Chapitre 14

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Rosa se crispa violemment à cette question.

-C'est mes affaires, pas les vôtres, dit-elle sèchement.

-Je suis votre patron, donc bien sûr que votre santé me regarde, répliqua-t-il.

C'était vrai, mais seulement en partie. Invoquer l'excuse du patron simplement inquiet pour la santé de ses employés ne marcherait pas éternellement. Aras avait aussi très envie d'en savoir plus sur ce passé qui la rongeait. Et il le saurait par tous les moyens.

-J'ai bien vu que vous aviez des troubles obsessionnels mais je dois en savoir plus pour vous aider à les gérer. Du moins essayer sur notre lieu de travail.

-Je ne veux pas répondre.

-Sans blague, j'avais pas compris, rit-il jaune. Mais je ne vous laisse pas le choix. Qu'avez-vous fait pendant ces cinq dernières années ?

-S'il-vous-plaît... Ne me forcez pas à le dire.

La jeune femme semblait maintenant sur le point de pleurer et cette vision lui serra le cœur.

-C'est important, Rosa. Vous êtes malade ?

Devant son absence de réaction, Aras comprit qu'il n'était pas loin de la vérité, bien que ça ne soit pas tout à fait exact.

-Vous êtes anorexique ? souffla-t-il.

Rosa détourna le regard, incapable de soutenir le sien et se trahissant par la même occasion. Il savait. Il avait tout compris de cette facette d'elle, la plus difficile à gérer bien qu'elle ne soit pas l'unique. Prise d'une vague d'émotions à l'entente de cette vérité, elle tenta de s'enfuir mais il la rattrapa par la main. D'un regard, il la poussa à se rasseoir. Il soupira profondément, le temps de mettre de l'ordre dans ses idées.

-J'en conclue que c'est la vérité... N'est-ce pas ?

-Oui mais... j'en ai honte. C'est difficile d'en parler. J'ai été internée cinq ans dans un centre psychiatrique. On m'a laissée sortir il y a deux mois.

Deux mois. C'est le temps depuis lequel Aras a embauché la jeune femme. Quelle révélation... Il se doutait de sa maladie depuis longtemps mais l'entendre la confirmer, ce fut dur. Elle semblait si fragile, si détruite... Et il ne voulait penser à la spirale infernale qu'elle avait dû parcourir depuis les débuts de sa maladie à sa sortie d'hôpital. Elle était déjà si frêle... Comment était-elle alors il y a cinq ans ?

-Mais c'est fini maintenant. Et je n'ai pas replongé depuis deux mois, insista-t-elle en prenant un morceau de tarte pour le prouver. Je suis tout à fait à même d'accomplir le travail que vous me confiez.

-Oubliez un instant le travail, Rosa. Ce n'est pas le sujet. Le problème, c'est que j'ai bien vu ce soir que même si vous faites tout pour surmonter, vous vous laissez parfois déborder par vos émotions. Tout d'abord dans la voiture puis avec monsieur De Colbert. De ce que j'ai vu tout à l'heure, vous êtes en mauvais termes avec vos parents.

-Mauvais termes est un euphémisme... marmonna Rosa en essuyant discrètement une larme de souffrance d'avoir à discuter de tout ça.

-Et je commence à vous cerner suffisamment pour savoir que vous n'avez pas d'amis et que vous n'en voulez pas. Je ne vous en demanderai pas la raison, ça ferait un peu trop pour un soir, la rassura-t-il en voyant son expression tendue. Mais cela veut donc dire que vous êtes seule pour vous battre contre tous vos soucis et que même si vous vous en sortez bien pour l'instant, ça ne tiendra peut-être pas sur le long terme. On va donc passer un marché tous les deux.

-Je refuse.

-Je ne vous ai même pas donné les termes du marché.

-Je refuse.

Aras ouvrit des yeux ronds devant la réplique sans appel de la jeune femme. Elle ne cessait de le surprendre et il ne savait toujours pas si cela était positif ou négatif, étant donné que ses réactions l'agaçaient fortement. De plus, son nez froncé et ses bras ainsi croisés la rendaient plus mignonne que crédible.

-Pourquoi être aussi catégorique ? fronça-t-il les sourcils en voyant qu'elle était à nouveau totalement fermée à lui. Vous savez aussi bien que moi que vous ne pourrez pas vous en sortir seule.

Rosa ne pouvait pas répondre à ça. Simplement car il avait tout juste. Les jours passaient et ses forces s'amenuisaient. Ses insomnies refaisaient surface depuis deux semaines, depuis qu'elle avait vu le nom de ses parents sur la liste. Le travail était sa seule solution pour ne pas ruminer des pensées noires le jour comme la nuit. Et la fatigue annihilait toute éventuelle sensation de faim, ce qui ne poussait pas Rosa à se nourrir. Même si elle ne voulait pas se l'avouer, combien de temps pouvait-il encore passer avant qu'elle ne replonge ? Il fallait se résoudre à écouter l'homme qui traquait la moindre expression sur son visage pour deviner ses pensées.

-Dites-moi à quoi vous pensez, chuchota-t-elle si doucement qu'il faillit passer à côté de son approbation s'il n'avait pas vu ses lèvres remuer.

Il sourit doucement, heureux de sa réponse. L'homme savait ce que ça lui coûtait d'écouter sa proposition. Elle admettait ainsi avoir besoin de soutien.

-Vous ne pourrez pas vous en sortir seule. En tant qu'employeur, je ne veux pas que votre santé soit mise à mal et que personne ne s'en rende compte. Premièrement, je souhaite m'assurer que vous ne sauterez jamais de repas donc vous mangerez avec moi. Deuxièmement, si vous sentez venir une crise de colère ou des envies auto-destructrices, appelez-moi immédiatement.

A chaque condition énoncée, elle pâlissait davantage. Soudain, il la vit se lever et récupérer son manteau et son sac pour sortir en vitesse du café. D'accord. Rosa avait paniquée. L'homme comprit à son geste impulsif qu'il flirtait vraiment avec ses limites.

Il laissa un billet sur la table avant de lui courir après. Elle était rapide pour une femme qui n'a pas mangé depuis beaucoup trop d'heures. Cependant, elle ne tarda pas à ralentir par manque d'énergie. Aras la fit s'asseoir sur un banc et attendit que sa respiration revienne à la normale.

-Ce n'est pas très poli de partir avant que j'ai fini de parler : troisièmement, si vous refusez mes conditions, vous pourrez considérer votre appartenance à l'entreprise comme révolue. En revanche, ça n'est pas parce que vous ne serez plus mon employée que je vous laisserai tranquille. Ce sera même le contraire. Il est temps d'arrêter de fuir, Rosa. D'arrêter de vous fuir vous-même...


EffervescenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant