Chapitre 54

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TW conduites dissociantes et scarification (si certains/certaines souhaitent parler de ces sujets, je suis ouverte à la discussion en MP)
Bonne lecture ! 😊



L'homme éclata de rire.

- Si tu veux. Mais tu vas être déçue, je n'ai rien de très croustillant. J'étais un enfant tout ce qu'il y a de plus sage à l'école et un enfant tout ce qu'il y a de plus turbulent à la maison. Tu commences à connaître mon frère et ses blagues depuis le temps : il n'a pas changé en grandissant. Et il m'entraînait dans ses bêtises.

Rosa gloussa. Il décrivait une enfance heureuse. Il continua :

- J'étais ambitieux et, dès le collège, j'avais une école très prestigieuse dans le viseur. J'ai réussi à y entrer et je n'ai jamais autant travaillé que durant mes études.

- Ça paraît dur à croire, tu travailles encore très dur aujourd'hui, remarqua-t-elle.

- Aussi fou que ça puisse paraître, c'est bien le cas. Mais même si tu ne le vois pas, je prends du temps pour souffler quand je sens que c'est nécessaire. C'est tout un apprentissage de repérer les moments de grande fatigue à temps et de pouvoir dire stop à la pression.

Il s'arrêta un instant, hésitant à mettre les pieds dans le plat.

- Quand je t'ai embauchée, tu t'imposais un rythme effréné, sans prendre en compte ta santé. Je me suis revu à cette époque, révéla-t-il.

Un poids vint alourdir la poitrine de Rosa, à l'évocation de ces mauvais souvenirs.

- Mais... commença-t-elle.

- Mais nous ne travaillons pas d'arrache-pied pour la même raison, je sais. Moi, j'avais un objectif en tête et toi, c'était un échappatoire vital.

Elle hocha la tête, secouée de voir qu'il l'avait si bien cernée dès le début. Il savait tout, il lisait en elle comme un livre ouvert. Cette constatation fit remuer quelque chose dans son bas-ventre. Du désir...

- Tu as repris le travail il y a quelques jours, comment vis-tu la reprise ? s'enquit-il. On dirait que tu n'as pas changé ces habitudes.

Rosa se pinça les lèvres et voyant qu'il était contrarié. Mais il n'avait pas tort, une fois lancée dans son travail rien ne pouvait l'arrêter. Tout son esprit se mettait dedans et cela lui procurait un sentiment de bien-être incomparable. C'est sûr qu'il aurait préféré qu'elle trouve ce bien-être avec un bon bouquin sur le canapé. Mais pour n'importe quelle occupation autre que le travail, ses pensées dérivaient dangereusement. Il avait bien vu que sans sa présence, elle aurait encore sauté des repas.

- C'est comme une drogue..., baissa-t-elle la tête. Je m'y plonge à fond et je ne pense plus à rien d'autre, c'est très apaisant. L'unique moment où ma tête se vide.

- Comme les moments où tu te scarifies ?

Rosa tiqua, étonnée qu'il aborde ce sujet qui est normalement tabou.

- Oui, en quelque sorte. Il se passe quelque chose dans ma tête et mon corps à ce moment-là. Mon cerveau ne répond plus, il déconnecte. Plus d'émotions, ni positives ni négatives. Je me vide de tout ce qui me donne l'impression d'être en vie, sans être douloureux. Je ne sais pas à quoi c'est dû, mais j'ai toujours eu l'impression qu'un phénomène particulier se produisait. Je t'assure que travailler comme une forcené est bien plus sain plutôt que de rechercher ce phénomène.

- C'est normal que tu ais cette impression de déconnexion. Lorsqu'une situation ou un souvenir te met dans un état d'esprit insupportable, tu connais un état de stress intense exceptionnel, expliqua-t-il. Qui dit stress intense dit cortisol et adrénaline qui crèvent le plafond. Face à ce danger vital, ton cerveau n'a d'autre choix que d'isoler l'amygdale cérébrale. Ce que la scarification te permet de faire. Ton impression de déconnexion vient de là.

- Fuir mes problèmes, c'est vraiment tout ce que je sais faire alors..., dit Rosa d'une petite voix triste, effarée de ces mécanismes dont personne ne lui avait jamais parlé.

- Non, tu te trompes. C'est un mécanisme de défense. Ça te protège, la contredit-il d'une voix douce. Tu ne fuis pas des problèmes, tu fuis des émotions insupportables.

Elle soupira profondément, abattue. Aras se saisit de sa main pour y déposer un baiser, patient et attentif à ses réactions.

- À quoi tu penses ? osa-t-il demander après plusieurs minutes de silence.

La nuit était bel et bien tombée et les lampadaires venaient de s'allumer. Mais malgré l'air qui se rafraîchissait de minute en minute, ni l'un ni l'autre ne désirait rentrer.

Elle renifla discrètement. Aras distingua des larmes silencieuses qui luisaient à la lumière tamisée de la rue. Cette vision lui serra le cœur, comme toutes les fois où il la voyait pleurer. Il le savait. Il savait que malgré son enthousiasme à l'idée d'habiter seule, il en fallait peu pour la ramener vers ses fragilités.

- J'ai l'impression d'être cassée... Que je devrai lutter toute ma vie contre ma maladie et pour ma santé mentale. Elle prend tellement de place depuis si longtemps... J'ai des souvenirs qui sont aussi vifs que si j'avais vécu mes traumas ce matin-même. J'ai parfois l'impression d'être devenue ma maladie...

Elle se passa une main lasse sur le visage, tandis qu'il l'entraînait sur un banc où il entreprit d'essuyer ses larmes.

- Tu n'es pas ta maladie, Rosa. Pour l'instant, elle prend toute la place. Mais je te promets qu'un jour elle en prendra moins. Je suis certain qu'elle en prend déjà moins qu'il y a deux mois.

Il déposa un baiser délicat sur ses lèvres, ses puissantes mains encerclant son visage.

- Je sais que tu trouves ça long mais il faut que tu t'accroches encore, car ça en vaut la peine.

Elle ne trouva pas la force de lui répondre. Oui, ça en valait la peine. Rosa en était maintenant persuadée mais que c'était dur... Elle se laissa aller contre son torse. Ses bras encerclés autour de son petit corps étaient si chauds et si doux qu'ils lui faisait l'effet d'une couverture. Mais ses mots suivants lui firent l'effet d'un coup de poignard en plein ventre.

- Est-ce qu'un jour tu me parleras du reste ?

Elle le repoussa brusquement, sourcils froncés. Elle savait déjà où il voulait en venir. Et ça ne lui plaisait pas.

- Quel reste ? Il n'y a pas de reste, dit-elle sèchement, le corps en tension.

EffervescenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant