Chapitre 55

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Les bras croisés, Rosa se posta dans le couloir de l'entrée pour admirer tout leur travail. Une semaine après la visite de l'appartement qui lui avait tapé dans l'oeil, elle venait d'y emménager. Aras et elle avaient passé la journée à l'aménager après avoir acheté des meubles et autres fournitures de base le matin-même. Elle s'était inspirée de l'appartement d'Anys pour en choisir la décoration et était fière d'avoir créé un lieu de vie aussi douillet. Son premier vrai chez-elle. Pas une chambre d'hôpital. Pas un grenier sous les toits choisi par dépit. Autre point important qui symbolisait à ses yeux une certaine réussite : grâce à son travail, elle avait eu les moyens financiers de tout se payer en autonomie.

Ils avaient terminé leurs emplettes en passant au supermarché faire des courses. Comme promis, Aras serait présent pour son premier repas dans son nouvel appartement.

Aras apparut à la porte de la salle de bain en se frottant les mains pour en faire tomber la poussière.

- C'est bon, le dernier meuble est monté.

Rosa lui offrit un sourire éclatant. Comme dirait Anys, ses yeux brillaient de vie en cet instant. Il la rejoignit et lui prit la taille.

- Contente ?

- Contente et fière, affirma-t-elle en s'appuyant un peu plus contre lui.

- C'est ton œuvre à toi, tout ça..., dit-il doucement, les yeux brillants de fierté. Prête pour la dernière étape de cette journée ? fit-il référence à la cuisine.

- Tu ne voudrais pas cuisiner tout seul pour aujourd'hui ? Je suis épuisée. Je le ferai demain...

Il plissa les yeux, voyant clair dans son jeu.

- Non, refusa-t-il sévèrement. Tu ne peux pas t'arrêter en si bon chemin.

Elle se sépara de lui et croisa les bras, levant un sourcil mécontent. Il les croisa en retour. Rosa tiqua en voyant que cela faisait ressortir ses épaules musclées mais reprit vite contenance.

- Je ne peux plus avancer à mon propre rythme, alors ?

Elle commençait à s'énerver, nota Aras. Mais il ne lâchera rien.

- Non.

Le ton posé et impassible de l'homme l'irritait.

- Et pourquoi ça ? Le temps n'est plus la clé du succès comme tu le dis souvent ? cingla-t-elle.

-Parce que tu peux le faire. C'est toi qui l'a dit.

Elle ouvrit la bouche mais ne trouva rien à répondre. Alors elle poussa un râle d'agacement en levant les bras au ciel. Bougonnant dans sa barbe, elle rejoignit la cuisine. "Gneu gneu c'est moi qui l'ai dit, tu sais ce que je dis maintenant ? Merde !". Il la suivit en réprimant un rire.

L'homme pouvait bien en rire, il n'empêche qu'il s'agissait bien d'une épreuve, comme il l'avait redouté. Elle n'aurait pas mis autant d'énergie pour y échapper dans le cas contraire.

- Je vois que tu as besoin d'un petit coup de pouce..., lâcha-t-il un sourire en coin.

Son ton mystérieux poussa Rosa à accepter de lui jeter un regard, sourcils froncés. Pourtant, elle voyait mal comment quoique ce soit pourrait rendre ce moment moins pénible. Voilà qu'elle regrettait amèrement d'avoir dit sur un coup de tête vouloir cuisiner. La vérité est qu'elle n'est pas capable. Pour clôturer une belle journée comme elle venait de la passer, elle aurait désiré un jour de repos dans sa lutte constante contre l'anorexie. Et manger aussi peu qu'elle le souhaitait.

Sceptique, elle observa Aras mettre une musique d'ambiance, tamiser la lumière en allumant des guirlandes, et même allumer les bougies parfumées que Rosa avait jugées indispensables pour son salon. Enfin, il sortit deux verres à vin qu'il remplit et versa des chips dans un bol.

- Les chips sont pour moi, précisa-t-il en lui tendant son verre.

- Donc ton coup de pouce, c'est une ambiance sexe pour cuisiner ?

Son regard se fit plus sombre et il souleva son tee-shirt pour dévoiler ses abdos.

