Rosa n'avait plus jamais croisé la propriétaire. Lors de son départ, la jeune femme était encore à son bureau à travailler d'arrache-pied. Amère mais devant se résigner, elle attendait la venue de son fils qui, à ses dires, devait reprendre les affaires d'Anne. Son nouveau propriétaire...
Et il faut dire qu'elle avait autre chose à penser en cet instant. La fameuse soirée durant laquelle Rosa devait faire ses preuves était prévue dans quelques heures. Les trois quarts de ses économies avaient servi à acheter une tenue correcte qu'elle ne mettrait sans doute qu'une fois. De quoi aurait-elle l'air en jean au milieu des plus riches du pays ? Après avoir tout organisé à la perfection, elle se devait d'assister à la réception pour veiller à son bon déroulement. Elle ne tenait plus en place tant l'angoisse la dévorait. Ce monde la répugnait... Une foule de personnes hypocrites et pleines aux as. Sans compter la présence de ses parents qui allait peser sur elle comme un fantôme. Trop de dangers qui pourraient la déstabiliser et lui faire perdre tout contrôle.
Déjà apprêtée, Rosa tournait en rond dans sa chambrette, le corps tendu à l'extrême. Ses doigts la torturaient tellement elle s'était rongée les ongles. Trois d'entre eux étaient en sang, les autres demeuraient à vif.
Plus que quarante-cinq minutes avant le début de la soirée. Non. Elle n'y arriverait pas. Impossible de s'y rendre. Pour elle, c'était comme aller droit à l'abattoir. Elle allait sûrement paniquer, jeter des horreurs à la première personne qui passerait, et se ridiculiser. Et son patron la virerait. Aussitôt, le souvenir du visage de ce dernier vint s'incruster dans son esprit. Rosa se laissa tomber contre le mur, tirant sur ses cheveux à pleine main alors que sa respiration s'accélérait. Non ! Elle n'allait tout de même pas faire une crise d'angoisse maintenant ! Mais plus elle tentait de reprendre le dessus sur ses émotions qui la dévoraient, moins elle parvenait à se contrôler...
Une sonnerie de son téléphone la fit sursauter. Elle décrocha d'une main tremblante sans voir qui essayait de la joindre en priant seulement pour que son désarroi ne soit pas perçu.
-A...Allo ?
-Bonsoir, Mademoiselle Hatier. Etes-vous prête ?
Rosa sentit sa tête se vider de sang brusquement. Elle reconnaissait parfaitement le timbre grave de cette voix qui la faisait à chaque fois frissonner de la tête aux pieds. Monsieur Williams. Elle mit plusieurs secondes à réagir, perturbée de n'avoir pu anticiper cela.
-Euh... Oui, je suis prête. J'allais partir.
Oh mon Dieu... Non, elle n'est pas prête ! Pas prête du tout !
-Parfait. Je suis en bas de votre immeuble. Soyez là dans cinq minutes.
Il raccrocha, laissant la pauvre Rosa complètement perdue. Comment ça il est ici !? Plus que paniquée, elle fonça vers la fenêtre. Une limousine était bien stationnée près du trottoir. Elle n'avait plus le choix : maintenant, impossible de se défiler. Attendez... Il a bien dit cinq minutes ? Que se passerait-il si elle dépassait ce délai ? Aras Williams n'était pas homme à attendre et il n'hésiterait pas à monter pour voir ce qu'elle fabriquait. Et il en était hors de question ! Rosa voulait précisément éviter de donner son adresse pour ne pas avoir de visite surprise et elle avait échoué. Alors inenvisageable qu'il connaisse la pièce où elle vivait !
Elle rassembla ses affaires à la hâte et dévala les escaliers après avoir fermé sa porte à clé. La jeune femme espérait qu'il ne verrait pas ses yeux rougis par les larmes qui avaient à peine eu le temps de sécher.
Entre-temps, Aras était sorti de la voiture et s'appuyait nonchalamment contre la carrosserie, yeux rivés sur son portable. Il ignorait ce qui lui avait pris de venir chercher la jeune Rosa. Après tout, elle était assez grande pour se déplacer jusqu'au lieu de la réception. Mais il avait senti qu'au milieu du désir de ne rien montrer à personne, ce moment pourrait être très pénible pour elle. Sa voix tremblotante au téléphone l'avait persuadé qu'elle était dans tous ses états. Son cœur s'était serré quand il lui avait même semblé entendre des sanglots.
Aras scrutait les fenêtres, cherchant à deviner derrière laquelle se trouvait la délicieuse jeune femme. Il fut tenté de monter dans l'immeuble mais il renonça en imaginant le malaise de Rosa. Elle qui paniquait dès qu'il l'approchait... L'homme faisait tout son possible pour percer sa carapace mais lorsqu'il esquissait un pas en avant, elle en faisait deux en arrière. Elle avait besoin de tout anticiper, comme s'il ne fallait pas sortir des repères construits laborieusement.
En attendant sa jeune employée, il observa le bâtiment. Il semblait tellement vieux qu'on pourrait s'attendre à le voir s'écrouler à tout instant. Dans la cours intérieure, des cartons étaient entassés. Un homme plutôt jeune revenait toutes les dix secondes en ramasser un pour l'emmener dans un petit appartement au rez-de-chaussée. Un nouvel arrivant ?
Enfin, il vit la fine silhouette de Rosa se dessiner dans l'entrée. Cette vision lui coupa le souffle. Pour l'occasion, ses habituels jeans et chemises avaient été remplacés par une robe bleu nuit à manche longue. Magnifique... Une grâce inégalable émanait de sa personne. Elle se mouvait dans l'air comme si elle dansait. Sa longue tresse avait cependant été conservée mais des mèches folles s'en échappaient, lui donnant un air un peu perdu. Le tissu, léger et flottant, n'épousait pas ses formes mais il devinait aisément qu'elle n'avait que la peau sur les os. Ses jambes qui apparaissaient étaient si maigres... Bon sang, mais qu'est-ce qui clochait avec elle ?
Rosa s'était tellement précipitée dans les escaliers qu'elle avait failli tomber à plusieurs reprises. Dès la porte passée, son regard pénétrant l'avait transpercée et elle avait dû baisser les yeux en se répétant de ne pas rougir. Sa robe ne lui allait pas. Elle avait l'impression de trop montrer d'elle. Au moins, sa peau abîmée au niveau de ses poignets n'était pas visible. Et le regard pervers de l'homme qui ramassait ses cartons n'aidaient pas à l'apaiser. Pourvu qu'il ne soit pas son nouveau propriétaire...
La jeune femme rejoint son patron et le salua timidement.
-Bonsoir mademoiselle Hatier. Vous êtes absolument magnifique...
Aras vit avec délice de petites rougeurs apparaître sur ses joues. Mon Dieu, qu'elle était mignonne... Mais deux autres détails ne lui avaient pas échappé. Et ceux-ci ne lui plaisait guère...

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Effervescence
RomanceCe qu'elle cherchait, c'était blesser. Mais qui se cache réellement sous cette apparence superficielle et méprisable ? Qui se cache sous cette barrière infranchissable ? A la sortie de l'hôpital psychiatrique où Rosa est internée pour anorexie, la...