Chapitre 1

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Le ronron paisible du taxi dans lequel j'étais avachie m'arracha un bâillement incontrôlable qui embua mes yeux et les brûla au passage. Derrière la vitre détrempée, les contours incertains de la ville défilaient à toute allure, et je songeai avec ennui au désastre que la pluie infligerait à mes cheveux dès lors que j'aurais quitté l'intérieur surchauffé du véhicule. Je n'avais même pas pris la peine d'attraper un parapluie avant de quitter mon appartement, et à bien y réfléchir, je n'avais pris la peine de rien du tout, trop surexcitée pour penser à autre-chose qu'au rendez-vous de neuf heures vers lequel je roulais. En songeant à mon départ, une boule d'angoisse nâquit au creux de mon estomac, et je repassai méthodiquement en vue chaque pinceau, chaque crème, chaque tube de maquillage rangé dans ma valise la veille au soir. Avec un soupir, je me rendis compte que j'avais dû vérifier une bonne centaine de fois mon rangement, et je m'enfonçais dans la banquette en plaquant ma main sur mon front. Angoisser à ce point allait me porter préjudice, surtout pour ce que je m'apprêtais à vivre.

-Elle est droguée ou quoi?, grogna le chauffeur en mâchonnant un cure-dents.

Je relevais le nez et vis avec stupeur qu'il avait le regard planté dans le rétroviseur. Le taxi était à l'arrêt.

-Excusez-moi?, lançais-je d'une petite voix.

-J'viens d'vous dire qu'on est arrivés, dit-il d'une voix bourrue en articulant comme s'il parlait à une demeurée. Huit allée des merles, salle de spec'tac' de quartier, et vous m'devez vingt dollars.

-Oh oui, excusez-moi, grinçais-je en fouillant mes poches.

Je lui tendis l'argent qu'il m'arracha des mains en démarrant son moteur, puis je me ruais en dehors de la voiture et l'observai démarrer en trombe, assez immobile pour lui laisser le luxe d'asperger mes souliers et mon pantalon.

-Bonne journée à vous aussi, grommelais-je en entrant dans l'enceinte de la salle de spectacle, bon courage à vous aussi.

-Bonjour, lança une jeune femme en interrompant mes grognements. Je peux vous aider?

Ses yeux clairs jugèrent le bas de mon pantalon sali, et je la vis ajuster ses lunettes du bout de ses doigts vernis de rouge. Son chignon banane stricte contrastait tant avec ma tignasse trempée que j'en eus presque mal au cœur. Je m'avançai en tâchant d'avoir l'air sûre de moi, mais mes chaussures chuintèrent sur le lino ciré.

-Je m'appelle Ollie Dangton, déclarais-je en sortant ma carte de visite. Je dois être sur la liste pour le rendez-vous de neuf heures.

-Ah, oui, bien sûr, dit-elle en baissant le nez sur une feuille scotchée sur son bureau. Ollie... Ollie...

Son ongle glissait sur la feuille puis il se plaqua sur une ligne.

-En effet c'est bien vous, dit-elle en relevant sur moi ses iris bleu azur. La porte des coulisses est juste derrière vous, longez le couloir et vous verrez une loge avec une affiche "staff only" sur la porte. Pour l'ampleur de ce qui arrive, vous vous doutez qu'on ne peut pas vous laisser rencontrer le gratin aux yeux du public...

-Oui, bien-sûr, répondis-je en sentant l'angoisse étreindre ma gorge une nouvelle fois. Merci beaucoup Madame.

Elle ne répondit pas mais hocha la tête en recommençant à pianoter sur le clavier de son ordinateur de bureau. J'ouvris la lourde porte des coulisses et m'y engouffrais en la laissant claquer derrière moi. Une forte odeur de linoléum neuf me prit le nez, et l'éclairage sombre n'arrangea rien au stress qui s'intensifiait au fur et à mesure que les portes défilaient à côté de moi. Puis, enfin, la porte numéro sept comportant l'affichette apparût devant moi, et je frappais automatiquement en serrant les dents. Elle s'ouvrit presque aussitôt sur un visage que je crûs reconnaître, celui d'une jeune fille au teint mât et au sourire immense. Elle portait un béret, et ses cheveux réunis en une queue de cheval frisottaient dans son dos.

The make up artistOù les histoires vivent. Découvrez maintenant