- Et comment, bellissima... la charma-t-il de sa voix la plus grave et virile.

Rosa haussa un sourcil pour garder la face mais se sentit rougir et son cœur s'emballer. Elle éclata de rire, jusqu'à se tenir les côtes au sol tant cela ne lui ressemblait pas d'agir ainsi. Son fou-rire s'éternisait tant qu'Aras ne put s'empêcher de rire avec elle. Il ignorait que les fou-rires de la jeune femme pouvait être aussi communicatifs. Quand il croyait que c'était fini, des gloussements reprenaient. Enfin, elle se calma et essuya ses larmes restantes.

- Ne m'appelle plus jamais comme ça... souffla-t-elle épuisée, encore secouée de quelques rires tandis qu'Aras lui tendait une main pour l'aider à se remettre debout.

- Eh bien, je pensais pas te faire rire autant avec ça.

- C'est ton accent italien qui m'a tuée, gloussa-t-elle.

- Plus sérieusement, cuisiner peut être un moment très agréable. Un moment qu'on s'accorde à soi pour choisir et sublimer ce qui va entrer dans notre corps.

Rosa l'observa longuement, pensive. Jamais elle n'avait vu les choses ainsi. La cuisine avait toujours été un lieu de tentation dangereuse, ce qui était loin d'être apaisant. Aras sortit les aliments du frigo et lui indiqua les légumes à couper pour réaliser un chili con carne, pendant qu'il allait faire cuire la viande et le riz. Les légumes passeraient toujours mieux que les protéines et les féculents. Du coin de l'oeil, elle surveillait Aras. Elle frissonna quand il prit la bouteille d'huile et en versa une bonne rasade dans la poêle. Trop. Trop de calories. Trop de gras. Trop.

Alerté par trop de silence à ses côtés, Aras tourna un œil vers Rosa, qui l'inquiéta aussitôt. La respiration sifflante, très pâle, elle fixait l'huile qui faisait crépiter les oignons. Il se détourna de la cuisinière pour venir vers elle.

- Hé, ça va ?

- Tu mets toujours autant d'huile dans les plats que tu prépares ? demanda-t-elle d'une voix blanche. Dans les plats que tu m'as fait manger...

Aras comprit soudain. Il l'attira doucement à l'écart, cherchant à détourner son regard qui restait tanqué sur la poêle. Elle tremblait légèrement à présent.

- Trop... C'est trop... J'aurais pas dû manger autant, c'est mal.

De plus en plus inquiet, il alla éteindre le feu de la cuisinière avant de la conduite sur le canapé. Ses yeux gris étaient tantôt dans le vague, tantôt balayant toute la pièce. Ses angoisses revenaient au galop.

- Rosa, tout va bien... chuchota-t-il doucement. Tu es en sécurité. Tu n'as rien fait de mal.

- C'est pas vrai, c'est trop, je n'ai aucune volonté, c'est mal, enfouit-elle son visage dans ses mains.

On aurait dit qu'elle répétait des paroles toutes faites, comme par automatisme, tiqua Aras. Déjà prononcées par quelqu'un ? Le fameux Sébastien ? Il devait surpasser les voix dans sa tête.

- Oh ! cria-t-il. Rosa, écoute-moi ! Il faut revenir ! Maintenant !

Elle sursauta, revenant brusquement dans la réalité. Aras souffla de soulagement. La jeune femme prit quelques dizaines de secondes pour respirer lentement, comme elle avait appris à le faire, et essuyer les gouttes de sueur qui avaient perlé sur son front. Rassuré, Aras s'éloigna pour lui laisser de l'espace.

- C'est bon, ça va mieux, murmura Rosa avec un timide sourire pour le rassurer. Désolée pour ça.

- Ne t'excuse pas. Ne t'excuse jamais pour cette raison. Content que ça aille mieux. Tu veux reprendre la cuisine ou arrêter pour ce soir ?

- Je peux reprendre, affirma-t-elle.

Le chili con carne était bon. Même très bon. Mais Rosa ne put en manger que quelques fourchettes et se rabattit sur la salade qui l'accompagnait. Trop d'huile. Trop grosse. Trop maigre. Trop nulle. Trop. Trop toujours en écho.

EffervescenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant