Aras, essoufflé, avait perdu de vue Rosa il y a plusieurs minutes. Elle avait couru au hasard dans les rues sombres. Il allait passer son chemin quand des sanglots attirèrent son attention. Elle était là. Assise sur un trottoir humide, les genoux contre elle et la tête posée dessus.
Rosa venait de claquer la porte. Aras, étonné mais plus qu'admiratif de ses paroles très claires, rassembla en silence leurs affaires. Leurs deux manteaux et le sac à main de Rosa. Elle ne reviendrait certainement pas pour le récupérer.
Il perçut les chuchotements du couple encore sur les dernières marches de l'escalier. Mr Hatier réprimandait sa femme : "c'est de ta faute, je t'avais dit qu'il ne fallait pas chercher à l'amadouer mais plutôt lui imposer ce nouveau mariage." Celle-ci se défendit en affirmant que Rosa avait grandi, que la manipuler et la culpabiliser était une bien meilleure solution pour parvenir à leurs fins.
La culpabilité. Leur plus grande arme d'aliénation mentale, comme l'avait dit Rosa avec clairvoyance. Il avait entendu la conversation mère-fille de tout à l'heure, prétextant se rendre aux toilettes. Apparemment, ses parents étaient à l'origine de la rencontre de Rosa avec Jonathan. Il soupçonnait même plus en entendant ces derniers mots échangés : un mariage forcé. Il y a cinq ans, Rosa était sûrement encore plus sensible à leurs manipulations qu'aujourd'hui. En plus de la violence physique que lui infligeait son père. Et maintenant, en dépit du fait que ce mariage raté est un traumatisme pour Rosa, ils veulent retenter l'expérience.
- Vous savez que sa vie ne vous appartient pas ?
Il se dirigea vers eux d'une allure tranquille qui contrastait avec les poignards que lançaient ses yeux. Le père se retourna vivement vers lui, outré. Mais il ne put s'empêcher de reculer de quelques pas en voyant toute la froideur et l'autorité qui émanait de l'homme.
- Il ne s'agit pas d'appartenance mais de liens de famille. Rosa pourrait accepter par loyauté.
Aras leva un sourcil moqueur.
- Vous parlez comme si ce mariage avait encore une chance d'arriver.
Il se rapprocha dangereusement de l'homme pour l'acculer contre le mur.
- Ça n'arrivera jamais. Rosa a été plus que claire. Vous. Sortez. De. Sa. Vie. Si j'apprends que vous avez cherché à la contacter, je vous mettrai plus bas que terre. Je vous jure que votre carrière sera ruinée.
La mère de Rosa se rapprocha pour écarter Aras de son mari pétrifié.
- Bon, bon. Calmons-nous, s'il-vous-plaît. Mr Williams, comprenez une chose. Si Rosa souhaite se marier, c'est son choix, elle est grande.
- Sur cela, nous sommes d'accord. Et elle a d'ailleurs déjà refusé.
La mère se renfrogna. Elle non plus ne semblait pas apporter plus de crédit que ça à la déclaration de Rosa qui ne voulait plus jamais avoir à faire avec eux. Cette constatation plongea Aras dans la tristesse. Ces gens avaient un coeur de pierre. Ils n'écoutaient rien ni personne et s'acharnaient contre leur fille. Jamais Rosa n'avait été considérée dans cette famille. Il sortit son téléphone et leur montra une photo de groupe du personnel de l'entreprise, sur laquelle se trouvait Rosa. C'était une semaine après l'avoir embauchée. Une semaine après sa sortie de l'hôpital psychiatrique.
- Regardez votre fille. Regardez-la vraiment.
Elle n'avait que la peau sur les os. Des cernes noires jusqu'au milieu des joues. Elle se tenait le poignet, où on devinait un bandage sur son avant-bras. Même ces gens ne pouvaient pas le manquer. Pour une fois, le couple n'eut rien à répondre. La mère déglutit péniblement.
- Vous êtes grandement responsables de son malheur. Si vous êtes encore des êtres humains, laissez-la partir.
Le silence s'éternisa quelques secondes durant lesquelles ils parurent presque honteux. Puis Mme Hatier sembla reprendre contenance.
- "Grandement" donc en partie ? Il ne s'est rien passé en dehors du désaccord entre Jonathan et Rosa, si ? demanda-t-elle, soupçonneuse d'événements dont elle ne serait pas au courant.
Un désaccord ? Les choses semblaient aller au-delà d'un simple désaccord. Déjà parce que Jonathan n'était pas le seul à arracher des larmes de Rosa. Il y avait aussi ce Sébastien dont il ne savait rien. En fait, il ignorait encore tout, pensa-t-il avec amertume. Rosa ne lui faisait pas encore assez confiance pour lui confier son passé malgré tous ses efforts.
- Vous n'êtes pas dignes de le savoir, asséna Aras avec dureté.
Elle plissa les yeux.
- Et vous si ? ricana-t-elle.
Évidemment. Mais si c'était bel et bien le cas, Rosa ne lui aurait-elle pas déjà parlé ?
- ... Plus que vous.
Le souvenir de sa soirée où son père l'avait frappée lui revint douloureusement en mémoire. Cette fois, personne n'avait posé la main sur elle. Rosa s'était révélée à eux, plus puissante que jamais. Elle avait répondu, ses mots et sa colère n'étaient pas restés bloqués dans sa gorge. Mais elle ne voyait sûrement pas les choses ainsi en cet instant.
Rosa releva la tête en entendant des applaudissements. Aras l'avait retrouvée. Avec honte, elle se souvint qu'elle avait quitté la demeure sans se retourner un instant, ses affaires d'enfance à la main, et avait complètement oublié l'homme. Mais que faisait-il ? Il la fixait avec un grand sourire. Elle haussa un sourcil en reniflant bruyamment.
- C'était magnifique, je suis tellement fier de toi, souffla-t-il.
Magnifique ? Pour une fois, son père ne lui avait pas foutu de baffe. Parce qu'elle avait pris l'ascendant, poussée par la colère. Épuisée, elle enfouit sa tête entre ses cuisses, ses larmes reprenant de plus belle. Il s'assit à ses côtés et l'attira contre lui doucement.
- J'ai plus de parents... sanglota-t-elle. Et toi, tu n'attendais que ça.
Il resserra un peu plus sa prise autour de son corps.
- C'est vrai. Parce que ces gens ne cessaient de te faire du mal et ils n'auraient jamais changé. J'admire ton courage pour avoir fait ce que tu as fait.
Elle se crispa davantage en pensant à ce piège odieux pour la marier à nouveau contre son gré. Après toutes les horreurs balancées ce soir, elle s'était rendue compte qu'ils n'avaient aucun regret de l'avoir mariée à un monstre. Pire, ils le plaignaient. Quant à leur compassion pour Sébastien... À vomir. Non, rien que pour avoir mis ces deux hommes sur son chemin, jamais elle ne pourra leur pardonner.
- L'histoire allait se répéter, murmura-t-elle.
Aras tilta.
- Quelle histoire ? Qui sont Jonathan et Sébastien ?
Ses questions étaient légitimes après cette soirée d'horreur.
- Qu'est-ce que tu as entendu ?
- Absolument tout. Même quand tu étais dans la chambre avec ta mère.
- Je rectifie : qu'est-ce que tu as compris ?

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Effervescence
RomanceCe qu'elle cherchait, c'était blesser. Mais qui se cache réellement sous cette apparence superficielle et méprisable ? Qui se cache sous cette barrière infranchissable ? A la sortie de l'hôpital psychiatrique où Rosa est internée pour anorexie, la...