Chapitre 35

4K 293 19
                                        

Encore sous le choc, Aras parcourut les couloirs de l'hôpital pour en sortir. Rosa ne l'attendait pas dans la salle d'attente. Il sortit du bâtiment, s'apprêtait à l'appeler sur son portable pour connaître sa position. Il craignait qu'elle ne soit partie seule. Ça ne serait pas prudent, surtout avec ce rendez-vous médical qui avait été terriblement éprouvant et riche en révélation. Qui était ce Sébastien ? Pourquoi était-il en prison et quel était son lien avec Rosa et ses parents ? Il sentait que c'était important...

Au moment où il sélectionnait le nom de Rosa dans ses contacts, il l'aperçut assise sur le petit rebord de briques rouges qui bordait un parterre de fleurs. Ses yeux étaient rougis par les larmes. L'homme s'approcha en silence. Bien que sentant sa présence massive, Rosa ne leva pas immédiatement les yeux.

-J'avais besoin de prendre un peu l'air... Murmura-t-elle comme si elle avait besoin de se justifier.

Il hocha simplement la tête et lui tendit sa main. Elle la fixa quelques secondes, vidée de toute énergie, avant de la saisir timidement pour qu'il l'aide à se relever.

-On va rentrer, assura-t-il en la guidant vers sa voiture.

Le voyage se passa dans un silence étrange. Rosa fixait le paysage, absente en repensant à l'heure précédente.  D'un autre côté, Aras sentait bien qu'il ne possédait pas en main toutes les clés pour espérer la réconforter avec les bons mots. S'il n'assistait pas en ce moment même à sa névrose, il pourrait pourtant conclure que le rendez-vous s'était bien passé. Ses progrès avaient été reconnus. Elle était en meilleure santé. Alors pourquoi... ?

À peine arrivés, Rosa s'isola dans sa chambre. Si son attitude inhabituelle l'inquiétait de plus en plus, il se résolut à ne pas la suivre. Elle avait besoin de se remettre et il respectait cela. En revanche, il prit une décision. Après quelques vérifications sur internet, il appela son frère pour lui annoncer qu'il prenait trois semaines de congés.

Rosa, allongée sur son lit, ne parvenait plus à faire cesser ses sanglots. Une telle nouvelle ne devrait pourtant pas l'atteindre à ce point. Sébastien est mort. Et après ? Sa réaction était incompréhensible. Elle pourrait se réjouir de sa mort. Mais ça ne la soulageait absolument pas. Son humanité pourrait prendre le dessus. Elle la  connaissait bien elle-même cette douleur, cette douleur atroce qui peut pousser à vouloir sa propre mort. Mais elle ne ressentait pas une once de pitié pour lui. Cette annonce l'avait foudroyé sur place sur l'atteindre. Tout lui revenait en pleine tête. Une tristesse, un désespoir infini qui l'étouffait sans raison.

Elle ne doutait pas de la légitimité de cette douleur. Il y a quelques mois, elle s'en serait voulue de souffrir sans raison. D'autres souffraient sans doute plus qu'elle. Grâce à Aras, elle savait désormais que chaque souffrance est légitime car tout dépend de la sensibilité de chacun. Ce n'est une faiblesse d'être sensible. Finalement, l'évolution dont ne cessait de lui parler Aras venait de lui sauter aux yeux. Il était sa lumière, elle avait besoin de lui et de son aide.

Au moment où elle était prête arracher les bandages de ses poignets, elle se fit violence pour sortir de la chambre.

Aras, toujours au téléphone, la vit débarquer dans le salon et se diriger vers la cuisine. Il fut surpris de cette nouvelle lueur dans son regard. Du désespoir, cette même tristesse, et le courage d'attendre quelque chose de quelqu'un. Ça, c'était nouveau.

-Aspen, je dois te laisser, abrégea-t-il la conversation avec son frère.

Il coupa la communication sans écouter sa réponse et alla à sa poursuite. Rosa sortait des légumes du frigidaires frénétiquement, ouvrait des tiroirs à tout-va.

-Que fais-tu ? Demanda-t-il désarçonné.

La jeune femme ne prit pas la peine de lui répondre. Elle ne trouvait visiblement pas ce qu'elle cherchait. Enfin, elle posa une planche à découper et s'arma d'un couteau. Avec frénésie et d'un mouvement maladroit, elle se mit à couper les légumes. Il se dégageait d'elle une certaine détresse qu'elle semblait chercher à évacuer expréssément.

-Rosa, qu'est-ce qui se passe ? Répéta-t-il.

Enfin, elle se stoppa une demi-seconde, le temps de prononcer :

-J'ai besoin de m'occuper les mains.

Aras comprit immédiatement ce qu'elle voulait réellement dire. Elle luttait pour ne pas se faire du mal et c'était une manière de le lui signifier pour qu'il l'aide. Il contourna le plan de travail et lui prit doucement le couteau des mains. Ses doigts crispés tremblaient désespérément. Rosa sentit ses barrières se fissurer en sentant la chaleur de ses mains envelopper les siennes. Il annihilait ses tremblements. Il n'en fallu pas davantage pour qu'elle explose en sanglots et se blotisse contre son large torse.

Ici, elle se sentait en sécurité. Ses bras musclés autour de son petit corps menu la rassurait. D'une main, il caressait lentement ses cheveux, effleurant de temps à autre sa nuque découverte. Sa souffrance, le contre-coup du rendez-vous explosaient. On entendait que ses pleurs au milieu du silence. Au bout de dix minutes et grâce aux caresses apaisantes de l'homme, elle parvint à se calmer.

Il la guida jusqu'au canapé. Là, il essuya délicatement ses joues baignées de larmes. Il attendait. Elle finirait par parler, ne serait-ce qu'un peu.

Rosa laissa tomber sa tête sur l'épaule de l'homme. Mais celui-ci fit même plus puisqu'il la hissa sur ses genoux. Il la berçait comme un enfant. La jeune femme se sentait si bien qu'elle aurait voulu que ce moment dure à jamais.

-Il faut que je te dise... finit-elle par murmurer, gênée par l'angoisse qui l'empêchait de respirer.

Il l'encouragea à continuer en déposant un baiser sur son front.

-Je ne suis pas celle que t'as l'impression de connaître...

Aras fronça brièvement des sourcils sans rien répliquer.

-Durant mes cinq ans en hôpital, mon comportement était effroyable. J'étais... la pire des garces.

L'homme ne savait quoi répondre. Il la connaissait indépendante, parfois effrontée et têtue. Mais de là à s'insulter avec un terme aussi fort... Il n'y croyait pas. Cependant, elle parlait comme si elle lui révélait solennellement un secret. Jusqu'où allait la vérité ?

EffervescenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant