-Faites plus attention. Avec votre carrure, vous vous casseriez en mille morceaux.
La respiration de la jeune femme se bloqua dans sa gorge. Que faisait-il ici ? Elle était pourtant persuadée que tout le monde était parti. D'un autre côté, il semblait également prêt à rentrer chez lui. Il portait un attaché-case et son manteau dans l'autre main. Mais sa présence n'était pas ce qui l'effrayait le plus. Non, ce qui la terrifiait était qu'elle ne l'avait pas entendu arriver. Avec une telle carrure, il pourrait très bien l'agresser en la prenant par surprise. Sa raison avait beau lui hurler que c'était tout à fait impossible, son mécanisme de défense refit tout de même surface immédiatement.
-Je ne suis pas en verre ! cria-t-elle sèchement en reculant de quelques pas pour mettre de la distance avec le corps immense de l'homme.
-Ah non ? dit-il en haussant un sourcil.
Il l'avait touchée, posé ses mains sur elle. Il avait pu sentir ses côtes qui ressortaient à travers ses vêtements. Sa taille était si fine... Il n'avait pas menti : on avait vraiment l'impression de pouvoir la briser d'une simple pression. Son corps avait bougé tout seul quand il l'avait vu basculer. Si cette fois-ci elle n'avait pas eu le temps de le repousser comme il y a une semaine, le contact semblait avoir été suffisant pour déclencher son autre personnalité, celle qui était dure et insensible. Mais il s'y attendait : elle allait de nouveau le défier.
Rosa vit apparaître sur le coin de ses lèvres un petit sourire. Son cœur s'emballa tandis qu'elle comprenait que sa raison n'allait pas reprendre le dessus immédiatement.
-Etes-vous en train de vous moquer de moi ? demanda-t-elle en croisant les bras, manière de se donner un peu de consistance.
-Du tout, Mademoiselle Hatier, étouffa-t-il son envie de rire. Alors, comment s'est passée votre première semaine ici ?
-Essayez-vous de noyer le poisson ?
Son sourire s'agrandit encore. Maligne, la petite rebelle.
-Je suis peut-être sincèrement intéressé par vos premières impressions.
Il la vit hésiter. Non, pas hésiter. Se bloquer. Quand il s'agissait d'elle et de ses ressentis, les mots semblaient s'échapper de son esprit.
-Comme vous pouvez le voir, j'ai... bien avancé. Les premières étagères sont parfaitement classées.
-Ce n'est pas ma question. Vous plaisez-vous ici ? Avez-vous rencontré vos collègues ?
-Euh... Non, je n'ai parlé à personne.
Il fronça les sourcils et elle se sentit obligée de rectifier sa réponse.
-Mais ça me va très bien ! Je n'ai besoin de personne...
Elle avait prononcé la fin de sa phrase de manière très dure, les yeux perdus dans le vague. L'homme sentait que ce n'était pas quelque chose dit à la légère. Elle pensait vraiment n'avoir besoin de personne pour s'en sortir. Car il avait plus ou moins compris que sa situation n'était pas facile. Se débrouillait-elle vraiment seule tout le temps ?
-A quelle heure comptiez-vous partir ?
-Je ne sais pas. Peut-être une petite heure, répondit-elle en haussant les épaules.
-Rassemblez vos affaires, je ne veux plus vous voir dans ce bâtiment d'ici dix minutes.
-Vous êtes toujours aussi arrogant ?
-Vous êtes toujours aussi casse-pied ? répliqua-t-il aussitôt. Dépêchez-vous de filer, continua-t-il en la coupant alors qu'elle avait déjà la bouche ouverte.
