Aras entra dans la chambre de Rosa et constata avec dépit que la jeune femme n'avait pas bougé par rapport à la veille. Et l'avant-veille. À pas de velours pour ne pas l'effrayer, il alla écarter les rideaux. Un rayon de soleil du matin se posa sur son visage. Elle cligna des yeux, gênée par la luminosité mais ne bougea pas pour autant. L'homme rabattit le rideau légèrement pour lui épargner le soleil dans les yeux. Il alla s'agenouiller devant elle. Rosa ne le regardait même pas. Son regard restait fixé dans le vide. Depuis la soirée chez ses parents où elle avait coupé les ponts, elle n'avait pu reprendre le dessus. Elle pleurait en tenant contre elle les affaires d'enfance qu'elle avait ramenées avec elles.
- Comment ça va, aujourd'hui ? murmura Aras en lui caressant les cheveux.
Seule une larme coincée dans ses cils coula en guise de réponse. Ses yeux étaient si gonflés et rouges à force de pleurer toutes les larmes du monde qu'il se demandait comment il pouvait lui en rester.
- Rosa, je t'en supplie, dis-moi quelque chose... N'importe quoi. Je commence à être vraiment très inquiet là. Comment je peux t'aider ?
Il avait tout tenté ces derniers jours. L'approche douce, la colère, la menacer d'être virée. Et maintenant, il la suppliait. Au bout d'une minute de latence, elle réagit enfin en se retournant dans le lit.
- Laisse-moi tranquille, murmura-t-elle si faiblement qu'il faillit ne pas percevoir ses mots.
L'heure était grave, on aurait dit qu'elle se laissait mourir à petit feu. Si seulement elle avait réagi avec violence... Au moins aurait-elle manifesté une émotion. Une rage de vivre. Là, il n'y avait rien. Elle se transformait en une coquille vide. Rosa qui n'abandonne pourtant jamais... Ça ne lui ressemble pas.
Aras se passa une main dans les cheveux. L'état de Rosa le dépassait. Il craignait une rechute. Il ne lui restait qu'une solution. Il contourna le lit pour lui faire face à nouveau.
- Rosa, je vais appeler ton psychiatre. Tu as besoin d'aide.
Elle ne manifesta aucune réaction, ce que l'homme prit comme un accord de sa part. De toute façon, il n'y avait pas d'autre choix.
Quelques heures plus tard, Romain Perret frappait à la porte de l'appartement de Rosa. Il salua Aras en déposant une trousse de premiers secours sur le canapé.
- Alors, racontez-moi ce qui se passe ? demanda le docteur en sortant le dossier papier de Rosa.
- Nous avons dîné avec ses parents il y a quatre jours et a eu une violente dispute avec eux. Suite à quoi elle a coupé les ponts. Depuis, elle est complètement amorphe.
Romain haussa les sourcils.
- Quatre jours qu'elle ne s'est pas levée ?
- Seulement pour aller aux toilettes. Et encore.
- Elle a mangé et bu ?
- Juste bu de l'eau.
- Je vais la voir, vous pouvez m'accompagner pour le début, annonça-t-il.
Le docteur poussa la porte de la chambre de Rosa et distingua sa silhouette enfoncée sous les couvertures. Il prit une chaise et s'installa en face de la jeune femme. Au début, elle ne sembla même pas remarquer sa présence. En revanche, lui remarqua qu'elle agrippait entre ses mains un livre de photos et un petit pijama d'enfant.
- Bonjour, Rosa...
Sentant qu'il ne s'agissait pas d'Aras, elle leva les yeux et les écarquilla en découvrant son médecin. Elle ne dit rien pour autant.
- Je crois que ça ne va pas fort, je suis là pour qu'on en discute et voir si tu as besoin d'un traitement particulier pour surmonter ce moment difficile. Tu es d'accord ?
Rosa hocha la tête en détournant le regard. Au fond, elle savait qu'elle avait besoin d'aide.
- Mais avant, j'aimerais prendre ta tension.
Elle hocha à nouveau la tête. Le docteur se tourna vers Aras pour lui demander de l'aider à se redresser. Rien que se tenir assise lui demandait tant d'efforts que des larmes silencieuses se remirent à couler. Il prit sa tension, sa température et écouta sa respiration. Il vérifia aussi ses poignets, à la recherche d'éventuelles coupures. Il n'y en avait pas heureusement. Elle n'était que légèrement affaiblie par le manque de nourriture. Ce qui déciderait Romain à prendre la décision de la réinterner serait son état psychologique.
Puis il demanda à Aras de quitter la pièce. Inquiet, il obtempéra sans un mot. En fermant la porte, il entendit seulement le docteur demander à Rosa de lui raconter avec ses mots ce qu'elle vivait. Elle semblait être en de bonnes mains. L'envie d'écouter à travers la porte était grande mais il se retint. Ce n'était pas correct vis-à-vis de Rosa. Alors il alla s'installer au salon, trépignant d'impatience et d'inquiétude.
Au bout de deux longues heures, le docteur sortit de la pièce en refermant la porte sans bruit. Rosa semblait avoir accepté de parler. Il lui fit signe de la tête pour qu'ils aillent s'asseoir à la table du salon.
- Comment va-t-elle ? demanda Aras impatiemment.
- Son état est impressionnant mais ça va aller. Elle vit un état dépressif similaire à celui qu'on retrouve dans le deuil. Sa décision de couper complètement avec sa famille est un choc émotionnel intense qu'elle gère ainsi pour l'instant.
- Mais si elle ne sort pas de cet état ?
- Je suis convaincu qu'elle en sortira. Elle aussi. Elle s'est montrée assez lucide sur ce qu'elle traversait. Vivre un deuil est plutôt sain dans sa situation. Ses parents sont morts à ses yeux, pourquoi ne vivrait-elle pas un deuil comme toute personne normale ?
Aras hocha la tête, en pleine réflexion et dubitatif. Il voyait mal en quoi un deuil était une meilleure chose qu'une dépression classique. Il posa cette question au médecin.
- Les symptômes du deuil, lorsqu'il est normal, disparaissent spontanément au bout d'un certain temps sans nécessiter d'un traitement particulier. Au contraire, la dépression nécessite quasi-toujours une prise en charge psychologique voire psychiatrique. Dans le cas de Rosa, ses antécédents psychiatriques sont bel et bien un risque, et elle le sait. Ce que je vais surveiller attentivement, c'est qu'elle ne développe pas des symptômes de deuil pathologique. Mais pour l'instant, elle suit les phases normales du deuil donc pas d'inquiétude.
- Pas d'hospitalisation alors ?
- Non, ce n'est pas nécessaire pour l'instant.
Aras soupira de soulagement.
- Elle est d'accord pour un nouveau rendez-vous avec moi à la fin de la semaine, l'informa-t-il. Selon ses capacités à se déplacer, nous verrons si je reviens à domicile ou si le rendez-vous peut avoir lieu à la clinique. Je compte sur vous pour me le dire.
- Entendu. Et en attendant, qu'est-ce que je peux faire pour l'aider ?
- Suivez ses envies. Il faut l'aider à retrouver goût à la vie mais ne la brusquez pas. Poussez-la à manger un peu, mais gardez en tête que ça n'est pas une rechute dans l'anorexie.

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Effervescence
RomanceCe qu'elle cherchait, c'était blesser. Mais qui se cache réellement sous cette apparence superficielle et méprisable ? Qui se cache sous cette barrière infranchissable ? A la sortie de l'hôpital psychiatrique où Rosa est internée pour anorexie, la...