Rosa observait la porte joliment décorée de gravures, en attendant que Anys vienne lui ouvrir. Au retour des vacances de Rosa et Aras, les deux amies s'étaient donné rendez-vous chez Anys pour passer un "moment filles".
L'immeuble était charmant. Peut-être Rosa pouvait-elle regarder les offres de location dans ce quartier ? Elle trépignait à l'idée d'emménager à nouveau seule, mais en faisant cette fois-ci bien les choses. Cette fois, elle n'avait pas à trouver un logement à la hâte sous peine de se retrouver à la rue. Elle pouvait prendre son temps, rencontrer les propriétaires, faire des visites, flâner dans le quartier et se projeter. Oui, elle ne cessait de rêver à ce qu'elle pourrait faire une fois seule. Choisir de beaux meubles, aménager une cuisine agréable pour essayer de se mettre à la cuisine, aller au marché le samedi. S'imaginer tout cela lui faisait du bien et l'aiderait à se reconstruire un lien sain avec son corps et l'alimentation. Un véritable nouveau départ, et le mieux était qu'elle ne vivrait pas cette aventure toute seule.
Anys lui ouvrit avec un grand sourire et l'invita à entrer. L'appartement était assez spacieux pour une personne, aéré avec des baies vitrées donnant sur le balcon et le tout agrémenté de plantes vertes. Un lieu cosy avec malgré tout des babioles et autres objets s'entassant dans certains recoins. Un bazar discret à l'image d'Anys.
- Assied-toi sur la canapé, je vais nous préparer un petit goûter. Je veux tout savoir de tes vacances en Australie ! Et après, j'ai un nouveau jeu de société à tester !
Rosa hocha la tête poliment, ravie de retrouver l'enthousiasme de son amie. L'évocation d'un goûter ne lui plaisait pas mais Anys ne la jugerait pas si elle ne vidait pas les bols de biscuits et de bonbons. Au contraire, elle les viderait très bien toute seule ! Elle jeta un œil sur la boîte de jeu encore emballée dans son film plastique. Depuis combien de temps n'avait-elle pas joué à un jeu de société ? Ce n'était pas le genre d'Aras et, même si elle avait eu l'occasion d'en faire à l'hôpital, son état mental ne lui permettait pas d'en profiter. À l'époque, la vie était si noire que rien ne pouvait la faire se sentir joyeuse. La triste réalité de la dépression... Et aussi une nouvelle preuve qu'elle était bien en train de guérir !
- C'est toi qui lit les règles et qui m'explique comment jouer ! Se dédouana immédiatement Anys en revenant avec un énorme plateau rempli de gourmandise et surmonté d'une théière au style japonais.
Rosa leva les yeux au ciel mais, en réalité, elle avait tellement envie de jouer que ça ne la dérangeait pas. Anys, pipelette comme tout, raconta toutes ses aventures des trois dernières semaines au café en se gavant de bonbons. Rosa en avait pris cinq dans sa main et les dégustait à son rythme, parvenant avec succès à occulter le taux de sucre qu'elle ingurgitait. Anys parlait de ses dramas avec tellement d'expressivité qu'il était impossible de ne pas pouffer de rire. Un mouvement à sa droite la fit légèrement sursauter.
- Je te présente Pelote, celui qui me réveille chaque nuit à 3h parce qu'il croit que c'est l'heure du petit-déjeuner.
Le petit chat roux monta sur les genoux de Rosa tranquillement et s'y allongea en ronronnant.
- Alors c'est toi le petit diable qui bouffe le cactus et empêche mon amie de dormir... T'es trop mignon ! Fondit Rosa. Je veux un chaton.
- Parle pas trop vite, les chatons sont les pires ! En tout cas, Pelote ne faisait que des bêtises.
Rosa ne pouvait plus cesser de le câliner. Il était si doux, si innocent, il comblait chez la jeune femme un besoin qu'elle ne soupçonnait même pas. C'est décidé, elle allait adopter un chat. Ça pouvait bien faire office de zoothérapie ?
- Tes yeux changent de couleur quand tu es vraiment heureuse, commenta Anys plus sérieuse, comme si elle y avait longtemps réfléchi.
Rosa lui jeta un regard concerné.
- Chez les gens dépressifs, c'est assez flagrant. Je ne sais pas comment expliquer. D'un seul coup, une petite lueur passe dans le regard. Elle peut être très brève ou rester quelques minutes. Ça contraste avec le vide habituel. C'est beau. Et peut importe combien le sourire peut être éclatant, seul le regard parle avec sincérité.
Rosa cessa un instant de caresser le chat pour étudier le visage grave de son amie. À cet instant, ses yeux avaient eux aussi perdu la lueur. À cet instant, Anys parlait de Rosa pour parler d'elle.
- Tu sembles avoir beaucoup vu ce genre de regard dépressif dans ta vie, dit Rosa avec douceur.
Anys déglutit, la mâchoire serrée. Elle essuyait ses mains moites sur son pantalon, semblait hésiter. Rosa patienta. Mais finalement, son amie blondinette secoua la tête pour reprendre contenance.
- Alors, on le fait ce jeu ? Sourit-elle un peu crispée.
Reçu cinq sur cinq, on changeait de sujet. Rosa s'y plia en attrapant le papier des règles et en commençant à lire à voix haute. Le jeu était ludique et prenant dès les règles maîtrisées. Elles avaient tâtonné une bonne demi-heure avant de comprendre comment la partie devait débuter. Mais alors qu'elle allait lancer les dés, Anys l'interpella.
- En fait, je crois que j'aimerais te parler de quelque chose.
Rosa se tourna vers elle, un peu étonnée mais attentive.
- Je t'écoute...
Elle ouvrait et refermait la bouche, l'air de ne pas savoir comment aborder le sujet.
- On parlait de dépression tout à l'heure, et tu m'as dit que je semblais en avoir beaucoup vu dans ma vie.
Rosa hocha la tête, sourcils froncés par la réflexion.
- Ça ne me concerne pas moi mais ma grande sœur. Elle a souffert de dépression à partir de la fin de son adolescence. On habitait ensemble pendant nos études à la fac. Elle a fait trois tentatives de suicide sur cette période.
Elle essuya une larme isolée sur sa joue.
- À la quatrième, elle a réussi son coup...
Rosa déglutit péniblement, elle aussi avait les larmes aux yeux. Quelques secondes s'écoulèrent, le temps de digérer l'information. Que dire ? Quoi faire face à sa détresse ? Elle leva une main, l'air de vouloir la prendre dans ses bras, mais renonça au dernier moment.
- Je suis... Je suis tellement désolée Anys. Ça a dû être très compliqué pour toi, et même encore aujourd'hui. Merci de t'être confiée à moi. Je suis là si tu veux en parler.
Était-ce les bons mots ? Et si elle lui provoquait encore plus de douleur en l'incitant à en parler ? Parfois, il valait mieux laisser les choses dans le passé. Si seulement Rosa pouvait prendre sur elle toute sa tristesse, elle le ferait sans hésiter.
Anys renifla, et força un léger sourire.
- Merci à toi de m'avoir écoutée.

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Effervescence
Roman d'amourCe qu'elle cherchait, c'était blesser. Mais qui se cache réellement sous cette apparence superficielle et méprisable ? Qui se cache sous cette barrière infranchissable ? A la sortie de l'hôpital psychiatrique où Rosa est internée pour anorexie, la...