suivit dans l'allée. Elle allait vite, comme si elle craignait de soudain changer d'avis.
- Rosa, attends ! lui saisit-il le poignet. Un seul mot de toi durant le dîner et on s'en va. Et si ça ne va pas et que tu veux que je prenne les devants, fais-moi signe.
La jeune femme se sentit rougir. Une fois de plus, les attentions d'Aras la faisaient chavirer. Sans lui, jamais elle n'aurait pu se présenter à ce dîner. Elle lui lança un sourire qu'elle espérait rassurant.
- Merci pour tout. Ça va aller. Ce sont mes parents tout de même... Ils ne peuvent pas me vouloir du mal.
Ses mots sonnaient creux. Même Rosa n'y croyait plus. Elle essayait seulement de s'en convaincre.
Le couple sonna à la porte et la mère de Rosa ouvrit, un sourire de façade collé aux lèvres. Mais le sourire vacilla lorsqu'elle aperçut Aras.
- Bonsoir à... Tous les deux ? Rosa, on dirait que tu as pris la liberté de ramener un invité supplémentaire ? Mr Williams qui plus est ?
Rosa se pinça les lèvres, avec l'impression d'avoir de nouveau sept ans. Non, elle n'avait pas prévenu qu'Aras venait. Car il était évident que ses parents auraient refusé sa venue après les évènements Le sourire de sa mère la pétrifiait. Seule Rosa qui la connaissait pas cœur discernait les petits poignards à l'attention d'Aras qu'elle lançait de ses yeux. Elle devait se reprendre.
- Bonsoir Maman, contente de te voir. Effectivement, j'ai invité Mr Williams à se joindre à nous, pensant que Papa serait ravi de regagner ses faveurs. Tu sais, après les graves erreurs de certains de ses employés qui ont coûté une petite fortune à l'entreprise Williams.
Les employés en question, intérimaires, avaient en effet commis quelques semaines plus tôt une énorme négligence ayant eu pour effet de faire planter le principal logiciel de l'entreprise. Le temps que le problème ne soit résolu, des milliers d'euros avaient été perdus.
Rosa avait lancé sa pique avec un sourire tellement poli et un ton tellement naturel qu'Aras eut du mal à se retenir de rire. La voilà, sa Rosa. La femme résolue qui fait ce qu'elle veut et mène les gens à la baguette. Tellement fier d'elle... Peut-être s'inquiète-t-il trop finalement. Rosa n'a pas besoin d'être couvée.
Sa mère rougit de honte. Elle n'était visiblement pas au courant de cette histoire, son mari avait dû le lui cacher. Ses affaires n'étaient pas si bonnes que ça en ce moment. La femme les fit entrer au salon, où Mr Hatier les attendait. Comme Mme Hatier, lui aussi perdit ses mots en apercevant Aras.
Sa mère jeta un regard noir à son mari et lui pinça l'avant-bras fortement en passant devant lui. Mr Hatier se dégagea vivement en retour. La présence de son homme mettait ses parents dans l'embarras et cela réjouit Rosa au plus haut point !
Pendant que ses parents et Aras échangeaient des banalités polies, la jeune femme en profita pour regarder autour d'elle l'impressionnant salon luxueux. La maison de son enfance... De tous petits pas se rapprochèrent d'elle, aussi silencieux qu'une souris. Une main d'enfant s'accrocha à son pouce. La petite Rosa de cinq ans pleure à chaudes larmes, seule et perdue au milieu d'une maison de diamants sans chaleur.
Le dîner se déroule dans un silence pesant. Seuls les claquements des couverts se font entendre. Rosa joue avec les aliments, incapable d'avaler une bouchée. Alors que ses parents n'y portent aucune attention, Aras lui jette des regards insistants. Mais pouvait-il en être autrement au milieu d'une telle tension ? La mère de Rosa se racla la gorge :
- Dis-moi Rosa, as-tu gardé contact avec tes collègues de l'académie de danse ?
- Pas vraiment.
Pas du tout.
- Des gens très bien, qui venaient d'un milieu social irréprochable, s'adressa-t-elle à Aras.
Des gens sans foi ni loi.
Aras sourit poliment. Il savait que Rosa exécrait les autres étudiants hormis Ely. De sombres histoires avaient dû se dérouler dans cette académie. D'ailleurs, Rosa s'était imperceptiblement recroquevillée sur elle-même à l'évocation de ces années.
Le père soupira et sortit enfin de son silence.
- Rosa avait un bon cercle social à ce moment-là. Avant la déchéance...
Rosa se pinça les lèvres d'énervement. Ses parents s'adressaient à Aras comme si elle était absente et cela l'irritait au plus haut point. Surtout que parler du passé ne l'intéressait pas. La "déchéance" pour parler de ses années en psychiatrie, carrément.
- Jonathan était vraiment un bon parti. Nous avions eu du mal à convaincre sa famille que Rosa en était également un.
Non, ils n'allaient pas parler de ça !? Pas devant Aras ?
- Rosa chérie, renchérit sa mère, es-tu allée voir ton mari au parloir ?
Si, elle avait osé. Rouge de honte et de colère, Rosa n'osa même pas lever les yeux sur Aras.
- Non, je n'en ai aucune envie et nous n'avons plus rien à voir lui et moi, dit-elle sèchement. Nous sommes divorcés depuis plusieurs années je te rappelle.
Aras, stupéfait de ce qu'il apprenait, posa sa fourchette. Manifestement, jamais il n'aurait dû être au courant de l'existence de ce Jonathan et de ce mariage qui avait fini en divorce. Il étouffa rapidement la jalousie qui étreint sa poitrine. Rosa ne lui en avait jamais parlé et à voir sa tête, elle aurait sûrement préféré le lui cacher encore. Peut-être devrait-il prendre la défense de la jeune femme. Mais il était difficile de le faire en ayant aucune idée de ce qui s'était passé entre eux.
- Tout de même, insista sa mère, le divorce ne fait pas de vous des inconnus.
"Ça aurait dû", murmura Rosa les mâchoires serrées, paroles que seul Aras perçut.
- Je trouve ça d'une cruauté et d'un égoïsme ! la réprimanda durement Mr Hatier. Il ne méritait pas que tu le traînes en justice, c'était un homme bien ! La moindre des choses serait de lui rendre visite en prison, Rosa. Quand on pense à ce qui est arrivé à ce pauvre Sébastien...

VOUS LISEZ
Effervescence
RomanceCe qu'elle cherchait, c'était blesser. Mais qui se cache réellement sous cette apparence superficielle et méprisable ? Qui se cache sous cette barrière infranchissable ? A la sortie de l'hôpital psychiatrique où Rosa est internée pour anorexie, la...