Après le pervers, l'arrogant. Combien de qualificatifs allait-elle encore lui sortir ? Aras avait remarqué qu'elle ne répondait que par de nouvelles questions. Excellent stratagème pour ne jamais focaliser l'attention. Il l'observa hésiter quelques secondes avant de se saisir de son manteau et de son sac. Elle n'avait pas le choix de toute manière. Silencieusement, il l'escorta jusqu'au hall. La bruine tombait depuis le matin, tout était trempé. Elle frissonna dans la nuit. Forcément, avec sa maigreur, elle n'était absolument pas taillée pour affronter le froid. Le bout de son nez était déjà rougi, irrité par le froid. Il la vit s'éloigner de lui sur le trottoir, sans un regard derrière elle. Elle devait le détester. Et elle n'était pas la seule. Un léger sourire aux lèvres, il s'attendait à la voir regagner sa voiture. Mais en la voyant continuer comme si de rien n'était, il perdit son sourire.
-Je rêve ou vous avez l'intention de rentrer à pied à minuit ?
Elle ne se retourna même pas, bien qu'il soit certain qu'elle l'avait entendu. Rosa commençait fortement à s'agacer. D'abord il la surprenait, ensuite il lui ordonnait de partir, et maintenant il l'empêchait de rentrer chez elle ? Et sa manie de toujours la questionner... Il était un danger pour elle et pour l'équilibre qu'elle s'était construit difficilement.
-Pas votre problème ! cria-t-elle en réprimant son envie de lui balancer un doigt d'honneur.
Oui, sa vulgarité envers l'homme n'avait pas de limite.
Aras grimpa dans sa voiture, déterminé à la ramener chez elle quoiqu'elle en dise. Il en allait de sa sécurité. Et le jeune femme était bien trop belle pour passer inaperçue dans la rue à une heure aussi tardive. Était-elle inconsciente de ne pas s'en soucier ? Il roula jusqu'à son niveau. La jeune femme avait l'air plongée dans ses pensées et ne l'avait pas encore vue.
-Je suis sûr que vous n'aimeriez pas vous faire attaquer en pleine nuit. Et c'est ce qui va arriver si vous ne faites pas plus attention, Mademoiselle Hatier.
Il ricana en la voyant sursauter violemment au point de faire deux pas sur le côté. Malgré l'obscurité, il put voir son expression se tordre de rage.
-Pour l'instant, vous êtes le seul harceleur en vue, Monsieur Williams, insista-t-elle sur les derniers mots comme il le faisait avec son nom.
-Je veux seulement vous ramener chez vous sans encombre. Je m'en voudrais terriblement s'il vous arrivait quelque chose.
-Je n'ai pas besoin de vous, ni de qui que ce soit ! s'exclama-t-elle en marchant plus rapidement.
Bien sûr, elle ne pouvait le dépasser alors qu'il roulait en voiture.
-Cessez de vous accrocher comme une moule à son rocher ! dit-il sévèrement. Regardez-vous, vous grelottez et vous ne tenez même plus sur vos jambes !
Sur ce point-là, son employeur avait raison. Elle avait beau souffler sur ses doigts de l'air chaud, ceux-ci étaient toujours douloureux. Ses cheveux trempés par la pluie lui collaient au visage. Et en plus de la fatigue de la journée, son corps était très faible à cause du manque de nourriture. Mais si elle acceptait sa proposition, ne lui serait-elle pas redevable ? Si elle acceptait, n'aurait-il pas la preuve qu'elle lui faisait au moins un peu confiance ? Et qu'est-ce qui lui disait qu'il ne l'agresserait pas ? Elle transgresserait tout ses règles qui ne visaient qu'à la préserver. Non, vraiment, ça n'était pas envisageable.
-Je ne peux pas !
Au même moment, une gouttière qui devait supporter depuis trop longtemps le lourd poids de l'eau s'accumulant se cassa et Rosa reçut l'équivalent d'un seau sur la tête. Elle serra les dents, luttant pour ne pas hurler sa rage, sa honte et sa tristesse. Vie de merde ! L'homme resta silencieux quelques secondes avant de prononcer doucement, d'une voix presque réconfortante :
-Je crois que vous pouvez, maintenant... Montez avant de prendre froid...

VOUS LISEZ
Effervescence
RomanceCe qu'elle cherchait, c'était blesser. Mais qui se cache réellement sous cette apparence superficielle et méprisable ? Qui se cache sous cette barrière infranchissable ? A la sortie de l'hôpital psychiatrique où Rosa est internée pour anorexie, la...